Trio Wanderer

 

Depuis quelques jours, vous êtes nombreux à me demander quelle version j’ai utilisé pour illustrer le trio en mi bémol de Schubert lors du cours à l’U3A et de la conférence de Spa. C’est donc l’occasion de vous répondre par ce message et de vanter l’une des meilleures interprétations au disque de ces quinze dernières années. Il s’agit du Trio Wanderer publié récemment chez Harmonia Mundi France dans un double cd regroupant toutes les pièces pour cette formation du trio avec piano.


 

Schubert Trio Wanderer


 

La décision de consacrer un petit texte à cet enregistrement résulte également de l’audition du concert de Spa de samedi soir pour lequel je ne vous cache pas ma demi-déception. Je m’étais efforcé, durant la conférence introductive, à sensibiliser le public venu nombreux au temps schubertien, à ce sentiment d’errance, à ce pas du « Wanderer », à la solitude de l’homme, bref à tout ce que je pense de l’attitude de l’auditeur face à cette musique qui nous touche tant. Le trio rassemblé autour du forte pianiste Jan Vermeulen, sous prétexte de jouer sur des instruments ancien (pianoforte, violon et violoncelle avec cordes en boyau, …), a oublié qu’il s’agit là des œuvres les plus graves de Schubert. Prenant un tempo d’enfer, même dans l’andante con moto, l’ensemble a oublié de chanter ce qui est essentiel pour la musique du viennois.


 

Schubert 2
 


 

Il ne s’agit pas de refuser une vision rapide de Schubert, il ne faut pas confondre le tempo et l’esprit de la musique. Si vous écoutez la version, également sur instruments anciens de J. Van Immerseel avec A. Bylsma au violoncelle, elle respecte l’esprit. Là, au contraire, le violoncelle était rauque, ne parvenait pas à articuler les traits, le violon était faux sur toutes ses attaques, le piano avait des basses très disproportionnées par rapport aux aigus. Il s’en est suivi une incohérence totale de la structure. Prenant trop rapidement les deux premiers mouvements, le scherzo et le final devenaient en conséquence (rapports de tempi entre les mouvements oblige) quasi impossibles à articuler.

 

C’était comme si les musiciens avaient peur de regarder cette musique en face ou, comme c’est encore parfois malheureusement le cas, il ne fallait surtout pas que Schubert puisse exprimer quoi que ce soit. Je cesse là les coups de gueule que je fais toujours (et le moins souvent possible) avec regret. La seconde partie consacrée à « La Truite », grâce sans doute au renfort de la contrebasse et de l’alto, sonnait beaucoup mieux. Ce quintette est aussi moins grave que le trio (quoique… !) et répond plus à une forme de musique de salon sans nuance péjorative cette fois.

 

Les deux trios de Schubert sont le fruit d’un homme de trente ans mais dont la mort est imminente. Il le sait désormais. Déjà, il ressent depuis quelques temps les effets de la maladie qui l’affaiblit. Il est aigri par la solitude et cherche à tout prix à dompter cette hantise de la mort. Toutes les œuvres de cette époque sont denses, riches thématiquement et complexes harmoniquement. Je défends souvent l’idée d’un foyer émotif important dans le trio du troisième mouvement (voir le message d’hier) qui correspond plus ou moins aux proportions du nombre d’or. Il se fait que chez Schubert, c’est presque toujours un Ländler qui évoque le bonheur désormais perdu de sa jeunesse. Il doit, à mon avis, ressortir de ce Lândler une forte impression de mélancolie qui va rejaillir sur toute l’interprétation des autres mouvements. Or on sait que cette dans autrichienne, dans sa version populaire est d’un tempo modéré. La conséquence est simple. Le second mouvement doit donner une impression plus lente que la danse. Par contre, le premier mouvement doit être un peu plus rapide. Noté allegro moderato, il doit cependant ne pas s’emballer dès les premières notes. Le final, quant à lui, n’est pas un rondo joyeux qui balaye tous les sombres nuages. La preuve en est que le chant du violoncelle reprend à plusieurs reprises le thème du mouvement lent, teintant le final de cet aspect mélancolique indissociable de la tragédie schubertienne.


 

Schubert


 

C’est vraiment un équilibre difficile à atteindre, mais l’art est à ce prix. Le Trio Wanderer n’est pas nouveau da
ns les trop rares formations qui se consacrent à cette formule instrumentale. En 2007, il fêtait ses vingt ans d’activité. Il nous livre ici un de ses meilleurs enregistrements. Tout y est ! de la mise en place à l’émotion en passant par la justesse d’intonation et l’équilibre des parties. Seul léger bémol, l’enregistrement de notre trio (ce n’est pas le cas pour les autres pièces du coffret !) pâtit d’une prise de son un peu écrasée. C’est bien peu de chose face à la force de leur interprétation.

 

Schumann qui voyait dans l’andante si émouvant « un soupir qui voudrait s’enfler jusqu’à l’angoisse » n’aurait certes pas été déçu par le Trio Wanderer …