Un extra-terrestre?

Ouf! Semaine infernale terminée! J’aurai donc un peu plus de temps ces prochains jours pour me remettre à alimenter le Blog…

Mais ces derniers jours ont été d’une richesse inouie. D’abord par les sujets très divers abordés lors de mes conférences, mais aussi par l’intégrale des concertos pour piano de Beethoven donnés par Robert Levin et l’OPL à Liège ce week-end.

Jean-Pierre Rousseau avait annoncé la couleur quant à ce pianiste et musicologue très spécial. Il ne s’était pas trompé. Chaque concert a été passionnant à suivre. Le virtuose, habitué aux pianoforte et spécialiste de Mozart, a effectivement un jeu très personnel. Beaucoup d’auditeurs m’ont confié que Robert Levin leur faisait penser à un extra-terrestre, ce qu’il n’est pas, je vous l’assure! Très rythmique et contrasté, il n’a pas peur de prendre des tempi particulièrement vifs et enlevés. Il travaille d’une manière unique en jouant les parties d’orchestre dès le début de l’oeuvre. Peut-être est-ce là une pratique d’époque, mais on le voit se plonger dans la musique dès les premières notes, n’attendant pas la théâtrale entrée du soliste pour commencer « sa » musique. Mais il ne s’agit pas alors de se mettre en évidence, car on l’entend à peine jouer les parties non écrites sur la partition. Il s’agit sans doute pour lui de se souvenir de l’ancienne pratique de la basse continue baroque qui, comme son nom l’indique, soutenait l’orchestre toute l’oeuvre durant. Cette manière est discutable puisque Beethoven n’est plus un baroque, d’une part et que cette partie musicale n’est pas écrite sur les partitions d’autre part. Ne dit-on pas que la disparition de la basse continue correspond à la fin de l’époque baroque dont Beethoven, plus que Mozart, est bien éloigné.


Robert Levin à propos de Mozart


 

 

Le jeu de Robert Levin est très clair, il est même limpide. Il parvient à créer des climats extraordinaires d’émotion et de sensibilité dans des pianissimi particulièrement subtils. A l’inverse, il est capable de jouer très (trop?) fort dans les passages qui le demandent. Son jeu contrasté se fait souvent par touches abruptes, mais on décèle ça et là des magnifiques crescendi qui illustrent bien la progression dramatique de Beethoven. Mais ce qui reste le plus stupéfiant, c’est la capacité du pianiste à improviser réellement les cadences de soliste. Je dis bien improviser! les musiciens de l’orchestre me disaient que lors des répétitions, il changeait, au gré de son humeur, les cadences et renouvelait toujours leur propos. On sait que les grands pianistes et solistes du passé possédaient cette faculté d’improvisation. Mozart et Beethoven étaient des maîtres en la matière. Petit à petit, les compositeurs se sont mis à écrire les cadences pour éviter que les solistes en profitent pour improviser « en dehors » des normes de l’oeuvre et, de la sorte détourner le propos de l’oeuvre à leur seule virtuosité. Rien de semblable cependant chez Levin qui, manifestement possède la faculté d’improviser comme nous le ferions en parlant ou en écrivant…! Sa pensée mélodique, sa connaissance parfaite de la structure des oeuvres, sa pensée harmonique et rythmique sont infaillibles (ou presque). Ses cadences sont créatives et bien ficelées.

Certains penseront sans doute que les cadences écrites par Beethoven doivent être jouées… c’est ce que notre pianiste a fait dans le dernier concerto « Empereur », interprétant avec brio et force la difficile partie rédigée par le compositeur. Petit bémol cependant; à force de pousser le tempo un peu loin (je pense surtout au final du premier concerto), les traits devenaient parfois approximatifs (gammes avec des notes escamotées, ornements pas toujours complets et clairs, décalages légers avec l’orchestre, …). Admirons aussi la prouesse de donner en deux jour cette intégrale à un niveau de jeu exceptionnel. Bravo!

Je ne cache cependant pas ma déception face à l’arrangement du concerto pour violon en concerto pour piano (même si Beethoven l’a réalisé lui-même). On sent trop ( ou est-ce nous qui y sommes habitués) que l’oeuvre a été pensée pour le violon et que le remplissage pianistique est assez moyen. Levin lui-même a donné là sa moins bonne prestation du week-end. Il jouait avec partition, ce qui, dans d’autres circonstances, n’aurait pas la moindre importance à mes yeux. Mais manifestement, et on le comprend aisément, il maîtrisait moins bien cette pièce qu’il n’a sans doute pas souvent l’occasion de jouer. Tous les autres concertos furent joués de mémoire et sans faille. C’est sans doute aussi le signe que sa familiarité avec la transcription de l’opus 61 était moindre. Ceci expliquant cela, je reste plus que jamais attaché à la version originale pour violon et considère cet arrangement comme une curiosité « à connaître ».

Quant à l’orchestre dirigé par pascal Rophé, il était en parfait symbiose avec le soliste et les musiciens ne cachaient pas leur admiration pour le génie de Levin. Si on peut regretter une justesse approximative des clarinettes et des bassons (la fatigue y est sans doute pour beaucoup), il faut saluer la formidable prestation de l’orchestre et de son chef. En effet, les concertos de Beethoven sont tout sauf un simple accompagnement de soliste. Ils offrent à l’orchestre entier de véritables passages de symphonies. C’est bien là le piège que nos musiciens ont évité avec brio. Coup de chapeau également pour les deux ouvertures qui venaient se placer en ouverture des deux journées. Coriolan, d’abord, remarquablement menée dans la tragédie Goethéenne du personnage antique. La quintessence du héros béthovennien y était remarquablement mise en évidence. Prométhée ensuite qui, dans sa force condensée et fulgurante, a su subjuguer les auditeurs en quelques minutes seulement.

Un superbe week-end
musical… à renouveler au plus vite…bravo à tous!