La désormais célèbre phrase de Barack Obama « Justice has been done » (Justice a été faite) à propos de la mort de Ben Laden n’a pas manqué de susciter en moi quelques interrogations. Non pas que la mort de cet horrible bonhomme me touche. Je pense que s’il est bien celui qu’on croit et qu’on nous montrait, il n’a que ce qu’il mérite. Mais quant à penser que c’était le rôle du Président des USA de prendre la décision de vie ou de mort sur un individu quel qu’il soit, je ne sais pas. Certaines voix s’élèvent pour crier haut et fort que le Président n’a aucun droit de vie ou de mort sur quelque individu que ce soit.
La balance, le maillet du juge et les livres de lois, les symboles de la justice.
Et les voix commencent à s’élever, dans certains milieux islamistes, même modérés, pour dénoncer une violation de territoire, un acte sauvage qui évite justement la comparution en justice de l’individu. On dénonce donc de plus en plus un assassinat. Alors, c’est la teneur exacte de ce terme qui m’intrigue et pour tenter de me faire une idée de ce qui entre exactement dans la notion d’assassinat, je me suis rendu à sa définition dans le Dictionnaire de la mort (Philippe Di Folco (dir.), Le Dictionnaire de la Mort, Paris, Larousse, Collection « In Extenso », 2010, 1136 p.). Les choses ne sont pas simples, comme d’habitudes, mais méritent qu’on sy arrête un instant. Je reproduis donc une partie de l’explication historique donnée par l’ouvrage.
« Le nom assassin provient de l’arabe hachichin, lui-même déformation de hachich, breuvage enivrant qui servait à endormir les jeunes disciples de la secte fondée vers l’an 1073 par Hassan Ben Sabah (?-1124), héritier de la pensée du khalife fatimide Hakim Bi-Amr Allah (996-1021).
Hassan et ses docteurs enfermaient dès leur enfance les recrues de la secte dans des palais où leur était inculqué que seule une obéissance parfaite les promettait au salut éternel. Il leur était cependant possible d’entrevoir les récompenses du Paradis auquel leur dévouement les conduirait.
Une fois drogués grâce au hachichin, ils étaient conduits dans une demeure inconnue où tous les charmes des jardins et la volupté des hôtes finissaient de les convaincre. À leur retour, on leur proposait naturellement de donner leur vie pour atteindre à cette éternité paradisiaque, et une fois leur dévotion acquise, on leur remettait un poignard et désignait une victime.
Pendant plus d’un siècle, les Assassins furent craints de tous les souverains d’Asie. Ils furent massacrés et poursuivis par les Mongols au XIIIème siècle. Très peu survécurent.
Le terme fut emprunté au temps des croisades par le français qui lui conserva dans un premier temps le caractère de nom propre, et ensuite par l’italien. Il n’est dès lors guère étonnant de constater qu’avant de prendre le sens que lui donne, depuis 1810 la doctrine moderne du droit pénal, le terme assassin comme son dérivé, lassassinat, revêtaient une connotation plus morale que juridique. L’assassin était alors défini comme celui qui tue quelqu’un avec avantage, soit par le nombre de gens qui l’accompagnent, soit par l’inégalité des armes, soit par la situation du lieu ou par trahison.
L’assassin était donc un lâche, mais aussi souvent l’exécuteur d’une vengeance privée. Dans « Sang » (1937), Malaparte (1898-1957) observe: le mot assassin est notre plus terrible injure. Rien ne dépasse en horreur le sens de ce mot auquel le peuple associe un sens obscur et magique. Ce n’est pas l’idée de crime qui s’associe à ce mot, mais uniquement l’idée de sang ».
P-P. Rubens, Caïn et Abel
Jusqu’au XIXème siècle, on use de l’image, parfois tardivement romantique, de l’assassinat. Depuis Caïn assassin d’Abel, devenu une figure éternelle de la contrition et de l’errance, jusqu’à Marat assassiné par Charlotte Corday, figure sublime de la venfeance inébranlable, on a célébré l’assassinat, devenu un cliché, comme l’épreuve éternelle de l’humanité dans la tension du crime et la pulsion de la mort. Tantôt célébration de la lâcheté et des vicissitudes éternelles de l’humanité, tantôt illustration des travers de l’histoire et glorification d’un héros dont la disparition hypothéque la victoire de la civilisation, l’assassinat revêt une connotation de dégoût et de honte et appelle à la purge sociale. C’est ainsi qu’à l’assassinat fut entièrement liée la peine de mort.
Ce dégoût n’occulte pourtant pas entièrement un certain engouement populaire et artistique pour la question de l’assassinat et émerge parfois la figure fascinante de l’assassin débonnaire, froid exécuteur de ses oeuvres sordides, sans complexe et parfois avec un humour douteux.
J-L. David, Marat assassiné dans sa baignoire
Au XXème siècle ressurgit avec violence – et parfois dans l’effroi du direct – l’assassinat politique, et avec lui, une nouvelle forme de radicalisation face à l’assassinat. Le crime perpétré contre un seul et vécu comme une violence envers la société devient une définition nouvelle de l’assassinat. L’attentat contre la vie d’une personnalité emblématique en raison de ses conceptions politiques ou religieuses supplante de loin l’image de l’assassin débonnaire, de la figure romantique que d’aucuns voyaient dans un Landru ou un Lacenaire. La personnalité assassinée – de Gandhi à Kennedy, de Martin Luther King à Yitzhak Rabin – replace l’assassinat au centre du cyclone d’une société violente voire autodestructrice ».
Alors, après cette lecture, il est bien difficile de prendre position car, comme toujours, en fonction des idéologies et de l’angle sous lequel on voit le monde, on peut être assassin ou justicier. C’est peut-être pour cela que le droit de mort d’un individu sur un autre doit être absolument proscrit et qu’une vraie justice des hommes ne peut exister que dans l’obervance rigoureuse de l’objectivité, lorsque les individus qui sont désignées pour juger sont absolument étrangers aux parties. Mais est-ce possible, n’est-on pas toujours impliqué d’une manière ou d’une autre, politique, religieuse, idéologique, humaine, tout simplement?
Alors non, ce n’est pas la justice qui a été faite, du moins pas l’objective, c’est un acte compréhensible par une partie du monde, mais un acte qu’il faut éviter de reproduire au risque de généraliser et de banaliser l’assassinat.