Au sein de l’orchestre, peu d’instruments peuvent se vanter d’occuper une position si centrale que l’alto. C’est dans ce cadre d’écoute tout particulier que des compositeurs comme Mozart ou Haydn se plaçaient volontairement au poste d’altiste pour pouvoir profiter, au cœur même de la musique, d’une écoute plus complète de leur musique.
Les mauvaises langues dénigrent souvent les altistes qui passent pour être des violonistes ratés et des musiciens qui ne jouent pas toujours juste. Ces remarques, sans fondement, ont souvent placé l’alto comme un instrument secondaire de la musique. Et pourtant, une œuvre à laquelle on aurait retiré la voix centrale nous semblerait vide et creuse. Le rôle de l’alto est donc essentiel pour la réalisation des parties centrales, celles qui donnent corps aux mélodies et qui sont à l’origine de l’émotion profonde d’une musique.
Comparaison entre un violon (à gauche) et un alto (à droite)
D’ailleurs, dans les travaux d’harmonie et de contrepoint, une voix d’alto bien menée est essentielle à l’équilibre du tout. Ecoutez les fugues de Bach pour clavier et vous comprendrez que rien ne peut « tenir » correctement sans la voix d’alto.
Ne dites pas à un altiste qu’il joue du « violon alto ». Il sera contrarié dans sa certitude que son instrument existe à part entière et qu’il n’est pas un sous fifre de son collègue. L’alto (en allemand « Bratsche » et en anglais « Viola ») fait pourtant partie de la famille des instruments à cordes frottées. Il est d’ailleurs très semblable au violon, mais il est plus grand, plus épais et plus grave d’une quinte.
Dans un quatuor à cordes (violon 1, violon 2, alto et violoncelle), l’alto tient la même place que le ténor dans un ensemble vocal (soprano, alto, ténor et basse). Son répertoire, s’il est moins vaste que celui du violon s’étend cependant du début du baroque à nos jours. Il est d’ailleurs très exploité aujourd’hui. Les compositions majeures pour l’alto comprennent des œuvres de Telemann, la fameuse symphonie concertante de Mozart, les sonates de Brahms et les nombreux concertos et sonates du XXème siècle (Walton, Bartok, Reger, Hindemith, Chostakovitch, Schnittke, Ligeti, …). Il est évidemment présent dans tout le répertoire orchestral comme un instrument de l’effectif de base et l’un des fleurons de la musique de chambre.
Y. Bashmet et les solistes de Moscou dans une suite pour alto de Max Reger
Ses quatre cordes sont accordées en do-sol-ré-la, soit une octave plus haut que le violoncelle et une quinte plus bas que le violon. Les parties d’alto sont écrites en clé d’ut troisième ligne alors que le violon s’écrit en clé de sol et le violoncelle en clé de fa. Lorsque l’alto doit grimper dans l’aigu, il s’écrit alors, lui aussi, en clé de sol.
Autrefois, on appelait l’alto « quinte de violon ». sa grandeur ne s’est standardisée que très tard et il est fort probable que les plus grands instruments du passé se tenaient « da gamba » (en le déposant sur les jambes) au lieu du jeu actuel qui est « da braccio » (tenu par les bras).
Sa technique est assez similaire à celle du violon et peut réaliser tous les jeux différents que j’évoquais récemment à propos du violon. Pourtant, un manche plus long demande une main gauche plus écartée et des changements de positions plus fréquents (c’est peut-être cela qui rend sa justesse assez ardue à maîtriser. Son timbre est plus chaud et plus rond dans les graves, très pénétrant dans l’aigu. Il déploie une gamme très variée de sentiments, depuis la noblesse des graves jusqu’à la profonde mélancolie de son medium. Proche de la voix humaine, il n’est pas surprenant qu’un compositeur comme Chostakovitch lui ait confié ses chants les plus désespérés.
Ne (surtout) pas oublier, dans le répertoire moderne de l’alto, l’extraordinaire concerto d’Allan Pettersson, altiste de formation, et compositeur incroyablement (et SCANDALEUSEMENT) méconnu (sans-doute pour LONGTEMPS encore) sous nos latitudes … De ce concerto, composé en 1979 – une de ses ultimes oeuvres – il n’existe qu’un seul enregistrement – paru en 1990 chez BIS couplé avec la 5ème Symphonie -, interprété par l’orchestre symphonique de Malmö et l’altiste Nobuko Imaï. Cette parution a été l’occasion pour un critique « compétent » de la revue Diapason de sortir les habituelles inepties « petterssoniennes » qui, l’antisémitisme en moins, revêtent un caractère étrangement analogiques avec celles dont MAHLER a eu à souffrir si longtemps …