Franck à Liège

Superbe week-end qui s’achève, comme toujours, beaucoup trop vite. Non, je ne vous parle pas de la météo estivale de ces derniers jours, mais du festival César Franck qui s’est terminé hier soir à la Salle philharmonique de Liège. Et si les conditions climatiques ont joué en défaveur du plus liégeois des compositeurs français, comme on le dit bien souvent, les absents ont eu encore plus tort que d’habitude au regard des œuvres et des interprètes qui étaient au programme.

 

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Monument à César Franck dans le Foyer Eugène Ysaye de la Salle philharmonique.


Les festivités commençaient vendredi soir par un grand concert d’orchestre où l’OPL interprétait deux poèmes symphoniques assez célèbres, les Éolides et le Chasseur maudit. Très tôt, en effet, Franck s’était lancé dans l’aventure de la musique à programme telle que Franz Liszt l’avait pensée. Inutile de dire ici la qualité orchestrale et dramatique du Chasseur maudit qui figure au panthéon des œuvres de Franck. Sous la baguette de Stefan Sanderling, l’orchestre a donné toute la force dramatique de la pièce sans en alourdir la texture. Mention toute spéciale aux cors, menés par Nico de Marchi, superbes de grandeur.

 

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Cédric Tiberghien au stand Fnac pour une séance de dédicaces

Mais le clou de la soirée était l’interprétation des fameuses Variations symphoniques pour piano et orchestre par l’un des meilleurs pianistes français de la nouvelle génération, Cédric Tiberghien. Pour le pianiste comme pour l’orchestre, c’était l’occasion également de célébrer la sortie d’un nouveau cd consacré entièrement à Franck. On y retrouve notre soliste dans les deux œuvres concertantes, les Variations symphoniques et le trop rare poème les Djinns. Sous la baguette de l’éphémère François-Xavier Roth, l’orchestre complète ce superbe cd par nos deux poèmes symphoniques joués lors du concert.

 

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Après l’enchantement Tiberghien, dont le jeu, maîtrisé et nuancé était bouleversant, la journée de samedi débutait par un récital aux grandes orgues Schyven de la salle. Jean-Luc Thellin, organiste bien connu des liégeois, désormais installé à Paris, Interprétait les plus grandes pièces pour orgue ainsi qu’un arrangement de la géniale Symphonie en ré.


 

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La Salle philharmonique, l’OPL et les grandes orgues.


 

Les deux trios avec piano, œuvres de jeunesse étaient ensuite au programme. Pièces tout à fait inconnues et peu présentes dans la discographie, elles montrent, malgré certaines longueurs, les qualités de Franck et annoncent les procédés cycliques qui se généraliseront plus tard dans son écriture. Jean-Claude Vanden Eynden (piano), Marian Taché, l’un des concertmeister de l’OPL (violon) et Justus Grimm (violoncelle) en assuraient la brillante interprétation.

 

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Bertrand Chamayou au stand de la Fnac pour la séance de dédicaces.


La journée finissait par un grand récital de piano. Bertrand Chamayou, dont j’évoquais le disque consacré à la musique pour piano de Franck il y a quelques jours, nous proposait un superbe programme Franck, Liszt (on sait la profonde admiration de Franck pour son aîné) et Saint-Saëns. Chamayou est extraordinaire. Il sait tout faire avec une poésie exceptionnelle. Rien ne lui résiste. Ses extraits des Années de pèlerinage de Liszt sont exceptionnels, tant ils sont domptés, digérés et rendus avec un naturel unique. La redoutable Vallée d’Oberman restera un moment d’anthologie dans la mémoire des auditeurs. L’OPL annonce sa venue la saison prochaine pour l’intégrale du fantastique cycle des Années de pèlerinage en une journée! On s’en réjouit d’avance.

 

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Claire-Marie Le Guay et Yossif Ivanov au stand Fnac pour la séance de dédicaces.


Deux concerts au programme du dernier jour. Claire-Marie Le Guay donnait l’immense Sonate du même Liszt, au programme de son dernier disque salué par la critique. Superbe interprétation très fine de ce Faust pianistique. Elle était ensuite rejointe par le violoniste Yossif Ivanov pour le Poème élégiaque opus 12 d’Ysaye, l’un des grands amis de Franck et enfin pour la géniale Sonate pour violon et piano, celle qui constitua non seulement un cadeau de mariage pour son ami, mais aussi et surtout, aussi celle qui inspira , en partie du moins, Marcel Proust pour la Sonate de Vinteuil (voir le billet que je lui avais consacré il y a quelques mois).

 

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Le dernier concert retrouvait l’orchestre pour un programme construit autour de raretés. Le poème symphonique Ce qu’on entend sur la montagne n’est jamais joué. C’était donc l’occasion d’entendre une pièce, certes imparfaite et pas toujours inspirée, mais qui contient en germe les procédés orchestraux et thématiques utilisés dans les œuvres de la maturité ainsi que quelques belles trouvailles orchestrales.

 

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Après la formidable interprétation des Djinns par un Tiberghien particulièrement inspiré, le festival s’est achevé par la très rare version avec chœur du vaste poème symphonique Psyché interprété par le Chœur symphonique de Namur. C’est là le dernier Franck qu’on entend. Grande maturité de l’écriture, maîtrise des émotions, force absolue du sens dramatique et palette très vaste des couleurs orchestrales. Franck garde encore la réputation d’utiliser l’orchestre comme un orgue. Cette assimilation à la musique d’un organiste qui cherche à écrire pour l’orchestre n’est pas fondée à partir du moment où le chef et ses musiciens cherchent à donner aux doublures nombreuses de l’instrumentation une nouvelle couleur plus qu’un alourdissement opaque.

 

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Stefan Sanderling


Le maître d’oeuvre de ces concerts orchestraux est incontestablement le chef Stefan Sanderling qui a su donner à l’OPL ses plus belles couleurs, ses phrasés bien clairs et toute la nuance d’une musique trop souvent jouée de manière caricaturale. Il est vraiment incompréhensible que cette musique soit inconnue aujourd’hui tant elle annonce clairement l’écriture de la musique de Debussy et Ravel.

 

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L’imposant buste de César Franck trônant dans un des couloirs de la Salle philharmonique.


Alors, la grande leçon de ce week-end se trouve incontestablement dans le constat que la musique de César Franck n’est ni aussi démodée ni si obsolète qu’on le dit souvent. Les auditeurs pourront, à travers un judicieux choix (on avait déjà entendu le Quintette lors d’un festival récent), témoigner de la force expressive de sa musique. Cet hommage des liégeois à son plus illuste musicien répare des apriori trop longtemps entretenu. Pas de doute que le « Pater seraphicus » en aurait été très heureux.