Je vous parlais, mercredi, des fondements de l’art baroque. En matière musicale, le baroque voit le règne absolu de la basse continue, d’abord, mais aussi de l’émancipation de la musique instrumentale et de la naissance de l’opéra. Cette discipline, mélange par excellence des arts figuratifs, de la poésie et de la musique avait acquis ses lettres de noblesse dès 1607 avec l’Orfeo de Claudio Monteverdi. Ce dernier réalisait un équilibre parfait entre texte et musique, un des vieux démons de la Renaissance.
Dans le courant du XVIIème siècle, les progrès de l’opéra sont énormes. Luigi Rossi (1597-1653) en est un acteur de choix. Bien connu à Rome, Luigi Rossi occupait depuis 1633 la place de Maître de chapelle à Saint-Louis des Français. Vers la fin de cette décennie, il passa au service des Barberini. Selon toute vraisemblance, la musique de Rossi était déjà diffusée en France au début des années quarante: en 1641, Ottaviano Castelli envoya à Mazarin deux volumes contenant des cantates et des airs de compositeurs romains, dont de nombreuses pièces de Rossi. On y trouve des airs basés sur des textes poétiques qui utilisent des vers brefs, soulignés par des lignes mélodiques concises et brillantes. En revanche, les pièces qui présentent une succession irrégulière de vers de différentes longueurs permettent de diversifier l’écriture musicale, en alternant des sections en style récitatif et d’autres en style arioso, proche de celui de l’air.
La mort d’Orphée
d’Emile Lévy, 1866, huile sur panneau exposé au musée d’Orsay de Paris
Après la mort d’Urbain VIII en 1644, les Barberini furent contraints à l’exil. C’est ainsi que Rossi se retrouva à Paris, en 1646, sous la protection de Mazarin. L’année suivante, il composa son Orfeo, opéra sur un livret de Francesco Buti, représenté au Palais Royal devant la Cour au grand complet : la reine Anne était assise entre ses enfants Louis et Philippe. À leurs côtés se trouvaient le duc d’Orléans, Mademoiselle d’Orléans, le prince de Condé et le cardinal Mazarin. L’opéra reprenait un sujet fréquent dans les premiers opéras italiens, tels l’Euridice de Jacopo Peri et Giulio Caccini (1600) ou encore le très connu et premier véritable opéra, l’Orfeo de Monteverdi (1607).
Le livret de Buti présente une action différente: c’est à cause de la jalousie du berger Aristeo que la hautaine Euridice est mordue par un serpent et précipitée aux enfers. Orphée, son époux inconsolable, descend au royaume de Pluton avec sa lyre pour essayer de la ramener à la vie. Il y parvient grâce au charme émouvant de son chant, mais cette entreprise hardie lui coûtera la vie. Le tableau pathétique et intimiste, brossé juste avant le dénouement final de l’œuvre, est une convention commune à plusieurs opéras italiens de cette période. Le dernier air d’Orfeo, le sublime Lasciate Averno, qui précède la mort du héros déchiré par les furieuses Bacchantes, nous offre un exemple parfait de lamento en alternant la ritournelle instrumentale, un récitatif et un arioso. Ce dernier comprend les premières véritables « colorature » du bel canto baroque.
C’est une page qui fait preuve d’une étonnante modernité dans son langage musical et qui annonce la rhétorique du XVIIIème siècle: l’harmonie hésite entre la tonalité majeure et mineure. Le pathos du chant augmenté par une série de retards qui prolongent la dissonance avant de la résoudre. Cette vague d’incertitude maintient la dramaturgie jusqu’à la fin de l’air: les derniers mots, « a morire », répétés quatre fois, reprennent la même mélodie que le refrain Lasciate Averno, mais soutenue cette fois par un enchaînement d’accords différent. La simplicité de cette phrase, rien de plus qu’une gamme descendante, une catabase, dépeint avec force la descente vers les abîmes infernaux, desquels jamais on ne revient. Voilà un magnifique prototype regroupant une bonne part des caractéristiques du baroque musical.