Grétry était donc fort bien en cour. Marie-Antoinette goûtait spécialement sa musique. Ainsi, malgré le peu de succès de certaines œuvres, la reine fit jouer ses œuvres au Petit Trianon. Elle loua la musique et les textes de Grétry et félicita l’artiste en ces termes: «Je chantais déjà vos airs à Vienne et je les trouvais pleins d’agréments; ce que je viens d’entendre ajoute à mon estime pour vos talents».
Portrait de Marie-Antoinette par Vigée-Lebrun
La collaboration avec Michel-Jean Sedaine (1719-1797), librettiste et auteur dramatique français de première valeur, contribua fortement au succès de son opéra Richard Cœur de Lion en 1784 qui, d’ailleurs, passe pour être son chef-d’œuvre. L’air « Ô Richard, ô mon Roi » deviendra l’hymne royaliste durant la Révolution entonné par les Gardes du Corps et le régiment de Flandre devant la famille royale à l’Opéra de Versailles, cause directe de la marche des parisiennes sur le palais de Versailles. C’est également cet air que Vautrin choisit pour prévenir Eugène de Rastignac qu’il veille sur lui dans le « Père Goriot » de Honoré de Balzac. Enfin, l’air « Je sens mon coeur qui bat, je ne sais par pourquoi » est repris dans « La Dame de Pique » de Tchaikovski.
Richard Coeur de Lion, Ouverture
Richard Coeur de Lion, Air « Ô Richard, ô mon Roi »
Richard Coeur de Lion, Air « Je crains de lui parler la nuit… »
D’autres œuvres qui eurent un énorme succès à l’époque, fruit de cette collaboration fructueuse, dorment encore dans les tiroirs des bibliothèques. C’est le cas, entre autres, de Le Magnifique (1773), de Thalie au nouveau théâtre (1783), d’Amphitryon (1786), de Raoul Barbe Bleue (1789) ou encore de Guillaume Tell (1791).
En plus des 55 opéras, Grétry composa également sept symphonies, six quatuors à cordes, deux quatuors avec flûte, six sonates pour piano, de nombreuses œuvres de divertissement pour orchestre ainsi que quelques rares œuvres religieuses.
Concerto pour flûte, premier mouvement
Il fut l’un des fondateurs, en France, sinon le premier du moins le principal, de l’opéra comique.
On sait que les artistes italiens furent à l’origine d’une véritable révolution sur la scène même de l’Opéra, de 1752 à 1754, en y exécutant, en intermède, des chefs-d’œuvre, entre autres, de Pergolèse, de Leo, de Jomelli; ils révélèrent une musique chantante, harmonieuse et vivante, à un public habitué à la psalmodie française. Les sujets de ces petits opéras laissaient de côté les grandes intrigues mythologiques pour se concentrer sur une action serrée, menée par des personnages ordinaires, réagissant comme des gens ordinaires. Les auteurs de l’époque se divisèrent alors en deux partis hostiles, le coin du roi, défenseur de la musique française selon Rameau et le coin de la reine, ouvert à la nouvelle musique italienne, qui échangèrent un nombre considérable de brochures, dont il ne reste plus guère que la célèbre Lettre de J.J. Rousseau, qui déclarait que les Français n’auraient jamais de musique. Cette célèbre « Querelle des Bouffons » n’amena pas immédiatement des modifications importantes, mais donna naissance à l’Opéra-comique, où brillaient déjà Duni, Philidor et Monsigny; Grétry entra en scène dès 1768 et écrivit ses opéras dans lesquels il exprimait tous les sentiments, depuis la gaîté la plus insouciante jusqu’à l’expression la plus passionnée, passant parfois par les émotions dramatiques les plus tendues. Son art de transformer les redoutables vers de la langue française en superbes mélodies contribua largement à rendre le français plus apte encore à l’opéra.
Le style de Grétry se distingue par des inspirations mélodiques très efficaces, par une sensibilité exquise typique du style galant, par une vérité de déclamation et d’expression qui n’a pas toujours été égalée et par un instinct scénique remarquable ainsi que par une fécondité étonnante.
Zémire et Azor, Air de la Fauvette 1771
Malheureusement, il était un musicien dont la formation incomplète se sent surtout dans le peu d’invention harmonique. Il faut également signaler de grandes difficultés pour développer les remarquables idées musicales qu’il concevait avec simplicité. Son manque de science musicale, créant trop souvent des redondances alourdissant la fluidité de ses œuvres, était compensé par une spontanéité et un naturel confondants, une forme de naïveté (dans le bon sens du terme) qui séduit d’emblée mais peut lasser les écoutes répétées.
Ses contemporains et ses successeurs imitèrent son style de déclamation lyrique, en le modifiant selon leur personnalité, mais bien souvent sans trouver le charme, l’esprit et la spontanéité de Grétry. C’est le cas de Nicolas-Marie Dalayrac (1753-1809), Etienne-Nicolas Méhul (1763-1817) et Luigi Cherubini (1760-1842) qui ne peuvent nier leurs influences même s’ils relèvent tout autant du grand C.W. Gluck (1714-1787) par le côté dramatique de leurs œuvres. Mozart lui-même s’est souvenu de Grétry dans certaines tournures mélodiques de ses opéras de jeunesse ainsi que dans quelques procédés instrumentaux et effets de scène (dans Cosi fan tutte, par exemple). Si Adrien Boieldieu (1775-1834) est son véritable disciple, Daniel François Esprit Auber (1782-1871), Louis Joseph Hérold (1791-1833), Adolphe Adam (1803-1856), Jacques Fromental Halévy (1799-1862), ainsi que beaucoup d’autres ont aussi adopté ses procédés dans leurs opéras comiques, tout en faisant usage des conquêtes harmoniques et structurelles et orchestrales du romantisme.
Au tournant du siècle, Grétry a soixante ans. Fatigué de la lutte, il renonce à la composition pour se livrer à la littérature à laquelle il s’était déjà consacré, puisque la publication du premier volume de ses Mémoires ou Essais sur la Musique remonte à 1789. Dans ce livre, véritable autobiographie, l’auteur raconte sa vie avec une naïveté et un naturel charmants. Ses principaux ouvrages y sont analysés avec une bonne foi qui n’exclut pas la haute opinion qu’il avait de son mérite et du rôle que son œuvre avait joué dans le mouvement musical de la seconde moitié du XIXème siècle. Enfin, il y touche à toutes les questions musicales: la déclamation lyrique, la ponctuation phraséologique, le rythme mélodique, l’harmonie et l’orchestration sont traités avec la minutie que Grétry attache à toute chose. Ses idées personnelles, clairement exposées, seront toujours étudiées par les musiciens avec le plus vif intérêt : elles font connaître l’homme, aimer et apprécier le compositeur.
Un critique de l’époque résume ainsi son opinion sur cet ouvrage: « Je savais bien que l’auteur était, non seulement un grand artiste, mais un homme de beaucoup d’esprit. Je ne savais pas qu’il fût écrivain, et il l’est. Il m’avait toujours paru celui de nos compositeurs qui avait le plus d’esprit en musique; mais j’ai vu, en le lisant, qu’il en a aussi beaucoup dans son style, et je suis bien aise d’avoir cette occasion de l’en féliciter.»
En 1797, le gouvernement français, à la demande des compositeurs les plus renommés, vota les fonds nécessaires pour la réimpression des Mémoires, auxquels Grétry ajouta deux volumes. Ces suppléments n’ont pas l‘intérêt de l’œuvre primitive ; les caractères, les mœurs, la philosophie, les institutions nationales, etc., y sont cependant l’objet d’études que l’auteur rattache à l’art auquel il s’est voué.
Idolâtre, ses dernières années s’écoulèrent dans l’aisance, à Montmorency, grâce à une pension de quatre mille francs que le gouvernement de l’Empire lui accorda, et qui, ajoutée aux droits d’auteur que ses ouvrages repris partout, permirent de rétablir sa fortune compromise jadis par la Révolution. Il vécut à l’Ermitage, au milieu de sa famille, entouré de ses amis et de quelques-uns de ses compatriotes, qui le visitaient souvent. Il recevait avec la plus grande bienveillance les jeunes compositeurs. Il les aidait de ses conseils, et quand le découragement les prenait, il se plaisait à leur raconter les luttes qu’il avait eu à soutenir.
Le 28 mars 1810 fut inauguré à la salle de la Société d’Émulation à Liège, le buste de Grétry, exécuté par Sajou, bonheur qui jusqu’alors n’avait été accordé qu’à M. Velbruck, prince et fondateur de celte société.
Ce buste, donné par le bourgmestre De Fossoul, servit de modèle à celui que le sculpteur liégeois, M. Ervrard, exécuta aux frais de la ville, destiné à orner la salle de spectacle, buste qui disparut lors de l’incendie de 1803.
Déjà en 1816 la Société d’Émulation de Liège mit au concours le plan d’un monument à élever à Grétry, sur la place qui porte son nom. C’est en 1817 que la même société ouvrit un concours pour le meilleur éloge académique de Grétry, auquel elle proposa une médaille d’or. En même temps, elle chargea M. de Gerlache d’insister auprès de l’administration communale de Liège, afin de contraindre les héritiers du grand artiste à exécuter les dernières volontés du maître, leur oncle.
Un mémoire en ce sens fut proposé au conseil qui l’adopta, et un procès fut intenté devant le tribunal de Pontoise,qui donna gain de cause aux héritiers. La ville se pourvut en appel devant la cour royale de Paris. Sur le brillant plaidoyer de l’excellent avocat, M. Hennequin, la cour condamna les neveux du compositeur à restituer le cœur de leur vénéré oncle.
La Statue de Grétry dont le socle contient le coeur du compositeur devant l’Opéra Royal de Wallonie, ancien Théâtre Royal de Liège
La première statue placée en Belgique, est celle d’André-Ernest-Modeste Grétry à Liège. La cérémonie de l’inauguration eut lieu le 18 juillet 1842.
La statue trouvait primitivement place de l’Université. En juillet 1866, elle fut transportée sur la place du Théâtre Royal.
A suivre…