Critique historique

 

Parmi les matières universitaires les plus marquantes de mon parcours d’étudiant (qui me semble déjà bien lointain !), la critique historique fut une révélation. Je me souviens du Professeur Massaut, sévère et austère en apparence, profondément humain, en réalité, qui représentait une autorité suprême et donc diffusait un sentiment de terreur dans la gente estudiantine au moment des sessions d’examens.

 

Il donnait à lire un ouvrage, d’apparence tout aussi intellectuelle, du grand historien liégeois Léon-E. Halkin : Initiation à la critique historique (Editions Serge Fleury, 1982). Mes souvenirs sont précis. Ayant acheté le dit livre avec des pieds de plomb et m’étant mis à la lecture avec la crainte d’encore me « farcir » un texte sans couleur ni émotion, je me suis vite rendu à l’évidence. Cet auteur là avait beaucoup à nous dire et de quelle manière ! J’ai avalé ce texte en quelques jours et relu au moins deux fois pour être sûr de bien en comprendre toutes les finesses de sa démarche. Naïf, je n’avais jamais, à l’époque, soupçonné que la démarche historique était conditionnée par toute une série de principes critiques qui doivent être mis à l’épreuve avec détermination et objectivité.

 

 


 

 

Critique historique Halkin

 

 


 

 

J’ai longtemps perdu de vue ce bouquin. Je m’étais dit que j’y reviendrais un jour pour encore approfondir son propos. Lorsque le moment fut arrivé, je l’avais égaré et il était épuisé. Par chance, on m’en a procuré un exemplaire que je viens de relire avec la même passion qu’au premier jour. Je mesure aujourd’hui ce que ma démarche musicale, artistique et historique lui doit.

 

Ancien élève de la Sorbonne et de l’Ecole Normale Supérieure de Paris, Docteur en Philosophie et Lettres, Professeur à l’Université de Liège et rempli de responsabilités diverses auprès des fédérations historiques et commissions de recherche, Léon-E. Halkin est surtout un homme qui a profondément réfléchi sur le « sens » de la démarche historique. Engagé politiquement durant la Seconde Guerre mondiale contre les idées de Degrelle, il s’est aussi insurgé contre la dictature de Franco en Espagne et contre la guerre du Vietnam. Son amour des droits de l’homme et son œcuménisme religieux en ont fait un historien doué d’une grande humanité digne de figurer parmi les auteurs belges les plus intéressants et les plus prestigieux.

 

Les principes qu’il défend devraient servir de leçons aux journalistes, historiens et moralisateurs de tous poils qui, dans une démarche totalement erronée, orientent l’opinion publique vers des délires inacceptables. Oui, la démarche se veut d’abord scientifique. Etudier un pan de l’histoire, aussi minime soit-il, suppose d’abord une collecte et une analyse minutieuse des documents. Cela suppose également une indépendance affective face aux faits étudiés et une recherche d’objectivité qui sous entend la tolérance dans sa première acceptation. L’analyse des documents demande une connaissance de l’histoire de l’histoire car la démarche historique a elle-même évolué au cours du temps.


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 Léon-E. Halkin (1906-1998)  


Le Professeur Halkin passe ainsi en revue les attitudes et les réactions à adopter face aux documents et aux témoignages. Il insiste sur l’obligation de maîtriser les « sciences auxiliaires » qui permettent d’éclairer certains aspects particuliers de la recherche. Il fait prendre conscience de l’utilité de l’histoire de la philologie et des contraintes géographiques. Il fait bien comprendre que celui qui veut étudie
r le passé doit s’ouvrir à tous les domaines des manifestations humaines. Il conclut enfin par l’essai de synthèse qui couronne le travail et par la nécessité de dépasser le cadre scientifique dans une implication personnelle formulant des hypothèses interprétatives. Bref, une bible pour qui veut chercher à expliquer notre passé.

 

Dans la seconde partie de l’ouvrage, il démontre exemples à l’appui des erreurs historiques commises par manque d’esprit critique. Il parvient à convaincre que le manque de recul face aux faits et les parti pris idéologiques sont des pièges dangereux. Les sujets abordent quelques grands noms de notre histoire occidentale (Erasme, Philippe II, Napoléon et Hitler) et des sujets particuliers comme l’intolérance et l’inquisition, la cruauté des exécutions capitales dans l’Ancien Régime,…

 

La grande leçon de critique historique ne se trouve pas dans les sujets eux-mêmes, mais dans la démarche d’approche à la fois rigoureuse et humaniste ainsi que dans l’acceptation de l’inévitable inexactitude de la discipline. Non, les deux ne sont pas inconciliables. Au contraire, cette démarche est la seule qui peut faire de cette branche des sciences humaines qu’est l’histoire, un témoin du passé pour agir dans le présent et préparer le futur.


 

P.S. Un grand merci à Monsieur et Madame Halkin pour m’avoir permis de retrouver cet ouvrage.