Chef d’orchestre ?

 

 

J’aimerais aujourd’hui vous donner à lire un extrait d’article tiré de l’excellent ouvrage sur la musique d’André Souris, déjà mentionné ailleurs (Conditions de la musique et autres écrits, éditions de l’Université de Bruxelles, 1976, épuisé, mais sans doute disponible en bibliothèque). Il y parle du chef d’orchestre avec un sens particulièrement perspicace. On se rend compte non seulement que trente ans plus tard, rien n’a changé, mais aussi que ce métier est sans doute l’un des plus difficiles et fascinants dans le domaine de la musique. C’est bien sur pour cela que les grands chefs sont aussi rares. 

« Mais le chef authentique est celui qui décide de tout ; aussi bien des valeurs qualitatives des timbres que des variations de vitesse, de la transparence de polyphonies que du rapport alterné des volumes, des zones de silence que du caractère des attaques, de la dialectique architecturale que des substructures harmoniques, et de cent autres subtilités dont il est le seul maître. Ce n’est qu’au prix de son intervention souveraine dans la morphologie du complexe orchestral qu’on peut le dire responsable des effets qu’il engendre.


 

Chef d'orchestre
 


 

Comment se fait-il que faute de tout cela, le rôle du chef étant réduit, comme il arrive, à sa seule présence, des concerts aient cependant lieu et soulèvent l’enthousiasme de maint auditoire ? C’est que, dans une large mesure, un bon orchestre peut se suffire à lui-même, au point de mener à bien une exécution correcte d’œuvres connues sans trop s’inquiéter du personnage qui gesticule inefficacement sur sa petite estrade. La seule concession qu’on lui fasse est de commencer l’entreprise avec lui, et autant que possible, de la finir. 

On se figure mal, d’ordinaire, la puissance de cohésion spontanée, la tacite entente d’un grand orchestre. C’est justement quand il est aux prises avec un chef inconscient que l’orchestre peut le mieux manifester ses propres pouvoirs. Rien n’est plus instructif, à cet égard, que ces exécutions au cours desquelles le chef se livre à une mimique toute arbitraire sans que rien n’y réponde jamais – tandis que l’orchestre s’applique de toutes ses forces à résoudre des problèmes que le chef ignore !


 

Fred-Caillou-chef-d-orchestre


 

Si cette indépendance n’est guère soupçonnée du public, elle fait, à juste titre, la fierté des musiciens. Quant aux chefs, ils ne tendent qu’à la sous-estimer. C’est que cette puissance autonome de l’orchestre les tient constamment en échec et qu’ils pressentent qu’elle ne cesse de mettre en question, dans une certaine marge, la nécessité même de leur rôle. 

Ce qui donne à penser qu’un honnête pédagogie de la direction devrait s’élaborer à partir d’un exacte description des puissances de l’orchestre, considéré non plus théoriquement, mais comme un instrument collectif agissant par lui-même et compliqué de réactions psychologiques ».


 

Orchestre


 

En citant ce texte, je n’ai pas le but de mettre des noms sur ces chefs surestimés par le public. Les directeurs de maisons d’opéras et de concerts sont capables de faire leur marché en toute connaissance de cause et de proposer aux auditeurs ceux qu’ils ont repéré comme de bons chefs d’orchestre. Pourtant, nul n’est à l’abri d’une erreur et il arrive parfois qu’un gesticulateur fasse son entrée sur les scènes du monde entier. Les musiciens, comme le dit Souris, assurent alors le « bon » déroulement des opérations. Il suffit de bavarder avec des musiciens pour se rendre compte que, malgré toutes les précautions prises, cela arrive parfois. J’ai en tête quelques souvenirs précis. 

Décidément, il me semble que le bon chef est avant tout un excellent musicien qui parvient à réaliser, avec la passion qui lui est propre, son image sonore intérieure. Il sera le plus vrai et le plus crédible s’il possède sa partition à fond. Cela ne signifie pas que tous seront d’accord sur son interprétation de l’œuvre. Cela, c’est un facteur purement humain. S’il est sincère et sait, en travaillant avec beaucoup de psychologie et d’efficacit&eac
ute;, à faire passer auprès de l’orchestre sa vision de l’œuvre, alors il sera toujours soutenu par les musiciens. Il doit faire preuve d’honnêteté et, dans une large mesure, n’être pas dépendant des bravos et concessions à un public souvent avide de spectacle.


 

Partition d'orchestre


 

Je ne prétends pas que le spectacle est absent de la prestation d’un chef, je dis simplement qu’il n’en est pas le but. Servir la musique et la faire vivre à travers le concert et la complicité de l’orchestre, voilà, il me semble, toute l’importance d’un vrai chef d’orchestre. Heureusement, ces hommes là existent, nous les rencontrons souvent.

Un avis sur “Chef d’orchestre ?

  1. Si on peut être impressionné par les gesticulations d’un chef lors d’un concert, par contre le CD est un excellent juge de paix quant à la qualité réelle du chef. Ainsi Bernstein était -il spectaculaire au concert sans que ses disques soient ratés ou ennuyeux. Bien au contraire mais bon je suis un fan de Lenny donc je suis pas objectif ;-)…C’est un peu une exception d’ailleurs parmi les chefs que j’admire le plus qui sont plus « discrets » au pupitre comme Haitink ou Giulini.

    Devrais-je faire la comparaison entre les 2 derniers chef de l’OPL? Langrée et Rophée sont deux chefs que presque tout oppose….sauf la ferveur et l’émotion qu’ils dispensent quand ils sont dans leur répertoire de prédilection.

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