Les formes simples et régulières sont celles que nous percevons et retenons le plus facilement. Les formes symétriques représentent dans la nature un bon exemple de l’ordre géométrique sur lequel sont formés les structures organiques vivantes et les structures inorganiques.
L’exemple le plus immédiat de cette particularité dans le monde vivant est celui du papillon. Ses ailes possèdent une symétrie axiale bilatérale dont l’axe est le corps de l’insecte. Les dessins et les couleurs de ses ailes sont disposés symétriquement par rapport à l’axe en question. Cette régularité constitue pour notre système de perception un facteur esthétique d’harmonie.
Audrey Hepburn
Le visage humain présente, lui aussi, une symétrie axiale. Même si les deux côtés de notre visage ne sont pas toujours identiques, il est indéniable que l’axe du nez constitue un facteur de symétrie non négligeable. De même, notre corps, qui doit se maintenir constamment en équilibre, a été doté par la nature de l’axe vertical de la colonne vertébrale. Le poids et le mouvement des membres sont symétriquement répartis autour de lui.
Certains types de coquillages (bivalves) sont parfaitement symétriques de même que les nervures d’une feuille d’arbre. Mais, au sein des structures non vivantes, on constate aussi, dans des formes très sophistiquées et géométriques, une symétrie dont les composantes se répartissent à égale distance du centre (centre de symétrie). C’est bien sur le cas des cristaux de neige, merveilles de la nature.
Le pas vers l’art, imitation de la nature, n’est pas difficile à franchir. Depuis la nuit des temps, et parce que la nature nous le propose si souvent, la symétrie est considérée comme un des aspects des proportions de la beauté. La rosace gothique, par exemple, en est l’illustration la plus proche de l’imitation de la nature.
Rosace et vitrail de la cathédrale de Strassbourg
Mais bien au-delà, combien de blasons, de symboles ou de sceaux ne possèdent-ils pas ces qualités. L’architecture n’est pas en reste. Je me faisais cette réflexion en voyant le reportage du journal télévisé relatant la visite de notre reine à l’imposant monument célèbre, le mausolée du Taj Mahal qui répartit ses proportions architecturales proprement dites et les aménagements de ses jardins en un axe qui combine une perspective centrale parfaite avec une symétrie remarquable de l’ensemble.
Dans l’art islamique, les artistes, n’aimant pas la reproduction humaine, sont devenus des maîtres incontestés dans la création de motifs géométriques et floraux intégrés aux tapisseries ou aux mosaïques de carrelages qui ornent les mosquées et les palais.
La musique n’a pas négligé l’aspect symétrique d’une œuvre au cours de l’histoire, mais comme toujours, le procédé est plus subtil à percevoir étant donné l’aspect temporel de cet art. On l’assimile alors non seulement à des formes binaires spéciales qui font plus penser au miroir. C’est le cas de certains canons particulier
s (en miroir, rétrogradables) que Jean-Sébastien Bach utilise régulièrement. Parmi les cas les plus spectaculaires figurent certaines petites pièces de l’Offrande musicale BWV 1079 qui valent autant pour leur aspect visuel que pour leur réalisation sonore. Le premier instrument joue la partition normalement de gauche à droite, les huit premières mesures étant constituées du thème que Frédéric II de Prusse aurait proposé à Bach (il n’a jamais été prouvé que le thème complet soit de l’invention du roi, ma ça c’est une autre histoire !). Pendant ce temps, le second joue la même ligne, mais en commençant par la fin et de droite à gauche. C’est ce que l’on nomme un canon à l’écrevisse. Lorsque chacun est arrivé à la fin de sa partie, ils repartent en sens inverse et le canon devient perpétuel, sa fin et son commencement se confondent.
Même si la symétrie fait véritablement partie des archétypes esthétiques de l’homme, selon les règles de la nature, force est de constater que ce modèle n’est pas le seul valide. D’autres proportions viennent s’ajouter comme résultat de l’observation pointue du monde comme le modèle ternaire et les rapports de nombre d’or que je détaillerai bientôt.
La symétrie n’est pas seulement la symétrie gauche droite ou la symétrie de rotation. Il y aussi la symétrie (ou invariance) de translation, celle de la répétition spatiale ou temporelle: c’est la symétrie – la régularité- des cristaux triplement périodiques ou celle de l’horaire cadencé de la SNCB (translation du temps). La répétition sécurise (les enfants aiment qu’on leur raconte les mêmes histoires) mais devient vite ennuyeuse pour les adultes. C’est cette symétrie de translation (répétition) que voulais évoquer avec le Bolero de Ravel.
Si Interminéral a attiré de nombreux admirateurs de la symétrie des cristaux, la consultation des fiches horaires des chemins de fer ne provoque sans doute pas la même émotion esthétique.
Les défauts de symétrie ont tout leur intérêt. Sans doute le portait d’Audrey Hepburn, symmétrisé avec Photoshop serait-il très décevant. Mieux vaut ne pas tenter l’opération.
L’assymétrie apporte souvent un charme, qu’elle soit involontaire ou pas. Les tapis d’Orient ont des défauts dus à leurs réalisateurs et les machines mécaniques actuelles les imitent. Je ne m’aventurerai pas à vous donner des exemple dans le domaine musical.
Mieux que cela, dans l’industrie, les défauts des matériaux sont ce qui leur confèrent des propriétés intéressantes. Un cristal parfait de fer s’effondrerait sous son propre poids paraît-il.
Toute la métallurgie est basée sur les défauts, impuretés, brisures de symétrie en tout genre.
L’électronique est encore plus criante en cette matière : ce sont les impuretés du cristal de silicium qui lui donnent ses riches propriétés qui ont permis le développement de l’électronique grand public. Donc sans ces défauts, le rez-de-chaussée de la FNAC de Liège n’aurait que quelques appareils photo argentiques mécaniques, des phonographes et des postes de TSF à lampes.
Cependant, je n’irai pas jusqu’à dire que la fausse note du cor -il semble que cet instrument soit particulièrement difficile à jouer- apporte une belle émotion esthétique. Tout les défauts ne sont pas beaux. Savoir pourquoi certains apportent un « plus » et d’autres un « moins » mérite tout un débat.
Mais pour définir un défaut, il faut d’abord avoir une référence parfaite, symétrique.
En conclusion, la symétrie est belle et utile… à condition de s’en départir un peu, à bon escient.
Vous avez entièrement raison. Le papillon, comme le visage ou les cristaux de glace possèdent une évidente symétrie pour l’oeil, mais lorsqu’on les observe de plus près, de petites différences se détectent rapidement. C’est bien cela qui fait détermine la beauté. Le visage d’Audrey Hepburn n’est pas le même à gauche et à droite. on pourrait même dire que les deux parties contiennent des « beautés » différentes qui se complètent en lui conférant toute sa séduction. Il en est de même pour la tout ce qui touche à la nature. Les réalisations humaines (rosaces de cathédrales, par exemple) sont moins sensibles à ces différences et adoptent souvent des profils plus géométriques.
Par contre, je ne trouve aucune symétrie dans le boléro de Ravel qui ne déploie les mêmes deux phrases que pour les métamorphoser progressivement par le truchement de l’orchestration. Ravel crée alors une ligne du temps continue, en progression expressive qui ne peut revenir en arrière. Il n’y a donc pas dans le boléro la moindre symétrie. C’est ce qui lui confère sa trajectoire tragique.
Merci pour votre beau commentaire. C’est vrai que l’ordre parfait est ennuyeux tandis que le désordre est inefficace. Tout est toujours une question d’équilibre.
La symétrie est omniprésente dans tous les domaines des sciences et des arts. Elle participe à notre émotion esthétique, dans les arts picturaux et musicaux (symétrie “miroir” dans l’art de la fugue de J.-S. Bach (contrepoint XVIII)).
Les cristaux de neige émerveillent beaucoup de personnes et leur variété est quasi infinie.
(voir p. ex. Libbrecht http://www.its.caltech.edu/~atomic/snowcrystals/photos/photos.htm).
Cependant ils ne sont jamis exactement symétrique: les six branches ne sont pas parfaitement identiques et c’est très bien ainsi car la régularité (la symétrie) est ennuyeuse. Le visage de Audrey Hepburn est superbe car il n’est pas symétrique, ne serait-ce qu’à cause de l’ombre portée. La symétrie « miroir » (et pas axiale) est brisée. Les colonnes de la cour du palais des Prince-évêques de Liège sont semblables mais non identiques. Dans le Bolero de Ravel, le thème se répète, mais modifié et sans cela il serait ennuyeux. La richesse vient à la fois de la symétrie et des petites modifications de la symétrie.
Le prix Nobel de physique 2008 a été décerné à trois savant (Y. Nambu, M. Kobayashi et T. Maskawa, http://nobelprize.org/nobel_prizes/physics/laureates/2008/) pour leurs découvertes de la brisure spontanée de symétrie dans les noyaux atomiques et les particules.
Dans la vie, il y a deux écueils à éviter : l’ordre et le désordre. L’ordre (la symétrie parfaite) est triste, le désordre est inefficace.