Malgré le peu de temps libre de ces dernières semaines, je suis tout de même parvenu à lire un petit ouvrage de Catherine David intitulé Crescendo, Avis aux amateurs, publié en 2006 aux éditions Actes Sud.
Catherine David est une romancière, essayiste, critique littéraire et pianiste amateur franco-américaine. Entre ses travaux de journalistiques et littéraires, elle trouve parfois le temps d’assouvir une passion de longue date, la pratique du piano en amateur. Mais si le mot a acquis avec le temps une connotation péjorative, l’auteur nous fait sentir et comprendre que le véritable amateur n’est pas un musicien de seconde zone, mais simplement un personnage habité par la musique sans en avoir fait sa profession. Dans cette possibilité et sans dénoncer qui que ce soit, elle nous conduit vers une évidence. Certains amateurs sont plus passionnés par la musique que certains professionnels.
Se souvenant d’une enfance dorée, dans un milieu aisé où la musique était intégrée à la vie, où père et mère étaient déjà de vrais amateurs capables de donner des récitals au sein de séances privées et où il ne faisait aucun doute que l’enfant se frotte lui aussi à cette culture tant vénérée (pas seulement la musique d’ailleurs), elle nous explique ce plaisir complice que, père et fille, éprouvaient dans leurs séances de piano à quatre mains. Mais l’ouvrage n’est pas biographique. Il résulte surtout d’une longue réflexion subtile sur l’approche toujours insatisfaisante mais vitale de la pratique musicale pour l’amateur.
En évoquant les problèmes fondamentaux de la technique pianistique que le pianiste amateur entrevoit mais ne résout jamais, par manque de temps, de possibilités physiques et, tout simplement, des aléas de la vie, elle mesure avec justesse ce qui la sépare des grands solistes. Même si on devine une pianiste qui est loin de débuter dans la pratique instrumentale (elle a tout de même reçu des leçons du compositeur et musicologue André Boucourechliev et des conseils de François-Joël Thiollier, tous deux amis de la famille !), elle reste consciente de tous les obstacles qui arrivent parfois à anéantir le musicien le plus passionné. La confrontation à un public aussi réduit soi-il, jette l’amateur dans le plus grand stress et le désarroi insurmontable tout comme le voisin qui frappe le mur mitoyen pour faire savoir qu’il en a assez d’entendre le même trait répété mille fois… !. Les lacunes du solfège qui empêchent la lecture la plus élémentaire à l’ébauche d’une pratique musicale sont si fréquentes… ! La technique à proprement parler, avec les problèmes de passage du pouce, l’utilisation des pédales, les difficultés de l’indépendance des mains et les obstacles que provoque le regard dans sa difficulté à se dégager des mains, la redoutable polyphonie des fugues de Bach et l’acquisition de l’agilité toute mesurée et sentie qui doit régir les traits de Liszt ou de Chopin sont traités avec beaucoup de sincérité et de bienveillance.
Mais tout en restant modeste (trop modeste ?), Catherine David donne aussi de nombreux conseils qui peuvent faire réfléchir tant les novices que les musiciens déjà confirmés. Recommandations très précises, pas théoriques du tout et toujours exprimées avec clarté et se dégageant d’un jargon souvent obscur. Tout le monde, même les mélomanes qui n’ont jamais pratiqué d’instrument, y trouvera une réflexion sur les raisons qui poussent l’être humain à aimer la musique tant physiquement qu’intellectuellement.
Le tout est présenté dans un style simple, agréable qui vous emmène de la première page à la dernière sans la moindre lassitude, jugez-en donc avec ce court extrait que je me permets de reproduire :
« GAUCHE, MAIS ADROITE
Après une brève interruption, les travaux de voirie ont repris dans notre quartier, le marteau-piqueur qui s’acharne sur le trottoir d’en face sature l’espace sonore. Je rêve de pouvoir me fermer les oreilles comme on ferme les yeux. N’ayant pas de paupières, nos oreilles sont terriblement vulnérables. Cependant le moment est idéal pour travailler discrètement ce passa
ge technique d’une étude pour la main gauche, par exemple la Révolutionnaire. Les voisins n’entendront presque rien dans ce tintamarre.
Ah, la main gauche ! Avec le quatrième doigt, dont la dépendance vis-à-vis du médius exaspérait Schumann, elle reste le problème principal du pianiste qui n’a pas la chance d’être gaucher. …
Mais la main gauche est une rebelle, une rétive, une paresseuse, toujours à la traîne, qui exige un dressage spécifique et permanent. De grandes choses lui sont demandées, notamment dans la musique romantique. Elle fournit les piliers de l’édifice, les basses, les harmonies, elle doit faire des sauts fréquents, et doit être capable, non moins que la main droite, de dérouler des traits limpides et perlés.
… » pp.199 et 200.
Un vrai régal plein d’humour et de vérité dont je vous conseille vivement la lecture… ah ! la musique !