Histoire d’eaux

 

L’eau change de forme et se modifie en permanence. Il s’agit d’un modèle à partir duquel tout peut naître. L’eau apparaît donc comme un symbole de fécondité que l’on retrouve dans tous les mythes et toutes les religions. C’est d’elle que naissent les êtres et les choses. L’eau possède également des vertus médicinales. On prête à certaines eaux des pouvoirs miraculeux capables de guérir les corps. Elle est aussi source de purification… non seulement pour les êtres, mais pour le monde dans son intégralité. Le déluge représente l’un des mythes fondateurs de presque toutes les civilisations. Il est une re-création du monde lavé de ses impuretés. On ressort de l’eau pour renaître. La publicité actuelle l’a bien compris…



 

Dans la mythologie grecque, Poséidon, dieu de la mer, occupe  une place particulièrement importante dans la famille divine. Egalement dieu des tempêtes et des tremblements de terre, il est celui qui châtie. Dans l’Ancien Testament, la mer est un lien avec Dieu. Elle est l’un de ses instruments pour punir les uns et/ou pour sauver les autres (relire le fameux passage décrivant la traversée de la Mer Rouge).


Traversée de la mer rouge

 

Enluminure du XIVème siècle, la traversée de la Mer Rouge


De longue date, notre imaginaire use de l’élément liquide pour s’alimenter en mystères. De nombreuses créatures aquatiques, monstrueuses, fantastiques et fabuleuses virent le jour dès les premières croyances des hommes. Le fameux Léviathan, monstre marin évoqué dans la Bible, aurait les capacités de détruire le monde. Il est donc le symbole du mal absolu. Seul Dieu pourrait le terrasser (mais alors pourquoi l’avoir créé ?). Les sirènes, les ondines, et toutes ces créatures fascinent l’homme et, à plus forte raison, le marin. Les légendes vont bon train et chaque mer, chaque lac et chaque cours d’eau possède la sienne. Toutes se ressemblent, car elles sont le fruit de l’imagination humaine. Que ce soient  le poulpe géant de Jules Verne, le monstre du Loch Ness des écossais, la Vouivre et France ou la Lorelei sur le Rhin, chaque légende est fascinante et…effrayante, donnant au liquide à l’origine de la vie un paradoxal parfum de mort.


 

G. Doré, Destruction du Leviathan

G. Doré, La destruction du Leviathan


 

Pas étonnant, dans un contexte si présent que les arts s’y soient intéressés. Les peintres qui cherchent à représenter l’eau de manière symbolique et métaphorique, comme Botticelli dans la Naissance de Vénus ou ceux, plus tardifs que le phénomène liquide fascine comme Turner (La Tempête de neige en mer) ou Hokusai (La Grande Vague, voir l’article sur ce Blog qui lui est consacré en cliquant sur : http://jmomusique.skynetblogs.be/post/5955536/un-japonais-a-paris ). Ce qui fascine alors, c’est le besoin de représenter le mouvement de l’eau par le vent et de fixer les moments éphémères des éclairages particuliers. A l’inverse, Monet sera le peintre des eaux calmes. Les célèbres Nymphéas, où l’eau envahit tout l’espace, jouent sur les subtils jeux de lumière qu’offrent les reflets de la végétation.


 

 Monet


 

Tous les peintres que je viens de citer sont chers à Debussy, le compositeur de La Mer. Pourtant, le grand musicien français n’est pas le premier à utiliser l’eau comme modèle pour ses compositions. Haendel et sa Water Music l’honorait déjà de ses plus somptueuses sonorit&ea
cute;s. En fait, bien que la nature soit une source d’inspiration et d’imitation pour tous les musiciens, c’est surtout le romantisme qui s’inspirera ouvertement de l’eau. Liszt fut l’un des premiers à lui consacrer la place primordiale dans certaines œuvres pour piano. En s’inspirant des fontaines et jets d’eaux de la Villa d’Este (à Tivoli près de Rome), il parvient à suggérer la fluidité de l’eau, ses mouvements, ses ruissellements et sa transparence. L’examen attentif de cette musique nous montre un travail sur l’éphémère, sur le temps musical, la direction temporelle de toutes ces gouttes d’eau qui semblent posséder une trajectoire fulgurante.


 

Mer agitée


Le romantisme de Robert Schumann et Richard Wagner puise dans le Rhin toute la substance du monde. Sibelius cherche l’océan primordial dans son magnifique poème symphonique « les Océanides »…on pourrait multiplier les œuvres et les hommes. L’eau sous toutes ses formes  (pluie, lacs et étangs et fontaines et mer) sera, pour Debussy et Ravel une formidable source d’inspiration. N’oublions pas, au passage, les eaux moins connues du grand public évoquées par Chausson, d’Indy et Duparc.


 

 Souvenir des bords du Rhin

Souvenir des bords du Rhin entre Coblentz et Mayence par P.J. Ouvrié


Si l’eau fascine l’homme, c’est par son côté vital et insaisissable. L’état liquide est pour l’être vivant un cocon primordial. Le liquide dans lequel baigne le fœtus est probablement la trace de nos premières sensations. Le ventre maternel n’est-il pas l’endroit de notre sécurité absolue ? Pas surprenant que dans l’éducation des hommes, l’apprentissage de l’ambivalence de l’eau comme élément bénéfique, mais aussi menaçant soit devenu déterminant dans sa pensée. Les eaux primordiales des mythes ne sont-elles pas le germe du monde. La terre qui porte cette eau n’est-elle pas à son tour la mère protectrice ? Tout se tient et le parallèle est fait dès les époques les plus lointaines. Il n’est pas surprenant que les artistes y trouvent une inspiration considérable.


 

La grande vague

Hokusaï, La Grande Vague


 

La musique peut en suggérer le mouvement et le devenir. Plus que la peinture, une fois pour toutes figée sur l’espace d’une toile, l’art des sons peut jouer avec l’écoulement du temps et suggérer une eau changeante, jamais la même, si proche de l’abstraction, permettant rythmes, timbres audacieux et mélodies sauvages du vent…