Mozart à Neupré…

 

« A mon cher ami Haydn, 

Un père ayant résolu d’envoyer ses fils dans le vaste monde estima qu’il devait les confier à la protection et à la direction d’un homme, très célèbre alors, qui, par une heureuse fortune, était, de plus, son meilleur ami. 

C’est ainsi, homme célèbre et ami très cher, que je te présente mes six fils. Ils sont, il est vrai, le fruit d’un long et laborieux effort, mais l’espérance, que plusieurs amis m’ont donnée, de le voir, au moins en partie, récompensé, m’encourage, me persuadant que ces enfantements me seront un jour de quelque consolation. 

Toi-même, ami très cher, au dernier séjour que tu as fait dans cette capitale, tu m’as manifesté ta satisfaction. – ce suffrage de ta part est ce qui m’anima le plus ; et c’est pourquoi je te les recommande avec l’espoir qu’ils ne te sembleront pas indignes de ta valeur. – Qu’il te plaise donc de les accueillir avec bienveillance et d’être leur père, leur guide, leur ami ! De cet instant, je te cède mes droits sur eux, et te supplie en conséquence de regarder avec indulgence les défauts que l’œil partial de leur père peut m’avoir cachés, et de conserver, malgré eux, ta généreuse amitié à celui qui l’apprécie tant. Car je suis de tout cœur, ami très cher, 

Ton bien sincère ami. » 

W.A. Mozart, Vienne, le 1er septembre 1785.


 

Quatuor à cordes 2


 

Cette fameuse lettre de Mozart à Haydn sera le point de départ du concert commenté qui se déroulera à Neupré, dans la salle du Nouveau Coude à Coude ce dimanche à 18H. En compagnie du Quatuor Gong, ce sera pour moi l’occasion de reparler de ce merveilleux cycle des « Six quatuors dédiés à Haydn » de l’éternel Mozart. Il faut avouer que l’ensemble est l’une des plus grandes réalisations du compositeur. Probablement inspirés par le travail extraordinaire de « Papa Haydn » sur la formule du quatuor, et en particulier par son opus 33, les six œuvres de Mozart affichent une réussite de tous les instants. On aurait beau chercher les faiblesses que l’auteur semble annoncer dans sa lettre, on ne les trouverait pas.


 

mozart en 1789


 

Même si certains commentateurs de l’époque ont voulu corriger les dissonances du quatuor qui porte désormais le même nom, il ne s’agissait que d’incompréhension face à une œuvre moderne repoussant les limites du genre. 

L’ensemble nous montre non seulement une autonomie extraordinaire des instruments qui, grâce aux recherches de Haydn, se dégagent maintenant de la traditionnelle formule : violon solo, accompagnement du violoncelle (comme dans l’ancienne basse continue) et remplissage du second violon et de l’alto. Si manifestement le violon garde un rôle essentiel, les autres instruments participent au discours comme lui. C’est, en partie du moins, le résultat du travail que Mozart fait sur les fugues de Bach qu’il redécouvre grâce aux fils du maître et au fameux baron Van Swieten, un érudit viennois (qui sera d’ailleurs le librettiste de la Création de Haydn). Dans la fugue, toutes les voix sont autonomes. C’est le principe même de la démocratie (selon Daniel Barenboim). Mozart n’hésite donc pas à donner à son ensemble une vraie liberté. Je ne dis pas que l’autonomie des voix allant leur propre chemin permet une vision à quatre voix à chaque instant. Mozart use des techniques du contrepoint dans un souci constant d’unité et de force expressive. Oui, j’ai bien dit expressive ! Car ce qui caractérise Mozart à cette époque (et jusqu’à sa fin prochaine) c’est justement d’intégrer au sein des formes classiques, un peu (beaucoup !) de ses expériences de la vie. Les trois grands opéras en collaboration avec Da Ponte en seront une autre grande illustration. Or Mozart, à cette époque, est certes libre comme il l’avait voulu, mais il est aussi et en conséquence, rattrapé par un quotidien pas toujours rose. La brouille avec sa famille est de plus en plus flagrante (le dernier séjour à Salzbourg en 1783 fut catastrophique), il vient de perdre son premier enfant en bas âge, sa situation financière laisse à désirer, …


 

Violon en cours de constructionTout cela se ressent fortement dans son cycle et c’est sans doute ce qui en fait une œuvre essentielle dans laquelle tous les moyens musicaux sont mis au service de l’expression. Les Six quatuors évoquent donc tour à tour les réflexions de l’homme, mais aussi son dynamisme. Sorte de ténèbres suivies d’une lumière procurée par la philosophie maçonnique l’ensemble est émouvant au plus haut point et a toujours été, pour moi, la plus grande réalisation mozartienne. Tout y est parfait et équilibré tant dans la forme que le contenu. 



 

C’est le quatuor en mi bémol majeur K. 428 que le quatuor Gong jouera dimanche et que je commenterai. Sous un aspect presque héroïque (la symbolique du mi bémol majeur l’y rattache), c’est tout Mozart qui transparaît dans cette œuvre. Les moments les plus désespérés, proches du cri adopté dans tous les mouvements par le saut ascendant ou descendant d’octave, y côtoient les espérances les plus folles. Mais je ne vous en dis pas plus aujourd’hui pour ne pas dévoiler tout le propos de la séance.  

Alors, venez vous joindre à nous pour un voyage au cœur de l’homme Mozart, l’émotion sera au rendez-vous, j’en suis sur !