« Je n’ai pas peur de mourir. Mais je n’ai pas envie non plus de ne plus vivre. Ne plus être là…Ne serait-ce que pour entendre un quatuor de Brahms ! »
A la veille de la nouvelle saison 2006/07, tous les musiciens et tous les mélomanes ont eu l’impression que quelque chose avait changé dans la vie musicale internationale. Les dépêches de la presse étaient unanimes : « Chef d’orchestre de réputation mondiale, Armin Jordan s’est éteint dans la nuit de mardi à mercredi, le 20 septembre 2006 à l’âge de 74 ans. Il avait été directeur artistique de l’Orchestre de la Suisse romande de 1985 à 1997. Sous sa conduite, l’orchestre avait multiplié les tournées et les concerts dans le monde. »
Pris d’un malaise en scène et décédé quelques jours plus tard à l’hôpital, Armin Jordan est mort comme il a vécu, en faisant de la musique. Je me souviens avec émotion que lorsque Jean-Pierre Rousseau, directeur de l’OPL a pris la parole lors du concert d’ouverture de cette saison là, il a annoncé au public la perte d’un ami cher et de longue date. L’affection qu’il éprouvait pour l’homme et le musicien était partagée par tous les musiciens qui adoraient jouer sous sa direction et le public qui sentait la présence d’un chef hors du commun, parmi les plus grands de son temps.
J’étais dans le public ce jour là et j’ai d’autant plus ressenti la tristesse que j’avais eu la chance de travailler deux fois avec le Maestro. Il était simple et sans manières. Il m’a beaucoup appris sur la neuvième symphonie de Schubert et la quatrième de Mahler, mais j’ai surtout été très impressionné lors des répétitions. Cet homme dont la santé ne tenait plus qu’à un fil, qui peinait à se déplacer de quelques mètres tant sa respiration de grand fumeur était faible, se métamorphosait lorsqu’il montait au pupitre. Il parlait peu et quand il disait quelques mots, c’était soit pour raconter une bonne blague, soit pour, en quelques phrases bien ciblées, expliquer la phrase musicale, son harmonie ou sa rythmique. Les musiciens le comprenaient par le geste et le regard. Il n’avait rien de la star de la baguette, il était juste un superbe musicien.
Ayant donc eu la chance de parler avec lui plusieurs heures entre les répétitions, je peux affirmer qu’il était dans la vie comme à la scène. Grand amateur de football (il ne ratait aucun match dans ses chambres d’hôtel) et premier fan de son talentueux fils Philippe Jordan, chef d’orchestre comme lui et dont il feignait d’être jaloux, c’était un homme qui avait senti au plus profond de lui-même toute la force humaine de la musique.
Un des plus grands honneurs qu’il m’ait fait, je le dis avec beaucoup de modestie (on est peu de chose face à ce type de personnage) est de me dédicacer l’affiche de notre dernière prestation. Je la garde jalousement et vous la montre aujourd’hui avec une certaine fierté.
C’était quelques mois avant sa disparition, c’est pour cela que je voulais qu’on s’en souvienne aujourd’hui. Alors rien de mieux pour lui rendre hommage que de l’écouter diriger cet adagio de B. Bartok…
cher Jean-Marc, oui deux ans déjà ! Merci pour ce bel hommage que vous rendez à notre cher Armin Jordan. J’ai encore du mal à me faire à l’idée qu’il n’est plus. Je repense encore à ce mercredi 20 septembre 2006, où je suis réveillé au petit matin par un coup de fil tragique. Le soir à 18h30 je devais présenter un « Ecouter la musique » sur la 5e symphonie de Mahler – en prélude au premier concert de Pascal Rophé comme directeur musical de l’OPL – J’ai choisi de commencer la séance par un extrait du 4e mvt (« La vie céleste »!!!!) de la 4e de Mahler que vous aviez présentée, cher Jean-Marc, et qui était le dernier témoignage d’Armin à la tête de l’OPL. Je fus, pendant de très longues secondes, incapable de reprendre la parole, submergé que j’étais par l’émotion. Et pourtant, dans notre métier, « the show must go on ». So long, Armin…