« Le chanteur est un corps-instrument. Il entre dans la magie de la vibration et de l’harmonie, il transcende la matière en son. Il donne la liberté aux notes de musique du compositeur. Les nuances de sa voix sont infinies. La perception semble irréelle lorsque l’interprétation est parfaite. Il sait apprivoiser la note pour la faire sienne. L’homme crée sa propre vibration à l’intérieur de lui-même. Il peut devenir esclave de sa voix. L’équilibre sur le fil de la vibration peut être fragile.
Cette même vibration porte la marque du chanteur, de l’acteur, du comédien. Elle berce son auditoire. Elle organise son environnement sonore. Le chanteur lance sa voix mais reste dans une corrélation profonde entre le yin et le yang du souffle de la vie. Il transfère la vibration affective que nous portons en nous. L’enveloppe biologique que nous sommes ne peut échapper au désir de plaire à l’autre par la séduction de sa voix ». Jean ABITBOL, L’Odyssée de la voix, Paris, éd. R. Laffont, 2005, p. 416.
Après avoir abordé les voix féminines la semaine dernière, voici un bref aperçu des voix d’hommes. On connaît aujourd’hui toutes les qualités des voix féminines. Mais pendant une bonne partie de l’histoire des êtres humains et de la musique, les femmes n’étaient pas autorisées à chanter en public. Par ordonnance papale (selon le dogme de saint Paul : « mulieres in ecclesiae taceant » à l’église les femmes se taisent), les femmes sont interdites au théâtre jusqu’à la fin du XVIIIème siècle. Seuls donc les hommes peuvent apparaître en scène. Pour assurer les rôles féminins pourtant indispensables aux livrets d’opéras, on fait donc appel aux tessitures masculines les plus hautes, ce que nous nommons encore aujourd’hui les castrats.
Le castrat est un chanteur adulte qui était donc castré avant la mue, selon un usage en vigueur, afin de conserver son timbre clair et perçant d’enfant. Puissante et souple, la voix d’un castrat pouvait couvrir l’étendue de trois octaves, comprenant les registres des sopranos, des contraltos et des ténors. Ils entrent à la Chapelle Sixtine à Rome et remportent d’abord de nombreux succès en Italie. Leur réputation s’étend alors rapidement à toute l’Europe. Leur virtuosité exceptionnelle est à l’origine du bel canto baroque. Leur timbre est pur et séduisant. Leurs incroyables vocalises, leur sens musical et l’étendue de leur voix créent un engouement extraordinaire du public et ils deviennent ainsi les premières « stars » du chant, invités de scène en scène, imposant aux compositeurs leur style et leurs exigences vocales et financières. Parmi ces voix, quelques distinctions s’opèrent cependant. Tous les castrats (qui ne le sont d’ailleurs plus aujourd’hui ! Les derniers castrats de la Chapelle Sixtine datent du début du XXème siècle en les personnes de Domenico Mustafa et Alessandro Moreschi) n’ont pas le même type de voix. On différenciera donc le sopraniste, capable de chanter les airs de soprano léger, les haute-contre qui sont proche des voix de mezzo, la voix d’altus qui, comme son nom l’indique, couvre la tessiture des voix d’alto. Le terme de contre-ténor est générique et désigne toutes les voix masculines qui surpassent la traditionnelle voix de ténor.
Viennent donc ensuite les voix de ténor qui s’articulent, elle aussi, en de nombreuses subdivisions. On parlera de ténor léger pour une voix brillante qui monte sans la moindre difficulté dans l’aigu, apte aux vocalises. Les rôles principaux sont, par exemple, ceux de Tamino dans la Flûte enchantée de Mozart, le comte Almaviva dans le Barbier de Séville de Rossini. On le voit, ce sont des types de chanteurs assez rares qui se prêtent magistralement à l’art de l’ornementation et à la virtuosité.
On distingue ensuite le ténor bouffe (ou trial) dont le volume de la voix est généralement faible, mais d’une rare souplesse. Comme son nom l’indique, ses rôles sont souvent ceux de personnages faibles ou soumis à des maîtres impitoyables. Le meilleur exemple est celui de Mime, le Nibelung, esclave d’Alberich
dans l’Or du Rhin de Wagner. Le ténor lyrique représente la voix la plus fréquente chez les ténors. Timbre charmeur, aisance vocale indéniable, il peut aussi bien descendre dans son registre grave qui culminer dans des notes très élevées. C’est, par exemple Le duc de Rigoletto de Verdi ou Rodolphe de la Bohême de Puccini.
Viennent ensuite les ténors dramatiques à la voix plus large et au timbre plus incisif. Il est teinté d’harmoniques graves importants et permet donc l’incarnation de personnages tragiques. Lohengrin en est une belle illustration, mais Radamès, dans Aïda de Verdi en est une autre tout aussi efficace.
Avec un registre plus limité que le ténor dramatique, mais une voix très puissante, le Fort ténor est aussi beaucoup plus rares. Les rôles qui lui sont octroyés sont d’ailleurs aussi rares que le type de la voix. Cependant, on en trouve un magnifique exemple avec le Florestan de Fidelio de Beethoven.
Descendant encore un peu dans les tessitures masculines, on arrive alors aux belles voix de baryton. Là aussi, les subdivisions sont abondantes. On parle de baryton martin (ou baryton élevé) pour ce type de voix qui frôle dans l’aigu la tessiture du ténor lyrique, mais qui peut descendre dans le grave. Son timbre est envoûtant et les rôles qui l’emploient visent une certaine forme de mystère. Pelléas, dans Pelléas et Mélisande de Debussy, l’illustre à merveille.
Le baryton le plus courant est aussi la voix d’homme la plus habituelle. Une grande part des hommes qui ne pratiquent pas le chant, se situent dans cette tessiture moyenne. Il est donc très répandu et ses rôles sont très abondants. Citons simplement, en guise d’indication, Amfortas dans Parsifal de Wagner, Figaro, dans les Noces de Mozart ou Escamillo dans Carmen de Bizet.
Le baryton Verdi est possède une tessiture plus étendue, vers le grave et l’aigu que le baryton habituel. Il porte son nom des nombreux usages que Verdi en a fait en leur confiant des rôles exceptionnels remplis de tragique et d’autorité. Citons simplement Rigoletto ou Iago (Otello de Verdi) ou Scarpia dans la Tosca de Puccini.
Plus grave encore est le baryton-basse dont le registre grave possède une force exceptionnelle renforçant l’aspect dramatique de la voix et de ses rôles. Type de voix très apprécié des compositeurs romantiques, on en trouve un bel exemple en la personne de Don Giovanni de Mozart, de Hans Sachs dans les Maîtres chanteurs de Wagner, dans Wotan du Ring du même Wagner ou dans le remarquable rôle de Boris dans Boris Godounov de Moussorski. Le baryton-basse est la voix la plus grave de ce registre.
Restent les voix les plus graves des hommes, les basses. Elles peuvent se subdiviser en deux catégories. La basse élevée qui comporte de nombreuses possibilités lyriques. Elle est souple, peut atteindre sans trop de difficulté les notes des barytons tout en descendant dans les graves. On la nomme parfis la basse-bouffe en rapport avec certains rôles comiques qui lui sont parfois attribués (Rossini, Bartolo, Barbier de Séville). Pourtant, cette souplesse permet également des attitudes plus tragiques, même si l’aspect sournois de ses sautes d’humeur permet beaucoup d’élasticité. C’est le cas de Méphisto dans le Faust de Gounod ou de Kaspar dans le Freischütz de Weber.
Reste alors la voix la plus grave, la basse noble dite aussi profonde. Son étendue de deux octaves peut descendre bien au-delà de ce qu’on a coutume d’imaginer. Il suffit d’écouter l’air de Sarastro dans la Flûte enchantée de Mozart pour s’en rendre compte.
Certaines voix encore plus graves sont exceptionnelles. On les trouve essentiellement dans le chant religieux orthodoxe russe et sont tout simplement ahurissantes de plénitude sonore. Certaines voix de diacres sont si graves (le la le plus grave du piano) qu’on entend presque le grain de la voix). Malheureusement, ces voix exceptionnellement basses n’ont que peu d’élasticités et se content, la plupart du temps d’un note de récitation très impressionnante.
En résumé, la tessiture d’une voix comprend l’ensemble des registres (voix de poitrine, médium ou mixte, voix de tête, voix de fausset pour les hommes, voix de sifflet pour les femmes), tout en révélant une facilité vocale plus importante dans un registre que dans un autre. Mécaniquement, chaque registre suppose une adaptation cinétique du larynx. Pratiquement, la registration dépend de la tension propre des cordes vocales et de la force d’accolement des cartilages adducteurs. Une voix agréable à écouter sur toute l’étendue de sa tessiture est homogène, mais il est toujours délicat de passer d’un registre à l’autre, d’un type d’émission sonore à un autre. Pour rendre agréables ces notes sensibles, les chanteurs travaillent sur les passages de registres pour éviter les couacs et uniformiser les registres. Il s’agit de techniques comprenant l’élargissement de la partie basse du larynx par une inspiration particulière et l’amorce d’un bâillement.
Vous le voyez aisément, le travail vocal se fait sur tous les aspects que doit revêtir l’émission sonore et la voix est donc le plus biologique des instruments. Les exercices des chanteurs et chanteuses sont là pour dompter progressivement son organe vocal et maîtriser tout son corps. C’est un art qui implique l’individu dans tous ses aspects physiques et mentaux, mais n’en est-il pas ainsi de tous les instruments ?