Belles et beaux…et puis !

 

Jean-Pierre Rousseau évoquait récemment sur son Blog la belle pianiste Hélène Grimaud et tout le tralala médiatique entourant chaque sortie d’un nouvel album (http://rousseaumusique.blog.com/4079374/?page=1#1). Si je suis entièrement d’accord avec son point de vue, il me semble cependant que le fait ne s’arrête pas à la célèbre pianiste, mais envahit tout le marché du disque classique.

 

Chaque année, à l’approche des fêtes de fin d’années, les firmes de disques rivalisent d’astuces pour rendre leurs produits attractifs. On a même parfois l’impression que pour le marketing sauvage, le contenant a plus d’importance que le contenu. Chez les majors en tous cas (les firmes qui détiennent les plus grandes parts de marché), les critères de l’édition semblent négliger la qualité musicale du produit au profit de l’apparence. C’est fou ce que les musiciens classiques sont devenus beaux ces quelques dernières années et, à priori, c’est très bien ainsi. Est-ce moi qui vieilli (cela c’est sur en effet) ? J’ai l’impression que seule la jeunesse et la beauté des interprètes compte. … Et on le montre. Les pochettes de cd sont de véritables photographies de mode, des couvertures de magazines « tendance » ou non seulement les personnages exposés ressemblent à des top modèles, mais aussi sont retouchés lorsqu’ils ne correspondent pas exactement aux dits critères. En témoigne les photos de la célèbre Cecilia Bartoli qui ne ressemble en rien aux images de presse qu’on véhicule allègrement. Ceux qui ont pu la voir en scène se sont rendus compte qu’elle ne possède pas les « mensurations » que la pochette du cd laisse supposer…


 

Cecilia Bartoli 3


Cecilia Bartoli 2


 

Le phénomène ne touche pas que les dames. Si le public classique est de plus en plus féminin (c’est d’ailleurs curieux d’observer comme, il y a quelques années encore, les hommes acheteurs de cd’s en représentaient la grande majorité, des statistiques le prouvent), il faut aussi satisfaire leur « envie » de voir de beaux mâles sur les pochettes. Ne riez pas, observez l’actualité discographique. Les pianistes, les chanteurs, les solistes de tout poil se laissent photographier dans toute leur sensualité, jetant au passage des regards séducteurs à l’attention de l’acheteur potentiel. Il en est ainsi des excellents frères Capuçon, de David Fray, de Philippe Jarroussky, d’Evgeny Kissin et même de Maurizio Pollini ! Et j’en passe et des meilleurs.


 

Fray David


 

Tout cela est très bien et ne me gêne que dans la mesure où une double dérive semble s’installer. La première est celle qui consiste à faire plus grand cas de la belle personne qui joue que du compositeur qui fait l’objet de l’enregistrement. Le culte de l’individu, de la star semble désormais mettre en veilleuse le fait que la musique est bien celle de Bach ou de Beethoven. Il m’a toujours semblé que l’interprète devait être le porte parole du compositeur et pas l’inverse. Ce renversement des valeurs entraîne l’auditeur influençable vers un ressenti (vrai ou faux d’ailleurs) dirigé non pas sur le personnage qui a écrit la musique, mais sur celui qui la joue, au risque de ne plus savoir même ce que notre héros joue. J’ai souvent, dans mon métier, entendu des clients me demander le dernier Grimaud ou Bartoli sans savoir ce qu’elle jouait ou chantait.

 

Mais la seconde dérive est peut-être plus grave encore car elle touche à la malhonnêteté. Combien de fois le contenant séducteur ne se révèle-t-il pas une arnaque de premier ordre ? Ce n’est pas parce qu’on est beau qu’on joue ou chante bien. De séduisantes pochettes veulent aussi être une indication d’un contenu aussi extraordinaire. C’est totalement faux. Je ne cite pas d’exemples ici, mon but n’est pas de nommer, mais je me suis souvent rendu compte qu’une pochette cache son contenu et déçoit celui qui l’écoute objectivement. Le plus grave réside dans l’aveuglement de ceux qui n’ont pas tous les moyens pour discerner l’imposture et qui, en conséquences et inconsciemment se disent que c’est forcément bon puisque c’est édité à grands renforts médiatiques… et cela est très courant, malheureusement.

 

C’est que les revues, jadis plus sévères et moins obsédées par les rentrées publicitaires que les firmes de disques insèrent dans leurs pages, jouent ce jeu à fond. On attire le lecteur par les mêmes moyens. Hélène ou Cécilia en couverture sont des produits de marketing favorisant la vente. Mettez le portrait de Bruckner en couverture d’un magazine et vous le vendrez moins. Comme chacun y va de sa propre survie et de son bénéfice immédiat, on renonce à une vraie politique culturelle au profit d’une rentabilité immédiate. On forge ainsi les nouveaux goûts des publics.


 

Hélène Grimaud en couverture de diapason 2005
 


 

Les magasins ne sont pas en reste dans cette manière de pratiquer. J’en sais quelque chose et les règes de merchandising des rayons de la Fnac, par exemple, ne procèdent pas autrement. On a beau le regretter, le condamner même, si vous ne fonctionnez pas selon les règles imposées par les directions de produits, vous passez à côté de ventes. Or ce sont ces ventes là qui nous permettent de survivre dans l’environnement austère actuel. Dans le cas qui m’occupe, à la Fnac de Liège, je cherche toujours un équilibre entre le tape à l’œil médiatique indispensable à la survie du rayon et des mises en avant de produits moins appuyés par les médias (au risque parfois de devoir défendre mes choix auprès de la direction, ce que je fais toujours avec passion). Ainsi si un cd de Grimaud, Bartoli ou Jarroussky est forcément visible et bénéficie d’une place de choix, il y a aussi une mise en place importante réservée aux cd’s de l’Orchestre Philharmonique de Liège et aux productions de la saison de l’Opéra Royal de Wallonie. Cela me permet non seulement de vendre ces produits hyper médiatisés, mais de promouvoir aussi la culture musicale locale ce qui me semble tout aussi voir plus important.

 

Vous le comprenez. Il ne s’agit pas ici de critiquer tel ou tel enregistrement en particulier. Dans ce Blog, je parle de ceux que j’aime. Je veux simplement mettre en garde contre cette dérive qui consiste à croire que la beauté d’un musicien implique forcément la beauté de son art. Il serait injuste de terminer cet article sans mentionner les efforts remarquables de certaines petites firmes de disques qui loin de jouer le jeu de la mode, continuent, par une iconographie adéquate à suggérer un contenu et un compositeur plus qu’un contenant. Elles réalisent cependant une adéquation idéale entre les deux facteurs du produit. Elles se nomment Harmonia Mundi, Alpha, Ricercar, Zig Zag, Alia Vox, … et se consacrent souvent à la musique ancienne. Est-ce à dire que leurs interprètes y sont moins beaux ? Non. Ils ont seulement compris que l’essentiel n’est pas là !

 

4 commentaires sur “Belles et beaux…et puis !

  1. Heureusement, la beauté n’est pas incompatible avec le talent. David Fray en est en effet un bon exemple. Seule l’écoute des musiciens importe. Mais si l’artiste est en même temps beau à regarder, c’est tant mieux bien sur!

  2. A l’inverse, il arrive qu’on puisse être jeune, beau et musicien ! J’ai découvert David Fray en concert avant même que Virgin ne publie son premier disque, c’est un authentique talent, et le fait qu’il prenne des poses de jeune premier sur son tout récent disque de concertos de Bach ne doit pas nous empêcher de l’écouter attentivement…et d’appprécier énormément sa musicalité

  3. Bien sur, et le photogénique est sans doute un plus pour la beauté de l’objet cd. Ce n’est pas d’hier que les beaux et les inspirés paradent sur les pochettes, mais ce qui change considérablement c’est l’obsession de la beauté. Quand Kempff, Gould ou Horwitz étaient en pochette, on ne les transformait pas en belâtres aux poses ridicules. Aujourd’hui, on est prêt à toutes les honteuses transformations pour faire entrer l’artiste dans les canons de la beauté (Photoshop est sans doute utilisé par les graphistes des maisons de disques).

    Mais ce n’est pas tout, et vous avez raison de le souligner, les artistes et impressarios se sentent de plus en plus obligés d’accompagner leurs publications par des récits périphériques qui ne devraient rien avoir à faire avec la musique. Les loups d’hélène Grimaud, même s’ils ne sont plus d’actualité (eh oui, les passions changent…!!!), n’ont pas fini de lui faire une pub auprès d’un certain public et je ne parle pas des organismes de défense des animaux…

    De plus, on a l’impression qu’ils sont tous d’excellents écrivains également et ils étalent sans la moindre pudeur leurs états d’âme qui n’interressent personne sauf une tranche du public « voyeur ». Comme vous le dites, Brendel écrivait beaucoup mieux et ses propos se retrouvaient dans son jeu pianistique. Est-ce le cas pour Grimaud, dont chaque phrase semble provenir d’un copié collé des propos des autres? Moi, en tous cas je suis loin d’en être sur…

    Laissons les artistes nous parler avec leur art et évitons de tout mélanger. Tout le monde s’en portera mieux.

  4. Ce culte de la beauté est-il si récent? Karajan était infiniment plus photogénique que Fritz Reiner ou Georg Szell. Il en a éminemment profité en véhiculant son portrait sue les couvertures glacées de nos vieux 33 tours. Ce qui est sans doute nouveau, c’est le recours systématique à l’image glamour de l’interprète. C’est inquiétant en effet pour les interprètes qui ne sont pas photogéniques et qui ont pourtant tant à nous dire…dans la musique. Car on se passe allégrement des considérations prétentieuses par exemple d’Hélène Grimaud qui n’a pas le quart du tiers des talents littéraires et de l’irremplaçable humour d’Alfred Brendel. Et je n’ose aborder la comparaison pianistique entre la jolie demoiselle et le vieux monsieur…

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