J’ai toujours été fasciné par l’univers et par l’immensité tant spatiale que temporelle de ses descriptions. Si toutes les mesures sont relatives par rapport à une échelle donnée, on peut cependant observer, dans notre monde, une série impressionnante de similitudes de fonctionnement tantôt étourdissantes, tantôt effrayantes.
Parmi les objets encore peu connus se trouvent les fameux trous noirs souvent remis en question jusqu’au jour où, sans qu’on puisse vraiment les observer, les physiciens convinrent de leur réalité. Sans être un spécialiste de l’astrophysique, je voudrais d’abord les décrire sommairement avant de les porter à quelques comparaisons à l’échelle de notre vie.
Un trou noir est un objet massif dont le champ gravitationnel est si intense qu’il empêche toute forme de matière ou de rayonnement de s’en échapper. De tels objets n’émettent donc pas de lumière et sont alors noirs. Les trous noirs sont décrits par la théorie de la relativité générale. Ils ne sont pas directement observables, mais plusieurs techniques d’analyse de longueurs d’onde ont été mises au point et permettent d’étudier les phénomènes qu’ils provoquent dans leur entourage. Il semble que la matière qui est happée (car rien ne peut résister à son attraction) par un trou noir est chauffée à de très fortes températures avant d’être engloutie irrémédiablement. Avant de disparaître, la matière ainsi condamnée émet des rayons X que l’on peut détecter.
Le concept de trou noir ne date pas d’hier. Il est apparu lors des recherches sur la gravitation universelle d’Isaac Newton : « La question était de savoir s’il existait des objets dont la masse était suffisamment grande pour que leur vitesse de libération soit plus grande que la vitesse de la lumière » (Wikipedia). Mais c’est surtout avec Albert Einstein et la théorie de la relativité, en 1905 d’abord, puis en 1915, que cela devint un objet digne d’attention scientifique importante. Le physicien Karl Schwarzschild (cela ne s’invente pas !) propose une solution aux théories d’Einstein. Pourtant, ce n’est que dans les années 1960, un peu avant les premières observations, qu’on prit vraiment conscience de leur existence. Chose curieuse et amusante, la dénomination de trou noir a fini par remplacer les premières terminologies de « corps de Schwarzschild » ou d’ « astre occulus » après de nombreuses réticences des français et des russes qui trouvaient ce nom inconvenant…
Depuis lors, le trou noir est entré au panthéon des fantasmes les plus fous. Films et romans de science-fiction, pseudo théories spirituelles et religieuses, hantises diverses de l’engloutissement. N’a-t-on pas craint (certains scientifiques américains en tous cas) que, le jour de l’inauguration du gigantesque accélérateur de particules, le LHC près de Genève, un jour d’octobre 2008, ne vienne engloutir la terre dans un trou noir provoqué par la collision des particules ?
Intérieur du LHC
Il semblerait que le trou noir est provoqué par une étoile en fin de vie qui, ayant brûlé toute son énergie enfle de manière terrible et augmente sa masse avant de s’effondrer sur elle-même en entraînant dans sa chute tous les objets alentours. On peut même affirmer que son effondrement la réduit à une tête d’épingle… Mais une étoile, c’est le symbole d’une vie. Elles naissent, grandissent, dépensent leur énergie … et meurent. Notre soleil, un jour, s’éteindra lui aussi. Il aura longtemps entraîné les planètes du système solaire dont notre terre qui possède la caractéristique d’abriter la vie et les hommes capables de comprendre et…peut-être de créer des trous noirs. Quel paradoxe… ! Pas tant que cela.
Lorsqu’on examine le comportement de l’homme sur sa planète et sa « civilisation », on ne peut s’empêcher de constater un engrenage infernal non seulement dans la consommation effrénée des ressources de la terre au point de la rendre invivable dans quelques temps, mais aussi dans son comportement idéologique qui révèle un danger aujourd’hui perceptible. La cause est simple. A force de considérer que le bonheur réside dans la possession de biens nombreux et dans la consommation goulue, l’homme a créé un système ultra libéral basé uniquement sur l’argent. Celui qui possède l’argent possède aussi la puissance donc le bonheur (CQFD). Mais dans sa soif de puissance, l’homme a fini par dérégler le système et a contourné toutes les barrières éthiques. A force de vouloir briller comme notre &eacut
e;toile, il s’est compromis dans gaspillage des vraies richesses. Il est peut-être arrivé à un point de non retour.
L’actualité boursière et bancaire de ces derniers temps me fait penser à une étoile qui s’effondre sur elle-même en entraînant toute l’humanité dans son cataclysme. La spirale semble être difficile à contrôler. Les milliards d’euros ou de dollars avancés par les gouvernements semblent inefficaces car ce n’est qu’une poussière face à l’étoile démesurément gonflée et le chiffre total des pertes liées à toutes les banques du monde dépasse sans doute tout l’argent du monde. C’est comme quand l’étoile s’effondre, elle happe tout, déformant tant les formes que le temps. L’argent des gouvernements est donc englouti aussi vite sans apporter la moindre solution, tout au plus un léger sursis. Rien n’échappe au trou noir… et cette fois, c’est l’homme qui l’a créé ! Autodestruction, inconscience ? Rappelons-nous la citation de Raymond Aron publiée dimanche dernier sur ce Blog: « L’homme est un être raisonnable, mais les hommes le sont-ils ? ».
… Et plus près de ce qui m’occupe d’habitude, l’art et la musique, peut-on trouver des traces de trous noirs ? Sans doute. La fameuse valse viennoise, par exemple, est un témoin privilégié d’une époque de l’histoire humaine. Elle est née de danses de bal (j’y reviendrai). Elle s’est mise à briller au firmament des salons riches en lumières, en belles tenues et en luxe incroyable. La famille Strauss l’a menée à son apogée, le monde entier l’a dansée. Pourquoi donc ? Simple effet de mode ? Pas seulement.
Elle est apparue à un moment crucial de l’histoire de l’Occident. Au moment où les frontières doivent se redessiner pour chercher un nouvel équilibre, le Congrès de Vienne, en 1815, rassemble toutes les têtes couronnées d’Europe qui ont quelque chose à dire. Mais voilà, comme le signale Talleyrand : « Le congrès n’avance pas, il valse ».
Permettant de se donner le vertige et l’illusion que tout va bien, les anciens empires sont en train de battre de l’aile. La sensualité de la danse de couple, la proximité des corps, le tournoiement des couples sont autant de planètes qui n’imaginent pas que dans leur luxe et leur bonheur de façade, le monde, leur étoile est en train de changer. Alors la valse enfle, éblouit, détourne le regard des pouvoirs officiels tandis que d’autres, dans l’ombre profitent de la situation. Le résultat ne se fera pas attendre longtemps. La première guerre mondiale éclate et ramène tout ce petit monde à une réalité qu’il n’avait plus l’habitude de voir en face. C’est trop tard. L’Europe se déchire, les champs de bataille résonnent des lointains échos de la valse devenue une machine à broyer. Il ne lui reste plus qu’à s’effondrer sur elle-même. Et cela, c’est un français qui nous le fera sentir le mieux.
La Valse de Ravel, tout en étant un monument à la mémoire de la danse désormais universelle, est aussi une stèle en souvenir de l’effondrement du monde et une mise en garde pour l’avenir. Comme dans le Boléro et le Concerto pour la main gauche, la fin de la pièce est aussi spectaculaire qu’effrayante. La machine s’est enrayée, le temps se disloque, on peine à retrouver le trois temps légendaire. L’orchestre s’est fait monstre, comme l’étoile menaçante par son intense champ gravitationnel. Dans un vacarme terrifiant et dans son dérèglement total, elle s’effondre sur elle-même en deux secondes. Il ne reste plus rien. Le silence, trou noir musical, fait place au vide. Le temps, l’orchestre, la danse et, au-delà, le monde, l’homme, la vie, tout a été englouti…Il ne reste que nous, auditeurs ahuris, qui devons comprendre, une fois de plus que l’art n’a pas seulement fonction d’amuser, mais représente souvent une mise en garde contre les excès et les dangers qui guettent l’homme raisonnable, mais les hommes le sont-ils ?