Première approche IV : La forme rondo

 

Arrivant enfin au bout de notre sonate, nous rencontrons le final, mouvement qui couronne l’édifice. Il s’agit sans doute là du mouvement qui a évolué le plus au cours de l’histoire. Mais revenons aux raisons de sa forme : le rondo. 

En musique, le rondeau est une forme musicale, vocale au départ, alternant un refrain et plusieurs couplets. L’orthographe « rondo » est admise pour faire référence à sa forme instrumentale uniquement, telle qu’elle apparaît au XVIIème siècle. 

D’origine  lyrico-chorégraphique et devenu forme poético-msuicale, le rondeau est traité de manière polyphonique dès le XIIIème siècle par Adam de la Halle et Jehan de Lescurel. De tous les genres à forme fixe, c’est celui que les musiciens mettront le plus longtemps en musique. De plus, le rondeau deviendra, au tournant du XVème siècle, la forme musicale de prédilection (au détriment de la ballade et du virelais) dans la musique profane.


 

Rondeau des bergers

 


 

Sa forme est simple. Elle alterne un refrain simple et des couplets, à la manière d’une chanson. Les musiciens français de l’époque baroque en feront souvent usage dans les suites de danses. En effet, le rondeau est aussi, avec la même forme, une danse traditionnelle de Gascogne (voir l’exemple ci-dessous). Souvent danses de groupes, il en existe dans le sud de la Gironde qui se dansent en couple. Mais cette forme musicale simple nous occupe en tant que dernier mouvement de la sonate classique.


 

Rondeau_de_Garein_2
 


A-B-A-C-A-D-A + CODA

 

En effet, au moment où les concerts privés se développent et que les impresarios ont besoin de rentabiliser leur salle, on constate une grande évolution de la démarche des compositeurs désireux de plaire au public. On sait que les grands interprètes vont bientôt parcourir l’Europe et devenir les stars de la scène. Il faut donc, pour assurer les applaudissements et le succès public, des formes qui permettent une mémorisation facile d’une mélodie qui reste en tête après le concert et une virtuosité exceptionnelle du musicien qui assure le spectacle. Dans ces conditions, la forme rondo s’impose tout naturellement. Elle permet la redite régulière du refrain, phrase simple et efficace tandis que chaque couplet déploie d’ingénieuses parties plus virtuoses les unes que les autres. La formule marche bien et le succès est au rendez-vous. 



 

 

Pourtant, on le sait, les compositeurs ne sont pas toujours friands de ces concessions au public qui plongent souvent leur musique dans une forme politiquement correcte qui, certes, témoigne d’une belle facture, mais ne se libère pas vraiment (lire à ce sujet les remarques de Jean-Pierre Rousseau dans son article « Prudente jeunesse » : http://rousseaumusique.blog.com/3989814/ ). Il en résulte une évolution rapide dès la seconde moitié du XVIIIème siècle. On introduit d’abord un second refrain qui vient contrebalancer le côté joyeux du premier. Les couplets se transforment en un mélange entre la virtuosité traditionnelle et le développement thématique des refrains, bref,  la forme se complique.  

ELEMENTS RONDO      =         FORME SONATE

Refrain 1-Couplet-Refrain 2  = EXPOSITION

Couplet = aménagement des refrains = DEVELOPPEMENT

Refrain 1-Couplet-Refrain 2-CODA = RE-EXPOSITION

 

La conséquence est prévisible. Le rondo devient un mélange entre la forme habituelle et la forme sonate. Le rondo-sonate qui naît de la fusion des deux formes nous offre deux refrains (thèmes 1 et 2) qui se présentent en une exposition de sonate. Ils sont séparés par une transition qui fait office de couplet. La partie centrale transforme les thèmes en un développement avant de les ré exposer et de conclure le mouvement et la sonate.  

Ce mélange des deux formes permet un travail psychologique plus profond qui va correspondre idéalement aux envies des romantiques de faire de la sonate dans sa totalité un parcours initiatique homogène. Le quatrième volet en devient l’aboutissement. Pensez aux finals de Beethoven et à leur direction remarquable dans la cinquième symphonie et même dans la neuvième qui utilise le fameux hymne à la joie comme refrain (et thème) principal. 

La sonate est donc devenue une véritable grande forme qui va encore évoluer. Le final, qui en constitue le point d’aboutissement ne gardera pas pendant tout le XIXème siècle une forme aussi claire. C’est encore une fois le principe d’autorité du compositeur sur son œuvre qui en repousse les limites. Ainsi, Schubert y placera une joie simulée qui retombera dans la gravité avant de conclure « parce qu’il faut bien » (écoutez le final du second trio ramenant la mélodie de l’andante). Mendelssohn introduit le choral luthérien « Ein feste Burg ist unser Gott » (Notre Dieu est une immense forteresse) qu’il désire placer en exergue de sa symphonie « Réformation » destinée à commémorer les 300 ans de la Confession d’Augsbourg.  


 Mendelssohn, Final de la Symphonie n°5 « Réformation » par LSO, dir. Cl. Abbado


 

D’autres feront aboutir le final au firmament d’une rédemption solennelle et religieuse. Bruckner récapitule toute sa cinquième symphonie avant de créer un semblant de rondo, une double fugue très complexe et, in fine, le choral rédempteur qui arrive à l’extrême fin à montrer la sortie vers la lumière. 

Vous l’avez compris, la forme initiale du rondo disparaît du final et ce dernier devient une forme aussi complexe que celle des autres mouvements. C’est en effet le dernier épisode d’une saga qui dure parfois depuis plus d’une heure. Les finals de Mahler trouveront encore une autre dimension en étant souvent des mouvements lents. Ce sont généralement des adieux (dans l’esprit en tous cas) qui aboutissent dans un ailleurs longtemps attendu (Troisième symphonie, Chant de la Terre, Neuvième symphonie). Ils restent parfois des rondos vifs voir violents qui marquent la tragédie jusqu’aux dernières notes (sixième symphonie) ou l’ironie légère (quatrième symphonie) et pesante (cinquième).  

Désormais, chaque final dépend du contenu des autres mouvements et plus aucun n’obéit aux règles anciennes. Il devient aussi dense que les autres mouvements et doit être examiné en rapport avec ceux-ci. Il s’est affranchi de ses règles comme le scherzo l’avait fait du menuet. 

Voilà la sonate examinée sommairement du début à la fin. Vous trouverez peut-être ces articles un peu arides. Certains diront qu’ils brisent la magie de la musique. Il ne faut jamais confondre l’intellectualisme pur qui dissocie le discours de l’émotion sans les relier et l’analyse, qui possède forcément un aspect intellectuel, dont le but réside dans l’apprentissage d’un ressenti plus intense encore de la musique. Les formes ne sont qu’un moyen pour apprendre le langage des compositeurs. Comme une langue que l’on peut aimer pour sa couleur, sa sonorité, la musique ne se suffit pas d’une écoute superficielle. Vous pouvez aimer un poème déclamé en italien, mais vous le ressentirez plus fort si vous en comprenez le sens. Les formes décrites et analysées dans ces articles « Premières approches » servent à nous familiariser avec un langage souvent ambigu qui nous séduit tant qu’on pourrait croire qu’il n’y a rien à comprendre ou à découvrir au delà de notre spontanéité. C’est une erreur que font encore trop de mélomanes aujourd’hui. Il passent à côté, il me semble, du pan le plus important de la musique, la vraie transmission de l’émotion.