Dura lex sed lex

 

Nos sociétés sont encore animées par de redoutables tabous en matière d’euthanasie. Les journaux ne cessent d’évoquer cette française de 52 ans atteinte de manière incurable d’un cancer très rare. Une tumeur qui répond au nom barbare et effrayant d’esthésioneuroblastome, procure à Chantal Sébire des douleurs constantes et insupportables. De plus, cette maladie déforme son visage et sa tête de manière monstrueuse et aucune solution médicale ne peut plus lui venir en aide.

 

Conséquence logique, elle demande aux autorités françaises le droit de s’en aller dignement par une euthanasie assistée médicalement. On lui propose de la placer dans un coma artificiel jusqu’à ce que son cœur « lâche ». Le suicide étant un acte violent, je comprends parfaitement la demande de la patiente pour qui le futur ne peut plus être envisagé. Mais les lois de nos pays ne l’entendent pas de cette manière. L’euthanasie est loin d’être autorisée dans la plupart des pays d’Europe. Le débat est très complexe et fait appel aux vieilles notions judéo-chrétiennes ou simplement religieuses qui sont profondément ancrées en nous. Si la vie est sacrée, cela semble une idée admise par le plus grand nombre, qu’en est-il de la dignité ? Les excès d’une acceptation du suicide assisté médicalement sont dangereux, certes, mais n’est-ce pas aussi le rôle des responsables politiques et médicaux que de veiller au « bien » du malade ? Pourquoi faudrait-il qu’un être souffre atrocement sous prétexte de nos craintes face à la mort ? Tout simplement, pourquoi l’homme doit-il souffrir ?

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 E. Munch, Le Cri  

Je n’ai pas de réponses à ces questions de société importantes. Mais il m’arrive souvent de m’interroger sur la place de la mort dans la vie de l’homme. La formule peut sembler paradoxale, mais il faut admettre, sans pour autant en faire une obsession, que si nous naissons, c’est pour mourir un jour. Ce qui gêne, c’est de prévoir la manière et le moment de quitter cette terre. En fonction de la philosophie de chacun et de ses propres convictions, les avis seront partagés et il faut les respecter. Mais pouvons-nous imposer nos propres idées aux autres ? N’aurions-nous pas le libre arbitre nécessaire pour assumer nous-même notre destin ? La mort est-elle toujours une fuite ?

 

Cicéron, dans « Devant la souffrance », prétendait que : « Le mépris de la mort est la condition essentielle pour libérer l’âme de la peur de mourir ». Si, dans de nombreuses citations, le grand penseur romain nous a montré une lucidité profondément humaine, il me semble se fourvoyer gravement ici et faire preuve de peu de psychologie humaine. En effet, personne ne peut mépriser la mort. Dans la formule, c’est le mot « mépriser » qui me semble inadéquat, car mépriser, c’est exclure et personne ne peut exclure de son existence la pensée de sa propre fin. Ce qui est, par contre, possible comme de nombreuses philosophies et même de religions le suggèrent, c’est de s’habituer à l’idée qu’un jour on ne sera plus. Il nous admettre que le jour où nous ne serons plus, le monde continuera de tourner et que la douleur ne sera plus pour nous, mais pour ceux qui nous auront aimé. L’admettre et s’y accoutumer, ce n’est pas mépriser, c’est là la vraie jouissance de la vie. Lorsque cette jouissance n’est définitivement plus possible (attention aux diverses nuances du mot), il nous faut partir.

 

Je crois en toute sincérité qu’il y a des souffrances physiques et morales plus terribles que la mort et que la science, si évoluée aujourd’hui, ainsi que nos élus devraient se pencher sur ces cas particuliers pour non seulement aider les malades à partir dignement, grâce à un personnel médical et psychologique formé et adapté, mais aussi pour légiférer de telle manière que les abus et les dérives soient évités. C’est un vrai débat de société. Il nous touche potentiellement tous et doit nous faire réfléchir au-delà de nos passions et de nos peurs.