Après l’audition de la cinquième symphonie de Schubert par l’OPL dirigé par François-Xavier Roth, je me suis demandé, de retour à la maison, dans quelle version je pourrais retrouver l’évidence du phrasé, l’équilibre tout XVIIIème siècle de l’orchestre et la clarté de la structure globale que m’avait fait ressentir le concert.
Ceux qui ne connaissent pas cette œuvre, moins jouée que les dernières symphonies du maître, se demandent sans doute pourquoi la musique de Schubert aurait besoin d’articulations musicales que Beethoven a profondément modifiées. Et bien la réponse est simple. Schubert, en 1816, propose une symphonie qui est la synthèse de ses acquis. Désormais prêt à aborder d’autres horizons, il nous laisse cette merveille de fraîcheur, de joie de vivre et d’apparente liberté. Ce n’est pas si courant chez cet homme torturé par l’errance et les questions existentielles… !
Comme souvent, Schubert n’aura pas entendu son œuvre qui ne sera créée en concert qu’en 1841, soit treize ans après sa mort. La symphonie en si bémol majeur, composée juste après la quatrième nommée « tragique » à cause de ses sombres sonorités, de sa tonalité d’ut mineur et de sa couleur orchestrale cuivrée, revient à des effectifs plus modestes, sans trompettes, sans clarinettes et sans timbales. Sa durée, d’à peine une demi-heure, cherche, elle aussi, à condenser un langage musical parfois teinté de ces fameuses « divines longueurs » qu’on peut ressentir dans le temps schubertien.
J’ai déjà dit par ailleurs ce que je pensais de la notion de temps chez le viennois, mais il est bon de rappeler ici que les musiciens abordent parfois l’élément temporel fait de répétitions comme des pléonasmes ou comme des remplissages inutiles. C’est évidemment une erreur de jugement car cet aspect de la musique de Schubert fait partie intégrante de son style (comme chez Bruckner). Les « longueurs » n’en sont pas. Elles sont autant de méditations, de variations et d’errances liées à sa psychologie.
Fermons ce chapitre qui ne touche presque pas la cinquième puisqu’elle adopte plus volontiers un temps mozartien, fait du dynamisme des phrases musicales…et c’est bien là qu’il ne faut pas se tromper et alourdir le propos. L’œuvre est légère et répond parfaitement au modèle de la sonate classique.
Sans l’habituelle introduction lente, le premier mouvement nous donne quatre mesures seulement pour faire entrer le premier thème foncièrement ascendant et conquérant. Joué par les premiers violons sur un tremolo des cordes, il faut attendre la fin de son énoncé pour entendre les flûtes, hautbois et bassons s’intégrer au discours. Le second thème est, lui aussi léger et chantant. Pas ou peu de nuages, si ce n’est l’hésitation entre majeur et mineur qui précède le deuxième thème, dans cette musique libre et pleine d’espoir. Le développement est bref et augmente un tant soit peu la tension par des procédés qui évoquent le « Sturm un Drang » de papa Haydn (mort à peine sept ans avant !). La détente est apportée par la réexposition et la conclusion fulgurante. On est loin du Schubert « Wanderer » qu’on connaît avec l’ « Inachevée » et la « Grande ».
Le deuxième mouvement, propose une Andante con moto qui semble sorti tout droit d’une promenade pastorale. La tonalité de mi bémol majeur y déploie tous ses charmes. C’est une forme lied régulière qui alterne deux ambiances distinctes. Après ce début prometteur et lumineux, une seconde idée plus mélancolique nous évoque, justement et sans la dramatiser, cette errance si schubertienne. Au cours des redites (variées !), il s’installe dans le mouvement une ambivalence entre promenade et errance qui crée non seulement toute l’originalité de la pièce, mais nous montre aussi que Schubert est toujours Schubert, même dans l’optimisme.
Les commentateurs ont souvent rapproché le Menuetto qui suit à celui de la symphonie K. 550 en sol mineur (oui ! celle des sonneries de portables !). Et c’est vrai que l’énergique mouvement, avec sa levée initiale y contribue fortement. Schubert était d’ailleurs très admiratif de l’œuvre de son aîné. Ce geste dynamique et ascendant en sol mineur contraste profondément avec le trio central. En sol majeur, c’est d’un Ländler qu’il s’agit ici, avec tout ce qu’il comporte de souvenir et de musique populaire pour le Schubert de la campagne de Vienne. Son allure populaire n’empêche pas un magnifique dialogue entre les cordes et les bois.
Le final est un allegro vivace de forme rondo sonate qui alterne deux refrains particulièrement entraînant séparés par une transition agitée et un silence en point d’orgue qu’il convient de bien faire sentir. L’alternance entre ces mélodies optimistes et quelques couplets plus « Sturm und Drang » nous conduit à la fin de cette symphonie heureuse qui témoigne de tout l’espoir que Schubert plaçait en l’avenir. On connaît la tragédie qui va bientôt s’emparer de lui et les transformations radicales de son style dans les années à venir.
Cette œuvre se présente donc comme un refuge, comme un beau rayon de soleil que l’interprétation doit rendre au mieux. Il n’est pas simple d’éviter de copier Mozart ou Haydn, de donner ce juste ton, certes classique, mais aussi tellement personnel. Dans la discographie à ma disposition, il me semble avoir retrouvé cette clarté, cette légèreté et cet optimisme parfois teinté d’agitation dans la version de l’Orchestre du Siècle des Lumières dirigé par Frans Bruggen et disponible chez Philips dans un coffret reprenant toutes les symphonies de Schubert. Si je préfère, pour les œuvres plus tardives, un orchestre plus fourni et une technique plus « romantique », la cinquième du chef hollandais est un vrai bijou que je vous recommande.