C’est probablement entre 1762 et 1765 que fut composé le concerto de violoncelle en do majeur qui sera donné par Anne Gastinel et l’Orchestre philharmonique de Liège sous la direction de Pascal Rophé ce vendredi soir. Haydn occupait déjà le poste de maître de chapelle du prince Esterhazy à cette époque. L’œuvre fut sans doute destinée à Joseph Weigl (1740-1820), le violoncelliste de la chapelle du prince, ce musicien pour lequel Haydn écrivit sans doute aussi les solos de violoncelle de ses premières symphonies. Le virtuose occupa en effet les fonctions de violoncelliste auprès des Esterhazy entre 1761 et 1769 après quoi il fut premier soliste de plusieurs orchestres de Vienne.
Franz Joseph Haydn
Nous connaissons ce concerto grâce à une découverte récente que fit le musicologue Oldrich Pulkert en 1961. Il mit à jour une copie du XVIIIème siècle d’un concerto pour violoncelle dont on savait l’existence par une mention écrite par Haydn lui-même dans son catalogue personnel (le catalogue « Entwurf »). On croyait l’œuvre perdue, mais les archives conservées au Musée National de Prague contenaient effectivement cette partition que le musicologue publia dès 1962. La découverte était de taille puisque le peu ce concertos de violoncelle de l’époque permettait d’ajouter une œuvre géniale au répertoire des solistes.
La composition instrumentale utilise un orchestre assez modeste (conforme cependant à de nombreuses œuvres de l’époque) comprenant les cordes, un basson non obligé pour soutenir les basses ainsi que deux hautbois et deux cors pour les mouvements extrêmes. L’adagio central n’est accompagné que par les cordes. L’étude des pratiques musicales de l’époque semble indiquer que l’exécution de ce genre d’œuvres se faisait en très petit ensemble, plus proche de la musique de chambre que de la musique symphonique et le soliste était sans doute le premier (ou le seul) violoncelle de l’orchestre qui, s’il était doublé par le basson dans les parties orchestrales, jouait néanmoins la partie soliste et les « tutti ». La partition retrouvée montre clairement l’omniprésence du violoncelle dans ses deux rôles, soliste et musicien d’orchestre.
Salle de spectacle d’Esterhaza
Toujours est-il que le concerto est d’une jovialité et d’une richesse inouïe. Le premier mouvement, après sa longue exposition des thèmes et motifs très nombreux et très variés, laisse entrer le soliste dans un do majeur lumineux. Déjà, ce dernier développe les différentes mélodies que l’orchestre avait montrées en les doublant d’une virtuosité qui n’exclut jamais les nuances de dynamique et le chant. C’est alors une alternance entre le soliste et l’orchestre qui propose, plus qu’un dialogue, une série de variantes des motifs déjà cités. Avec un naturel incroyable, l’œuvre se déroule sous nos oreilles dans une séduction irrésistible. Gammes, arpèges, doubles cordes et embryons de polyphonie permettent au soliste de montrer toute son agilité avant l’arrivée d’une cadence improvisée (et donc non écrite) qui rappelle l’orchestre pour la conclusion du mouvement sur le premier thème très énergique. Observez, même si vous ne lisez pas la musique, la sûreté d’écriture de la partie de violoncelle et la variété des traits et thèmes musicaux dans l’image ci-dessous.
L’adagio qui fait office de deuxième mouvement est en fa majeur, tonalité encore heureuse. La forme lied qui organise la pièce déploie d’abord une sublime mélodie, comme un chant qui s’élève hors du temps. Dans cette douceur, le violoncelle fait son entrée discrètement en une magnifique longue note qui s’épanouit ensuite en arabesques et ornements (grupetti) d’une tendresse infinie. Une lente et progressive amplification de la mélodie débouche sur un rappel des sons initiaux, mais en do majeur, cette fois. C’est l’occasion, pour Haydn de dramatiser légèrement la partie de violoncelle et l’harmonie qui la tend. Presque comme un récitatif douloureux, on décèle de loin quelq
ues plaintes et dissonances que l’orchestre met en évidence en se contentant de ponctuer par notes répétées. Enfin, le fa majeur revient et l’apaisement l’accompagne. Le chant du violoncelle en est comme magnifié et peut encore laisser s’épanouir la mélodie initiale comme transfigurée. Une petite cadence, elle aussi improvisée, annonce la conclusion par l’orchestre de ce moment d’éternité.
C’est alors que survient le final survolté. Noté Allegro molto, il procède par l’alternance entre un refrain et des couplets virtuoses comme un rondo. Etourdissant de virtuosité, il rempli bien le rôle attribué au final de concerto qui a pour but essentiel de susciter l’admiration du public pour le virtuose en présence. Haydn ne se prive pas de laisser cette musique nous envoûter par la proximité qu’elle entretient avec le mouvement perpétuel. Grisant dans sa vitesse, éblouissant dans ses traits, efficace dans ses thèmes, le final du concerto est sans doute celui qui se rapproche le plus de la fameuse esthétique du « Sturm und Drang », par ses subits changements de dynamique, ses phrases sinueuses et toujours renouvelées et son tempétueux soliste qui rivalise d’effets de toutes sortes. Si l’œuvre est éprouvante pour le soliste, elle ravit l’auditeur qui, en bout de course, éprouve le besoin d’applaudir un tel élan musical.
Cette petite description montre bien l’efficacité de Haydn dans la musique directement destinée au concert. Il n’est pas surprenant que dès sa découverte, ce concerto ait été adopté par tous les violoncellistes et qu’il soit devenu l’un des morceaux de bravoure les plus populaires. De nombreuses versions existent sur le marché du disque et je ne vais pas les énumérer ici. Je retiendrai celle qui m’accompagne depuis de nombreuses années (ce concerto de Haydn est l’un des premiers cd’s que j’ai achetés et l’une de mes premières découvertes musicales). Mstislav Rostropovitch, accompagné par l’Academy of Saint Martin-in-the Fields publié chez EMI reste pour moi un must de la discographie. L’interprétation est vive, incisive même dans le final, l’orchestre est exactement dosé et vivifiant, la sonorité du maître et sa capacité à déployer tous les sortilèges de cette musique n’est plus à prouver.
Je pensais trouver chez des interprètes baroques encore plus de verve et de pétillant, mais ce n’est pas le cas de la version de Christopher Coin et Hogwood chez l’Oiseau Lyre qui présente, sur diapason ancien, un orchestre bien en place mais un violoncelle assez terne et peu précis dans la justesse et peu sonore. Je n’ai pas été séduit non plus par la version du fameux Peter Wispelwey et de l’Ensemble Florilegium chez Channels Classics qui est bien trop précipitée et poussive à la fois dans de maigres sonorités et une exagération constante des tempi et nuances. Je suis aussi déçu par la version de Janos Starker qui, s’il déploie un violoncelle aux mille sonorités envoûtantes, est pourtant lent et lourd. Accompagné par l’Orchestre de chambre écossais, il ne réussit pas là sa plus belle prestation. Je n’ai malheureusement pas écouté la version d’Anne Gastinel que je ne possède pas et qui, d’ailleurs, ne semble plus disponible en Belgique. Dommage ! Alors, vive Rostro et vive Haydn !