La quête du Graal

Gurnemanz :

Du bain déjà le roi revient ;

Le jour s’avance :

Moi-même au saint banquet je veux te conduire,

Si tu es pur

Attends du Graal breuvage et nourriture.

Parsifal :

Qui est le Graal ?

Gurnemanz :

Le dire est vain ;

Mais si c’est toi qu’il vient d’élire,

À tout jamais il va t’instruire.

Et vois !

Je crois avoir vu clair en toi.

Vers lui ne s’ouvre aucun sentier

Et nul ne peut trouver la route

Qu’il n’ait pas dirige lui-même.

Parsifal :

Je marche à peine

Et suis déjà bien loin.

Gurnemanz :

Tu vois, mon fils,

Ici, le temps devient espace.

 R. Wagner, Parsifal, Acte I (1882) 


Graal 2


Parsifal n’est peut-être pas aussi niais qu’on veut bien le dire généralement ! Le Graal nourrit de fait ses chevaliers. Cela leur permet non pas une jeunesse éternelle, mais une existence hors du temps.  

Le grand enjeu de cet opéra particulier est, je crois, de parler du temps comme l’essence de la tragédie humaine. Un temps mortifère et irrécusable. Celui qui fait que l’homme naît, vit et meurt. C’est le lot du chaque créature vivante et, en même temps, une source d’inquiétude existentielle qui effleure chaque homme. C’est aussi la cause de la philosophie, des spiritualités et des religions. Se donner une explication de la tragédie consiste, en effet, à en rechercher la raison.


 Sablier, le temps qui passe


Le Graal, mythique et légendaire, est source de connaissance infinie. Qu’est-ce que cela veut dire ? D’abord, il offre à l’initié une position hors du temps (non temps). Cela revient à dire que, en l’absence d’assujettissement au temps, les chevaliers sont dégagés de la tragédie. Ils ne l’imaginent même plus. Ils existent dans un absolu idéal à la seule condition que le roi soit capable d’accomplir le service du Graal (simulacre d’office religieux).

Malheureusement, le roi lui-même a été corrompu par les valeurs terrestres purement liées au temps. Il a succombé, comme nous tous aux séductions du monde (c’est d’ailleurs la preuve qu’il est humain). La conséquence est simple et terrible à la fois. Le Graal n’est plus actif et le monde des chevaliers est entré dans le temps mortifère. Ils vieillissent ainsi que tout leur entourage. Aucun baume ne vient soulager le roi incapable de continuer sa « sainte » mission. La faute à qui ? A ce terrible Klingsor qui a réussi à corrompre le roi ou, peut-être tout simplement, à la nature humaine dont le magicien est sans doute la face sombre ? Le principe de l’homme et son double, si cher aux romantiques à l’approche des progrès sur la psychologie et de la psychanalyse me semble év
ident. Le monde déstabilisé par la confusion entre amour charnel, sensualité, sexualité et Amour total comme point d’aboutissement de la compassion (au vrai sens du terme, « souffrir avec »).
C’est, pour les philosophes et pour Wagner (avec aussi des relents christianisés du bouddhisme) la cause essentielle de notre malheur. 

Parsifal réussira son pari (mais ce n’est pas un pari, c’est son destin !) s’il parvient à résister à cet amour « superficiel » engendré par les séduisantes filles fleurs et Kundry. Le symbole de sa victoire sera la récupération de la lance dérobée et l’effondrement du monde terrestre. Il lui suffira alors, au terme de ce voyage initiatique dans le monde, de se substituer au roi défaillant pour rétablir le culte du Graal, opérer de la sorte la Rédemption des « fautifs » et rétablir l’éternité par l’Amour-Compassion qui rejaillira sur les chevaliers leur rendant la connaissance suprême, le non temps, l’équilibre restauré.


 Graal


La sublime musique qui illustre le propos philosophique issu de Schopenhauer vise à montrer d’une part le temps aboli par un espace orchestral inouï et, d’autre part, un temps mortifère, au deuxième acte, perpétuellement sujet aux cassures rythmiques et harmoniques, incertain et tragique. 
Sous un propos puisant à toutes les sources des religions, des philosophies et des mythes, et développant de nombreuses incohérences et idées discutables, Wagner parvient à nous faire ressentir l’absence de temps dans l’art qui y est le plus lié, la musique. Pour cela, entre autres, Parsifal reste un monument exceptionnel de l’histoire de la musique et de la pensée humaine.

 

Un avis sur “La quête du Graal

  1. Oui, vous avez raison la musique de Richard Wagner arrête le temps.Il a arrêté ce temps dans le souvenir d’un choriste.C’était au siècle passé (fin des années 1980),à l’opéra d’Anvers,pendant la semaine sainte, avec le Männerquartett d’Eupen. En vrais preux chevaliers, revêtus d’une bure et d’une cotte de maille, agenouillés (pendant une demi-heure, merci les genouillères) autour du cercueil de Titurel, nous avons chanté ces merveilles que sont les choeurs à quatre voix d’hommes de Wagner.
    Pour souligner avec une pointe d’humour que l’espace peut se transformer en temps chez Wagner, le deuxième acte était encadré de deux demi-heures d’entracte. Pendant ce temps, comme nous ne chantions pas, certains choristes avaient la possibilité d’aller voir un film au cinéma voisin avant de reprendre dans le troisième acte.
    Merci de m’avoir rappelé ces instants de rêve et d’éternité.

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