Petrus Bonhomius

Pierre Bonhomme (vers 1550/60-1617) : Encore un compositeur liégeois resté mal connu ! Je vous avoue l’avoir découvert en préparant le commentaire pour le concert consacré à Henry Du Mont à Villers-l’Évêque la semaine dernière. Et pourtant, il est acquis que sa réputation était bien assise non seulement à Rome, mais aussi en Autriche, en Allemagne, en Suède et dans le Pays de Liège.


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Liège à l’époque de Pierre Bonhomme

La date de naissance de Pierre Bonhomme se situe entre 1550 et 1560 du côté de la commune d’Oupeye près de Liège. Nous sommes donc en plein XVIème siècle, au moment où la musique italienne jouit d’un essor sans précédent. Quelques repères permettent de situer sa naissance à cette époque. Il reçoit en effet la tonsure chez les Carmes de Liège le 14 mars 1579. Par ailleurs, on peut l’identifier à travers plusieurs aménagements de son nom comme le Petro Bonam, le Piron Bonhomme et les Petrus Bonhomius qui apparaissent comme le troisième « duodeno mutato » (jeune homme d’une vingtaine d’année que le chapitre a conservé à son service après la mue de la voix et qui attend qu’une place rémunérée devienne vacante) en 1580 à la Cathédrale Saint-Lambert de Liège.

Il aurait ensuite fait partie de la Chapelle pontificale et qu’il aurait été attaché aux offices de la Chapelle Sixtine à Rome

Mais la partie bien connue de la biographie de Pierre Bonhomme commence en 1594 quand, étant à Rome, il reçoit du pape Clément VII (1536-1605) le canonicat de la collégiale Sainte-Croix à Liège laissé vacant. Désormais, il réside à Liège où il meurt en 1617 léguant à son frère, bourgeois à Visé, une épinette et deux clavicordes.


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Liège, la Collégiale Sainte-Croix au desuus de la Haute sauvenière

Parmi ses œuvres, des recueils de mélodies sacrées publiées par Pierre Phalèse à Anvers, des chants sacrés à cinq voix ainsi qu’un recueil de treize messes (la préface est datée de 1616) dont les trois premières sont à six voix, les quatre suivantes à huit voix, ensuite deux à 10 voix et enfin quatre à 12 voix ! L’ensemble est dédié à Ferdinand de Bavière, électeur de Cologne et Prince-Évêque de Liège. Ces messes se trouvaient au répertoire de l’Église de Looz (elles sont citées dans un inventaire de 1638), ville évoquée récemment à propos de la naissance de Henry Du Mont. Il est fort probable que le jeune Du Mont ait chanté ou, du moins, ait eu connaissance des œuvres de son illustre prédécesseur. On sait que ces messes étaient également chantées hors de la Principauté liégeoise puisque dès 1617, elles figurent au répertoire de la maîtrise de Saint-Rombouts à Malines. Pierre Bonhomme composa également son Harmonia Sacra, recueil de motets écrits pour des effectifs de cinq à dix voix réelles.


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Pieluigi da Palestrina

D’après les quelques œuvres entendues au concert récent et les lectures de partitions, son style est dans la lignée de la musique de la Contre-réforme. Alors que le Concile de Trente imposait aux musiciens la glorification et l’expression de la grandeur de Dieu, un style monumental, homorythmique et contrapunctique s’imposa sous le génie de Palestrina (1525-1594). Ses successeurs au Vatican et à la Chapelle Sixtine perpétuèrent ce style imposant. On connaît bien le fameux Miserere de Gregorio Allegri (1582-1652) qui obéit à cette esthétique. Pierre Bonhomme n’a sans doute pas connu Allegri, trop jeune lors de son séjour à Rome, mais sa musique se situe quelque part entre ces deux héros de l’art musical catholique. C’est sans doute ces qualités là qui lui valurent la nomination par le Pape lui-même au poste de chanoine de Sainte-Croix à Liège.



 

Là, il entretenait d’excellentes relations avec les autorités liégeoises et avec le monde des princes-évêques. Ses œuvres monumentales, pleines de grandeur et de majesté, résonnent avec une plénitude sonore tout à fait conforme à ces principes qui marquent le passage des esthétiques de la Renaissance à celles du premier baroque. Elles répondent à ce moment de l’histoire où, sous le pape Paul V, Le Bernin achève Saint-Pierre et où chaque église se modernise et s’orne de la façon la plus brillante pour la plus grande gloire de Dieu et pour la splendeur de l’Église.

 

Et pourtant, les choses ne vont pas pour le mieux, à Liège en 1616 et Pierre Bonhomme, l’année avant sa disparition, en est bien conscient. Un passage de la dédicace à Ferdinand de Bavière, électeur archevêque de Cologne qui avait en charge les affaires de la ville de Liège, de ses fameuses messes évoquées plus haut, fait allusion aux bienfaits de ma musique « pour rasséréner et vivifier l’âme des princes agitées par les flots des soucis ». C’est que l’Édit de 1613 proclamé par Ferdinand de Bavière dès son accession au trône a amorcé une longue querelle entre les Chiroux (partisans du prince : le haut clergé, la noblesse et la grande bourgeoisie) et les Grignoux (le parti populaire). Il supprima en effet les valeurs démocratiques que son prédécesseur avait instaurées depuis dix ans. Les conséquences de cet édit allaient plonger le Pays de Liège dans des désordres de plus en plus graves jusqu’en 1649, date où les Grignoux seront totalement écrasés, mais là, Pierre Bonhomme ne sera plus ce  monde pour le voir.


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Ferdinand de Bavière

Toujours est-il que la dédicace fait également allusion aux « labeurs quotidiens du prince pour le bien de la chrétienté ». Et, de fait, on aborde, à ce moment, un tournant décisif de l’histoire avec les prémices de la Guerre de Trente (1618-1648) ans où la maison de Bavière joue un rôle important et où le protestantisme semblait menacer la ville de Liège comme jamais auparavant. Enfin, le compositeur souligne l’intérêt que le prince électeur prend à la musique et sa bonté envers ceux qui la pratiquent. Il termine en évoquant sa fidélité : « Accepte donc ceci, Prince Sérénissime, puisque depuis longtemps, tout ce qui peut sembler de moi, je te l’ai dédié et te le dédie ».

Mais les œuvres de Bonhomme s’exécutaient également hors du pays de Liège. On retrouve un Magnificat à la Bibliothèque de Budapest, de nombreux témoignages d’interprétations de ses œuvres à Rome ce bien au-delà de l’existence du compositeur. On ne sait pas s’il composa de la musique instrumentale et il reste sans doute à ce jour l’un des compositeurs wallons les plus méconnus, tellement ignoré part le monde de la musique que je n’ai pu trouver aucun document iconographique, sonore ou vidéo pour illustrer ce modeste texte, synthèse de nos seules connaissances le concernant.