«J’ai toujours rêvé en grand. Et même si cela peut paraître idéaliste ou naïf de croire qu’on peut changer le monde en changeant la vie des enfants grâce à la musique, je pense à l’adage de Lao Tseu qui dit qu’un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas. A ce jour, j’ai parcouru bien plus de mille lieues dans mes périples de ville en ville, à répandre la musique. Et pourtant, mon voyage ne fait que commencer». Lang Lang, Le piano absolu, Paris, JC Lattès, 2008, p.298.
Lang Lang, la nouvelle star mondiale de la musique classique, est un homme bien dans son époque. Quand il débarque de New York avec ses Adidas aux pieds, son stylo Montblanc accroché bien en évidence sur sa veste et sa montre Montblanc au poignet, on ne peut pas s’empêcher de sourire. «Vous êtes toujours habillé de pied en cape par vos sponsors?» s’étonne L. Luthaud du Figaro en 2008, enregistrant au passage sa coiffure en pétard digne du chanteur rock de Tokio Hotel.
Et c’est vrai que ce n’est pas l’image qu’on attend d’un pianiste virtuose. D’emblée, on comprend pourquoi cet artiste aux allures de star énerve les puristes. Il a 28 ans. Il est chinois. Dans l’univers feutré de la musique classique, aucun artiste de sa renommée n’a autant misé sur le marketing. Même le violoniste britannique Nigel Kennedy, star de la fin des années 1980, n’a jamais osé aller aussi loin que Lang Lang.
Lang Lang
Entré dans le livre Guiness des records en vendant des millions de disques, Kennedy s’était rendu célèbre en jouant Les Quatre Saisons de Vivaldi en arpentant la scène au lieu de rester immobile. Et comme Lang Lang vingt ans plus tard, il arborait une coupe de cheveux un rien déjantée. «Bien sûr, je veux gagner de l’argent et les sponsors me rapportent plus que mes concerts et mes CD. Je ne vois pas pourquoi les rock stars, les acteurs et les sportifs se réserveraient les contrats publicitaires. Les musiciens classiques travaillent aussi très dur. Mais l’argent et le “fun” sont secondaires »
Nigel Kennedy
Son principal souci est d’attirer les jeunes vers la musique classique et d’offrir la musique au plus grand nombre. C’est dans cette optique peut-être qu’en août 2008, Lang Lang, toujours très loyal envers son pays natal, a rendu un grand service au régime de Pékin. Aux Jeux olympiques, il a été la star de la cérémonie d’ouverture.
Lang Lang est né en 1982 à Shenyang. À un an et demi, il découvre le piano et la musique classique en visionnant deux dessins animés dont un épisode de Tom et Jerry intitulé Le Concerto du Chat (voir le billet d’hier). Sa mère lui offre alors son premier piano droit. À cette époque, pour lui, musique et piano sont les synonymes d’un jeu. À 3 ans, il étudie déjà avec Zhu Ya Fen du conservatoire de Shenyang. Il est rapidement reconnu comme un prodige du piano. À 5 ans, il remporte le Premier Prix du Concours de Shenyang et donne son premier concert en public. Il devient ensuite lauréat des prestigieux concours Xing Hai Cup de Pékin, Young Pianists en Allemagne et Tchaikovski en 1995 au Japon. Entre 1997 et 2002, il travaille avec Gary Graffman au Curtis Institute de Philadelphie.
Lang Lang enfant avec son professeur Zhu Ya Fen
Consécration avec son premier enregistrement pour DGG en 2003 avec les Premiers Concertos pour piano de Tchaikovski et de Mendelssohn avec Daniel Barenboim à la tête de l’Orchestre symphonique de Chicago. Il participe aux Master classes de Barenboim sur les sonates de Beethoven et se distingue comme l’un des meilleurs éléments de la promotion. En 2001, il se produit pour la première fois au Carnegie Hall, point de départ de sa carrière internationale. Il joue dès lors avec les plus grands orchestres américains et européens.
Son album intitulé Memory (2005), avec des œuvres de Mozart, Chopin, Schumann et Liszt, prend en trois semaines seulement la première place au classement du hit parade classique. En juin 2006, il se produit à la cérémonie d’ouverture de la Coupe du monde de football au Stade olympique de Munich avec les trois orchestres symphoniques de Munich. En collaboration avec la célèbre firme de pianos Steinway & Sons, Lang Lang met au point cinq nouveaux pianos.
En juin 2008, il lance au niveau international la chaussure Adidas «Lang Lang» ornée de son logo personnel créé par la célèbre marque. C’est encore un succès sans précédent que recueille son album comprenant les deux concertos de Chopin avec le Philharmonique de Vienne dirigé par Z. Metha pour l’année Chopin 2010.
Lang Lang est partout. Son spectaculaire site internet ( http://www.langlang.com/ ) présente l’artiste à la manière des vedettes du rock et déjà, DGG publie un «Best of Lang Lang» alors qu’il n’a pas encore trente ans! Tout cela se complète encore d’un livre où le jeune virtuose, avec l’aide d’un écrivain, David Ritz, relate l’aventure de sa vie, depuis ses débuts en Chine jusqu’aux énormes succès américains. Tout cela pourrait faire croire que l’entourage du pianiste exploite un marketing, un produit et seulement un produit. C’est d’ailleurs, comme je l’ai dit plus haut, ce qui exaspère ceux qui voudraient que la musique classique soit l’apanage des gens tristes et passifs face au monde qui les entoure. Au contraire, Lang Lang vit comme un homme d’aujourd’hui et emploie les moyens de communication d’aujourd’hui. Il n’y a pas, à mon sens, d’incompatibilité avec le rôle du soliste d’aujourd’hui, au contraire.
Car la musique que Lang Lang nous offre (ou nous vend), est d’excellente qualité. Le dernier album, enregistré pour SONY en public au Musikverein de Vienne les 27 février et 1er mars 2010 est exceptionnel. Cet cd sera, dans l’histoire de ses enregistrements, une étape aussi essentielle que son récital à Carnegie Hall de 2001. Mais ici, dix ans plus tard, le musicien a beaucoup progressé et assimilé les conseils des plus grands musiciens de notre temps. Il n’est plus l’acrobate, l’animal de cirque qu’on a voulu voir en lui, mais un musicien accompli. D’ailleurs, le choix de son répertoire de récital viennois témoigne déjà de sa maturité musicale. Deux sonates de Beethoven ouvrent le concert. La sonate n°3 opus 2 en do majeur est la première sonate virtuose du compositeur alors âgé approximativement du même âge que Lang Lang. Elle transcende toute la forme qu’elle doit encore en partie à Haydn et s’impose comme très individuelle. Le mouvement lent, en particulier, annonce le Beethoven plus tardif. Lang Lang sait nous plonger dans les abysses de cette musique, mais sait aussi nous transporter dans la joie et la légèreté des mouvements extrêmes.
La sonate n°23 en fa mineur op. 57 «Appassionata» est un must que tous les pianistes de toutes les générations ont voulu mettre à leur répertoire. Prototype de la sonate où la virtuosité est au service de l’émotion, on garde en mémoire les versions légendaires de Richter, Gilels, Kempff, Kovacevitch ou encore Brendel et Barenboim. Tous s’y sont frottés. Et Lang Lang ne démérite pas. On sent manifestement l’influence de ce dernier. Précision, clarté de la ligne, aisance dans le phrasé, tout y est. Le public viennois ne s’y trompe pas en réservant au pianiste une remarquable ovation.
Le second cd, seconde partie du récital, allie des œuvres d’Isaac Albeniz et de Serge Prokofiev. Extraits du premier livre d’Ibéria d’abord, chef-d’œuvre du compositeur espagnol de Lang Lang interprète en affirmant la filiation de la musique espagnole avec le piano français. Quelle merveille dans les plans sonores, dans les couleurs et la mise en évidence des harmonies et mélodies audacieuses qui, à leur tour, viennent évoquer l’influence arabe qu’a subi toute la musique espagnole et que le compositeur a en lui. Superbe.
La Septième sonate de Prokofiev qui achève le récital est une œuvre de guerre, très grave, désespérée même à certains moments. On se souvient, là aussi, de Richter. Le climat que donne Lang Lang est certes moins tragique, moins vécu, mais on sent l’œuvre déjà bien aboutie. Nul doute que la vie donnera l’occasion au jeune pianiste d’approfondir l’émotion de cette musique qui déjà, semble ne lui poser aucun problème et lui convenir à merveille.
Trois bis terminent cette prestation exceptionnelle, tous les trois de Chopin, la première étude opus 25, tout en délicatesse, expression du chant sublime et de l’influence du bel canto. La polonaise héroïque de l’opus 53 avec son nationalisme à fleur de peau, déchaine l’esprit révolutionnaire du pianiste qui, sans montrer la moindre trace de fatigue, termine alors avec la deuxième Valse brillante opus 34 n°1 dans un tourbillon superbement envoûtant. Nul doute que le public viennois, assurément connaisseur en matière de valse, n’aura pas tenu rigueur à Lang Lang pour cette valse de salon franco-polonais. Un merveilleux cd à écouter, complété d’un DVD bonus avec des extraits de ce concert exceptionnel…!