Couronnement

 

La reprise des conférences de la Fnac, hier et aujourd’hui, m’a ramené à Mozart. On y revient toujours. Il y avait bien longtemps que je n’avais plus parlé de cette œuvre à la fois classique et atypique qu’est la Messe en ut majeur K. 317, dite la Messe du Couronnement.


 

Mozart Messe Couronnement


 

Et comme toujours, chez Mozart, on est en droit de se demander si la partition religieuse est tendue par d’autres affects et d’autres propos que ceux liés aux strictes observances que les consignes de l’Archevêque de Salzbourg attendaient. La messe fut donc composée en mars 1779. Prévue pour quatre solistes, chœur mixte, 2 hautbois, 2 cors, 3 trombones, timbales, cordes et orgue, elle est relativement brève puisqu’elle ne dure qu’une petite demi-heure. On lui a d’ailleurs parfois accolé le titre de « Missa Brevis », ce qu’elle n’est pas par sa forme.

 

Mais ce qui est plus important, c’est que cette œuvre marque les débuts de la grande maturité de Mozart et est l’avant dernière messe composée pour Salzbourg. Deux hypothèses coexistent quant à sa dénomination. La première ferait allusion à une cérémonie de couronnement d’une statue de la Vierge se trouvant à l’église Maria Plain, un édifice baroque où, en 1744, le pape avait solennellement couronné la statue vénérée. Depuis, chaque année, une messe commémorative était organisée à l’église. Une seconde hypothèse veut que cette messe ait été composée pour la cathédrale de la ville et que l’appellation « du Couronnement » découlerait du fait qu’elle ait été exécutée lors du couronnement du roi de Bohême en 1791, année même de la mort de Mozart, sous la direction d’Antonio Salieri.


 

Mozart Messe couronnement  Maria_Plain_Gnadenbild

Image de La Vierge de Maria Plain à Salzbourg


 

Mais la composition de cette messe arrive à un moment tout particulier de la vie de Mozart. Il vient de rentrer d’un long voyage de seize mois. Parti avec sa mère dans un périple qui les conduit à Mannheim, à Munich et à Paris, ce qui devait être une tournée remplie de succès s’avère être un échec cuisant. Non seulement plus personne ne veut de sa musique et a oublié le jeune prodige qui, quinze ans plus tôt, faisait les merveilles des salons à la mode, mais surtout, sa mère meurt à Paris d’une fièvre violente le 3 juillet 1778. Rappelé par son père qui lui reproche ses extravagances comme la cause de son épouse (une lettre en témoigne : « Si ta mère était revenue de Mannheim, elle ne serait pas morte … tu serais arrivé à Paris à un meilleur moment …et ma pauvre épouse serait encore à Salzbourg »), il ordonne à son fils de revenir à Salzbourg et parvient à convaincre Colloredo, l’archevêque, de le reprendre à son service. Mais Mozart, la mort dans l’âme, tarde à revenir. Il cherche en vain un emploi ailleurs que chez le despote qui le considère comme un garnement et un domestique. Son père s’impatiente : « Ta conduite est indigne, j’ai sincèrement honte d’avoir promis à tout le monde que tu serais là à coup sûr pour Noël ou, au plus tard pour le nouvel an. Bon Dieu ! Tu m’as fait passer pour un menteur ! Je pense que cette fois-ci j’ai été assez clair ou bien faut-il que je vienne te chercher moi-même ? »


 

Mozart Messe Couronnement ParisMaisonMozart


 

On l’imagine, le retour de Mozart au bercail le 15 janvier 1779 est explosif. Il l’est d’autant plus qu’une nouvelle déception l’attend. Son grand amour, Aloysia Weber, qu’il avait connue avant son voyage l’accueille avec froideur. Elle a jeté son dévolu sur un autre jeune homme et Mozart confie à son père : « Aujourd’hui je ne peux rien faire d’autre que pleurer ».

 

Pourtant, la Messe du Couronnement, dans la tonalité lumineuse de do majeur, semble, à première vue, détachée de tous ces problèmes existentiels récents. Il ne faut pas oublier que M
ozart était sincèrement croyant, que, malgré ce travail de forcené que lui imposait l’archevêque, chacune de ses seize messes témoigne d’un travail sur l’écriture de la musique religieuse qui n’annonce pas encore vraiment les propos des dernières œuvres sacrées. Au regard de l’effectif, on pourrait penser que Mozart a voulu teinter sa musique de la grandiloquence de Haendel. Mais on peut tout aussi bien remarquer l’absence des instruments lumineux comme la flûte ou les trompettes. Les cors et les trombones semblent présager un côté mortuaire, le hautbois un esprit plaintif. Ce n’est pas le cas, pas toujours du moins.

 

Le Kyrie débute, Andante maestoso, par trois appels solennels du chœur, auxquels répondent les lignes des cordes. La soprano solo vient immédiatement briser cette entrée grandiose par une mélodie libre plus légèrement accompagnée par les cordes et les hautbois. Le Christe qui découle de ce flux libre, montre comment Mozart pensait le Père et le Fils. Comme lui-même et son père. Il semble planer une autorité écrasante et grandiose sur l’évocation du Père et une tendre légèreté dans celle du Fils. Et même si on peut ressentir, dans l’entrelacs des deux personnages une tendresse proche du duo d’amour, le destin du Fils fait homme pour mourir sur la Croix est évoqué par un do mineur bien plus sombre. La fin est apaisée et très poétique.

 

Le Gloria est construit comme un mouvement symphonique rempli d’effets dramatiques qui animent le discours liturgique en lui donnant un fort impact émotionnel. Tout ici est contraste. Le cœur de ce mouvement, proche d’une scène d’opéra, est le « Qui tollis peccata mundi » et son impressionnant crescendo. La fin du Gloria utilise les procédés de contrepoint typiques du « Cum sancto spiritu » et de l’amen.

 

Le Credo est beaucoup plus délicat à interpréter. Il débute comme une symphonie énergique sur un ostinato de cordes. Affirmation autoritaire du dogme ou volonté de noyer au sein d’une polyphonie dense et complexe un texte qui dérange ? Les deux solutions sont possibles. Par contre, lorsque interviennent les épisodes douloureux de la vie du Christ, l’Incarnation, la Passion et la mort, tout devient sombre, tout est animé d’une rhétorique grave, les solistes expriment clairement un texte compris par tous. Cet adagio central est, sans doute le cœur même de la messe. Mozart y met toute sa perception de l’injustice humaine et de la souffrance de l’homme. On y trouve une remarquable anticipation des grandes pages maçonniques (Musique funèbre k. 477 surtout) et des œuvres de la maturité comme le Requiem. Dès l’évocation de la Résurrection, l’orchestre se remet à bouillir dans une reprise du début tout aussi confuse quant à la compréhension du texte sacré. Décidément, la nouvelle génération, en cette fin de XVIIIème siècle semble plus portée par la proximité de Jésus, le fils de Dieu fait homme que par le traditionnel Dieu tout-puissant qui, sous les coups des philosophies modernes, va perdre progressivement de son lustre.


Une version non identifiée du Credo, très lente et pesante, mais qui a le mérite de nous montrer l’écriture de Mozart


 

 

Le Sanctus déploie une grandeur hiératique. Mais n’est-ce pas là la caractéristique première des « Sanctus » dont le texte évoque la puissance de Dieu dans l’univers tout entier ? La pièce d’à peine deux minutes semble expédiée avec détermination à grands renforts de parties cuivrées.

 

Le Benedictus est à peine plus développé. Il est de forme rondo avec un dialogue concertant entre les voix de solistes et les instruments. Quelques harmonies et modulations troublantes annoncent le retour de l’Hosanna qui se présente, dans sa sévérité comme une mise en garde face à la légèreté toute concertante et opératique de la pièce.

 

La messe s’achève alors par le superbe Agnus Dei en fa majeur. Le solo de soprano, gracieux, contraste avec le style habituel des Agnus Dei. Certes, quelques inflexions plus douloureuses surgissent parfois, mais le climat est aérien. C’est l’une des mélodies les plus célèbres de la musique religieuse de Mozart et, comme elle se prête aussi très bien à l’opéra, il en fera une autre utilisation dans le célèbre « Dovo sono » de la Comtesse des Noces de Figaro en rapprochant de la sorte la femme blessée qui se souvient de l’amour et le pécheur s’apitoyant sur l’Agneau. Mais n’est-ce pas là aussi en souvenir de sa chère maman que Mozart donne des ailes à ce
tte soprano à qui l’orchestre, en sourdine, avec ses basses allégées en pizzicatos donne tout l’espace nécessaire à l’élévation. La dernière citation de la mélodie est particulièrement éthérée et aérienne. Puis, c’est l’arrivée du Dona Nobis Pacem dans un tempo rapide qui évoque la seconde partie d’un grand air de concert. Le thème de la paix qui s’élève alors n’est autre que celui du Kyrie initial où s’étaient entremêlés le Père et le Fils. La soprano est donc rejointe par le ténor, puis par le quatuor de solistes et enfin, en un allegro con spirito, par le chœur tout entier. Ce final témoigne d’une joie intérieure et d’une jubilation se répandant à tout l’effectif, très cuivré, comme dans l’ultime final d’un opéra.



 

 

La Messe du Couronnement est un vrai trésor musical qui comporte non seulement tous les aspects du Mozart de la maturité, une vision pas toujours orthodoxe de la foi, une interaction profonde avec les styles de l’opéra tels qu’il voudrait pratiquer plus et, évidemment, toute l’intensité du propos qu’on peut considérer, à juste titre, comme une expulsion des passions douloureuses que l’homme vit à ce moment.


 

Mozart Messe Couronnement Philips


 

Ce que j’aime, dans la version interprétée par la Staatskapelle de Dresde, les Cœurs de la Radio de Leipzig dirigés par Peter Schreier, c’est l’équilibre entre le trop massif, souvent entendu et le baroquisme excessif de certaines versions. Les solistes sont remarquables : Edith Mathis (soprano), Jadwiga Rappé (contralto), Hans Peter Blochwitz (Ténor) et Thomas Quasthoff (basse). Ils parviennent à donner à la texture mozartienne une clarté exemplaire sans renoncer aux ressources sonores de la messe solennelle. Ce cd est édité chez Philips dans la collection anniversaire des cinquante ans. La Messe du Couronnement est présentée en complément du Requiem qui est malheureusement beaucoup moins convainquant dans ses tempi, ses équilibres et sa justesse. L’Ave verum Corpus qui clôt l’album est, lui aussi, remarquable de transparence et de sincérité.