« Je ressens la douleur du monde comme le point de départ de mon œuvre. Je n’ai pas besoin d’imaginer la misère et de la représenter. Je suis au milieu de celle-ci. Ma famille y est. Mon peuple tout entier y est ». Pëteris Vasks
Pëteris Vasks
Vasks est né en 1946 à Aizputë, une petite ville de province en Lettonie. Le pays possède un passé lourd aux dominations diverses depuis toujours et jusqu’à notre époque récente. Que ce soient les Chevaliers teutoniques, les Polonais, les Suédois ou les Russes, le territoire et son peuple fut, tout au long de l’histoire sujet aux guerres et aux massacres. Même si une première déclaration d’indépendance a bien eu lieu après la Première Guerre Mondiale, les Soviétiques mettront encore la main sur la Lettonie jusqu’en 1991, au moment où la « révolution chantante » mettra fin à la domination un peu avant l’effondrement de l’URSS.
Fils d’un pasteur baptiste, Pëteris Vasks prend conscience très jeune de l’oppression politique et sociale. Il fera d’ailleurs les frais de représailles concernant son état de fils de pasteur lorsqu’il voudra s’inscrire au conservatoire de Riga. Il sera tout simplement refusé. Il se tourne vers l’apprentissage de la contrebasse dans la petite école de musique de la ville avant de se rendre à Vilnius en Lituanie où on l’accueille beaucoup mieux. Malgré une pauvreté proche de la misère, il parvient à jouer quelques fois avec l’Orchestre Philharmonique de Lituanie. De retour à Riga, et après quelques galères musicales, il est enfin accepté en 1973 dans la classe de composition du conservatoire où son professeur, Valentins Utkins, reconnaissant son talent, le protège des attaques continues des autorités.
Riga
Définir sa musique revient à exprimer l’essence même de ces êtres qui ont vécu les catastrophes humaines des totalitarismes. Ils arrivent à intégrer à leur langage musical une expression archétypale de la douleur qui exclut les dogmes. Peu importe la forme du langage pourvu que l’expression soit le mobile et la finalité ultimes. Il en est également ainsi des compositeurs comme Arvo Pärt, Henryk Gorecki, Sofia Gubaïdulina et même György Ligeti dans une certaine mesure. Mais laissons d’abord parler le compositeur : « Pendant un certain temps, Mozart représentait l’idéal pour moi. Ensuite, j’ai eu une période Wagner. Puis une période Mahler qui m’apparaît toujours comme le point de fuite de mon travail. De l’époque de mes études intensives de la nouvelle musique polonaise m’est resté mon amour pour Penderecki et surtout pour Lutoslawski. Il est pour moi l’un des compositeurs les plus importants de tous les temps. Ma découverte des symphonies de Giya Kancheli a également constitué un événement ».
Refusant d’adhérer à la collaboration avec des régimes qui l’avaient réprimé pendant sa jeunesse, il survit pendant de nombreuses années en dirigeant des orchestres folkloriques non officiels, en enseignant dans de petites écoles de musique et en acceptant des commandes émanant de l’étranger. Aujourd’hui enfin reconnu à sa juste valeur, son destin s’est sans doute amélioré et sa musique commence à être diffusée par la discographie, les concerts et des reportages télévisés (un très beau documentaire, consacré essentiellement au concerto pour violon a d’ailleurs été diffusé il y a peu sur ARTE).
Son style est donc à la croisée des chemins entre musique tonale et techniques atonales. Son discours parfaitement diatonique, aux longues mélodies mélancoliques est teinté de chromatisme intégral lorsque l’expression le demande. En fait, on ressent sa musique comme une bipolarité entre les sentiments de tristesse, d’accablement et de souffrance apaisée
dans les parties tonales et la révolte, le dégoût, la nausée et la peur dans les passages les plus durs qui peuvent se révéler terrifiants. Bien que sa musique ne comporte pas de programme préalable, il parvient toujours à répondre aux questions qui sous-tendent sa création dans une musique accessible. « Comment parviens-je à évoquer par mes notes le désespoir de mon peuple oppressé pendant des siècles ? Comment également parviens-je à exprimer toute sa résistance tenace ? »
Mais la musique de Vasks n’est pas toujours désespérée. C’est d’ailleurs une autre bipolarité de son œuvre. L’Idylle et la catastrophe se côtoient de manière très forte, abrupte même souvent. En cela, il rappelle Gustav Mahler dont il se revendique avec lucidité. Une chose est sûre, cette musique, si vous ne la connaissez pas encore, ne vous laissera pas de glace. A écouter en priorité : Le deuxième Quatuor à cordes, Musica Dolorosa pour orchestre à cordes et le fameux Concerto pour violon « Tälä gaisma » (Lumière lointaine). A découvrir d’urgence…