Symbolique sacrée?

Je bavardais, il y a peu, avec un ami qui me confiait son exaspération de voir dans les musées une quantité statistiquement importante d’œuvres religieuses. Eloigné depuis bien longtemps de son éducation chrétienne, il a pris en grippe la symbolique et la fonction religieuse de l’art qu’il considère comme uniquement culpabilisatrice et oppressante. Il faut bien avouer que nos sociétés ont pris une distance plus que certaine face à l’Eglise et à ses propos d’un autre temps. Les dernières « affaires » n’ont sans doute rien arrangé. Mais, et c’est la question que je lui posais, faut-il pour la cause rejeter l’histoire et l’art de notre civilisation sous prétexte d’un décalage moral actuel entre l’homme et les soi-disant représentants de la divinité ? La réponse est, me semble-t-il, à rechercher dans la symbolique première des arts.

 

Grünewald, Retable d'Issenheim (1517)
Grünewald, Retable d’Issenheim, 1517

 

On n’y changera rien. L’art occidental a été religieux pendant la part majeure de son histoire et qu’on soit d’accord ou non avec le sens des représentations artistiques, elles sont les jalons de notre pensée. Sans elles, nous ne serions certainement pas capables de penser notre passé et nous n’aurions pas derrière nous les témoins de notre évolution. En bref, nous n’aurions pas notre culture.Car tout est question de symbole. Et l’histoire du symbolisme montre que tout peut recevoir une signification symbolique : les objets naturels (comme les pierres, les plantes, les animaux, les hommes, les montagnes et les vallées, le soleil et la lune, le vent, l’eau, le feu, …) ou les objets fabriqués par l’homme (maisons, bateaux, voitures, …) ou même les formes abstraites comme les chiffres, le triangle, le carré, le cercle, … En fait, tout l’univers est un symbole en puissance.<L’homme, par sa tendance naturelle à créer des symboles, transforme inconsciemment les objets ou les formes et, ce faisant, leur donne une importance psychologique importante. Il leur confère, dans l’art de la transformation, une expression religieuse (car la religion est l’une des manifestations philosophiques premières de l’homme) ou/et artistique. On voit d’emblée le rapport entre l’art et le sacré. Donc, l’histoire des religions et de l’art est étroitement liée et remonte à la préhistoire. Ils sont le témoignage légué par nos ancêtres, des symboles qui ont eu un sens pour eux et les ont émus. 

 

Le sujet est très vaste et pourrait être développé tout au long de nombreuses pages. Mais limitons-nous aujourd’hui à un seul exemple. Nous savons que les pierres non taillées avaient une signification hautement symbolique pour les sociétés anciennes (et d’ailleurs pour bon nombre de sociétés actuelles). Les pierres non dégrossies, telles que les produit la nature, étaient souvent considérées comme abritant des esprits ou des dieux. En conséquence, leur utilisation comme pierres tombales ou objets de vénération religieuse était très fréquente. Cela montre que les rites religieux marquent l’avènement de spiritualités, donc d’un travail de réflexion existentiel de la pensée humaine. On peut même considérer que l’emploi de ces pierres est le point de départ de l’art sculptural comme première tentative pour investir la pierre d’un pouvoir d’expression supérieur à celui que lui donnait la nature ou le hasard seuls. Le fait de déplacer la pierre, de l’oindre d’huiles ou de signes précis relève de la démarche artistique dans un but rituel (ce qui doit émouvoir doit être unique et posséder des critères « esthétiques »).

 


 

Menhirs en Corse
 Menhirs en Corse


Max Ernst, Stèle

 Max Ernst, Sculpture


Le fameux récit biblique du rêve de Jacob est la métaphore d’un exemple typique de ces premières démarches imaginant que la pierre était habitée de l’esprit d’un dieu et donc que la pierre se transformait en symbole : 

« Jacob partit pour Caran

 Et il se rencontra en un certain lieu où il passa la nuit parce que le soleil était couché. Il prit une des pierres du lieu, en fit son chevet, et il s’endormit en cette même place. Il eut un songe : voilà qu’une échelle était plantée en terre et que son sommet atteignait le ciel et des anges de Dieu y montaient et descendaient. Voilà que Yahvé se tenait devant lui et dit : je suis Yahvé, le Dieu d’Abraham, ton ancêtre et le Dieu d’Isaac ; je te donne à toi et à ta postérité la terre sur laquelle tu dors. … Et quand Jacob fut réveillé de son sommeil, il dit : En vérité, Yahvé est en ce lieu-ci, et je n’en savais rien. Il eut peur et dit : Que ce lieu est vénérable. C’est ici la maison de Dieu et la porte du ciel ! Et Jacob se leva de bon matin, et prit la pierre dont il avait fait son chevet et la dressa comme une stèle et il versa de l’huile sur le sommet de cette pierre. Et il appela ce lieu Béthel » Genèse, 28, 10-19.


 

Echelle de Jacob, Manuscrit français (vers 1520)

Echelle de Jacob, Manuscrit royal français (vers 1520)


La pierre, comme partie intégrante de la révélation de Jacob, est désormais une sorte de médiateur entre l’homme et sa divinité. De là à sculpter la pierre, à l’entourer d’un temple comme sanctuaire, de l’orner de mille parures peintes et d’y consacrer un répertoire de prières et de chants, il n’y a qu’un pas qui prendra, certes, de nombreux siècles, mais qui découlent d’une même optique (pensez à l’art de l’icône qui « anime » le personnage représenté de sa présence spirituelle). La pierre, et tout ce qui en découle, se présente donc à nous comme un symbole relevant d’un archétype premier de l’humanité (car n’est-ce pas là des procédés communs à toutes les civilisations du monde ?).


 

Chagall, Marc, Echelle de Jacob,
 Marc Chagall, Le Songe de Jacob


Il n’est donc pas surprenant que l’art ait d’abord une fonction spirituelle et rituelle qui mette en valeur les croyances religieuses. Il n’est donc pas utile de s’offusquer du fait que l’art soit rempli de ces représentations fondamentales et de leurs dérivés. Que la crucifixion soit un leitmotiv de l’art occidental est alors une évidence que nul ne peut contester. Même si, aujourd’hui, nos idées sur la spiritualité ont évolué vers plus de liberté face aux carcans culpabilisateurs de la religion, il est indéniable que les chefs d’œuvres religieux soient les témoignages géniaux de ce que nous avons été. Il faut les regarder en face avec sérénité pour en mesurer toute leur valeur… mais nous ne sommes jamais obligés d’en partager le message.

3 commentaires sur “Symbolique sacrée?

  1. Merci pour ces belles images et pour les commentaires….Je suis chrétienne mais aujourd’hui je me considère comme une vrai disciple du christ, loin de la religion des hommes qui n’ont fait que dénaturer une vrai spiritualité.. une vrai relation avec dieu avec leurs dogmes, leurs rituels etc….Tout ce que le christ a rejeté !!
    Céline

  2. Il y a des textes dont on se dit : « Mazette… J’aimerais bien avoir écrit ça. » Celui-ci en fait partie. Et donc, félicitations, encouragements à poursuivre, et comme disent les djeûnes, respect.

  3. Ce qui ruine le discours de l’église, c’est précisément ce carcan moralisateur : l’église pourrait se permettre de culpabiliser ses ouailles si elle était elle-même irréprochable mais le fait est qu’elle ne l’est pas.
    Le sens du sacré, c’est autre chose que chacun porte en soi même s’il le nomme différemment. Messe en si mineur, Requiem KV 626, Missa Solemnis, même Parsifal sont là pour nous rappeler que le sacré inspire les plus grands chefs-d’œuvre aux musiciens sincères même si ceux-ci jouent un « jeu » (Bach était protestant, Mozart franc maçon, Beethoven rien de tout cela et Wagner encore moins). Et à ce « jeu sacré », j’irai même plus loin : la tradition chrétienne d’occident a été la plus féconde de toutes, permettant des Machaut, Dufay et Josquin à une époque où tous les autres jouaient aux billes.

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