Gide musicien

 

« Repris, ces derniers jours, quelques Etudes de Chopin délaissées depuis longtemps (les deux en la bémol en particulier, dixième du premier cahier et première du deuxième), parce que, et sans doute bien à tort, elles me semblaient de moindre profit, et, de plus, d’un charme assez banal. Fort étonné de ce que Jachimecki dit de la première de celles-ci, et Hans de Bülow qu’il cite : « Quiconque saura exécuter cette étude, d’une manière vraiment parfaite, pourra se flatter d’avoir atteint la cime la plus élevée du Parnasse de l’art su piano, car c’est peut-être la plus difficile de tout le recueil ». Etc. – Difficulté sournoise et dont on ne peut triompher qu’après l’avoir bien saisie.



 

 

Beaucoup travaillé également, pour la mener à bien celle en fa majeur (troisième du second cahier) si exquise dans sa mystérieuse simplicité, et si importante pour obtenir cette souplesse particulière et délicatesse du poignet, exigée par la technique de Chopin, insoupçonnée par Bach et même par Beethoven ou Mozart. Cette musique de Chopin fait appel à des qualités si spéciales et si contraires à celles que réclame l’exécution des œuvres de Bach, que, repassant ensuite la Grande fugue en si mineur pour orgue (de mémoire car je n’ai pas ici le cahier de Liszt ; mais j’ai la joie de m’en souvenir parfaitement encore), j’avais quelque mal à la bien jouer et il me semblait être revenu loin en arrière. Ce qui fait que, ce matin, je quitte Chopin pour me remettre au Clavecin bien tempéré ; avec quelque peine et, par conséquent, grand profit ».  André Gide, Fragments du journal, Notes sur Chopin, Paris, Gallimard, 2010.


Gide, Notes sur Chopin