On quitte le monde britannique pour se diriger vers l’Autriche et, avec Schubert, dire quelques mots du deuxième mouvement de la sonate, matière abordée lors des derniers cours à l’U3A. Comme plusieurs participants me l’ont demandé, voici un résumé très condensé (n’attendez pas de moi une transcription du cours de deux heures, c’est impossible dans ce cadre… !) des propos que je tenais à ce sujet mercredi après-midi.
De plus, demain, je m’en vais à Spa faire un exposé sur le second trio avec piano (entre autres) de notre viennois en introduction au concert organisé par l’Automne musical. Les musiciens seront Jan Vermeulen au piano, entouré du Tröndlin Ensemble. La soirée devrait être superbe pour les amoureux du Schubert, et ils sont nombreux.
La sonate, je le disais récemment à propos de Beethoven et de sa sonate « le Printemps » (http://jmomusique.skynetblogs.be/post/6242398/premiere-approche) , est un ensemble de mouvements unis autour de relations subtiles qui permettent une homogénéité du discours et un propos plus vaste que la pièce isolée. Il n’est donc pas étonnant qu’après le mouvement complexe qui débute la dite sonate, le compositeur et l’auditeur aient besoin d’un mouvement plus simple. C’est, en tous cas, le postulat du deuxième mouvement. Cette volonté de simplicité se trouve tout naturellement dans la forme vocale de la mélodie chantée avec accompagnement de piano ou dans l’air d’opéra, ce qui explique son nom. Forme lied fait clairement allusion à ce qu’on nomme le da Capo. L’expression signifie tout simplement qu’elle reprend, après deux épisodes contrastés, la partie initiale, en la variant ou non.
La plupart des grands airs d’opéra et les mélodies fonctionnent sur ce modèle symbolisé par les lettres A-B-A’. Vous en trouverez un modèle particulièrement éloquent dans le fameux air de la Passion selon Saint Jean de J-S Bach : « Es ist vollbracht » pendant le quel le chanteur médite d’abord tristement sur la dernière parole du Christ en Croix avant qu’un chœur, en plein contraste, vienne proclamer la victoire de la Résurrection sur la mort. Pour conclure, le soliste revient à sa méditation première et conclut ce chef d’œuvre dans l’affliction. On imagine aisément toute la symbolique et la rhétorique que Bach place dans un tel morceau, l’un des plus émouvants de toute l’œuvre. N’entrons pas trop dans le détail aujourd’hui.
Transposé dans le domaine instrumental, cette forme propice aux sentiments les plus lyriques garde les caractères de contrastes. La première partie de cet Andante con moto de Schubert, composé presque en même temps que le cycle ultime de lieder « Winterreise » à la fin de 1827. Il représente l’une des pièces musicales les plus expressives du compositeur. La partie A débute par une mise en marche sur une battue à deux temps, le pas du Wanderer (l’errant) si typique de notre compositeur. Une première mélodie s’élève doucement au violoncelle sur les accords répétés du piano. Cette phrase terminée, elle est aussitôt reprise par le piano tandis que le violoncelle, rejoint par le violon accompagnent (inversion). La première partie se termine dans cette formule très expressive, dans la tonalité toute intérieure, introspective et sombre de do mineur.
Soudain, sans qu’on puisse savoir pourquoi, tout se transforme et on passe dans un mi bémol majeur beaucoup plus lumineux. Le piano déploie de larges arpèges tandis que le violon et le violoncelle chantent, dansent presque débarrassés du poids du début. Comme si le promeneur s’était arrêté au bord du chemin pour observer de loin la joie d’une fête de village. C’est la partie B.
Son chant poignant reste distant et semble ne pas vraiment concerner celui qui chantait sa douleur il y a quelques instants encore. Elle se fait plus présente, évoque un instant la Truite, mais s’enfonce dans une vaine excitation dramatique, comme une rage de ne pas y prendre part. Un râle du violoncelle met fin à la seconde partie.
Le retour (da Capo) de la première partie se fait alors sur un ton plus désespéré encore. C’est A’, jamais si bien justifié qu’il entre dans un processus de dramatisation extrême par les modulations abruptes qui évoquent le genre littéraire de la Ballade romantique. Et voila Schubert qui se reprend à rêver d’une vie meilleure. Les rumeurs de la danse reviennent en do majeur et s’élancent encore plus fort. Pas de succès cependant et de nouveau, la rage fait son entrée. C’est un B’ conclu lui aussi par le râle du violoncelle. La tonalité mineure revient et son premier thème chante une dernière fois sa tristesse. C’est A’’. La coda qui conclut le mouvement reste sur ce thème encore ralenti, émouvant, solitaire et résigné.
Ce plan s’écarte légèrement du traditionnel A-B-A’ au profit d’une forme plus vaste et plus dramatique A-B-A’-B’-A’’ proche du rondo (la partie A faisant office de refrain) et de la forme sonate du premier mouvement (exposition- développement- réexposition). Cela nous montre que dans le XIXème siècle, le compositeur veut faire obéir la forme au propos qu’il doit exprimer. Il n’obéit plus aveuglément aux canons scolaires des formes, équilibrant, à partir d’un squelette, bien clair tout de même, sa forme musicale dans l’optique du lied (chez Schubert, tout est chant). Et maintenant, on écoute…et on oublie tout. Frank Braley et les frères Capuçon interprètent cette superbe musique.
Le résultat est saisissant et témoigne de toutes les souffrances de ce jeune homme qui devait mourir à trente et un an.
Pour diverses raisons, nous ne pouvions pas assister à votre cours de mercredi dernier.
On n’a eu ,ni le son ni l’image, mais l’évocation d’un des moments les plus profond de la musique de chambre.
Etre capable de déchiffrer une partition est un sérieux avantage!!
Encore Merci!!