Humain, trop humain…

On me demande souvent pourquoi je ne ma consacre pas entièrement à l’enseignement et aux conférences. J’ai depuis longtemps trouvé la réponse, sans doute étrange pour certains. Je vous en parle donc aujourd’hui.

J’ai souvent insisté sur le caractère humain et tolérant que doit absolument revêtir un exposé sur l’art et sur la musique en particulier. Or, pour rester humain et ouvert, il n’y a rien de tel que de se plonger dans le monde et dans la société. C’est là et seulement là qu’on peut se rendre compte des différents niveaux de culture des gens, de leurs attentes, de leurs peurs, de leurs joies et de leurs (in)certitudes.

Lorsqu’on travaille seulement dans l’isolement d’un bureau, avec comme seuls compagnons les livres et les partitions, on se détache du monde, on n’est alors plus en mesure de le comprendre tel qu’il est. Cela provoque un discours élitiste, froid et sans la passion que les gens peuvent nous communiquer….et cela, je n’en veux pas!

Il ne s’agit aucunement de démagogie de ma part. Ma nature est bien celle-là. Je ne dis pas que dans notre société tout fonctionne à merveille et que les gens sont tous beaux et interressants. La misère humaine est très révélatrice du monde et nourrit tous les jours un sentiment d’humanité nécessaire à celui qui s’est fixé comme but de vivre l’art intensément. Il n’y a pas dans cette démarche la manifestation d’une spiritualité particulière (je ne suis pas croyant!) pas plus que l’intention de jouer au bon samaritain. C’est seulement que je me sens homme dans une société et que les rapports de la musique avec cette société m’interressent au plus haut point.

Ma position à la Fnac est tout à fait privilégiée pour l’observation et la rencontre des gens. On y rencontre à la fois les mélomanes les plus cultivés (qui m’apportent beaucoup culturellement et parfois humainement) et le public qui n’a pas (encore) eu la chance de découvrir la valeur profonde de la musique. Pourtant le point commun entre tous, c’est qu’ils sont des êtres humains qui vivent dans un monde difficile. Les écouter est très émouvant. Si on peu, en plus leur procurer un moment de plaisir en les amenant vers la musique, ils se rendront compte rapidement que cette musique parle d’eux.

Je ne cherche pas à diaboliser les autres musiques. Que ce soient les vedettes de la Star Academy, les groupes de rock ou de rap, le jazz ou les musiques du monde, les musiques parlent à l’homme et en cela, elles sont un bienfait incomparable. C’est là que la célèbre phrase de Nietsche prend toute sa valeur: "sans la musique, la vie serait une erreur".

D’un point de vue plus terre à terre, il faut aussi savoir qu’il y a bientôt dix sept ans que je travaille à la Fnac et que j’ai mis beaucoup de mon énergie à maintenir le rayon classique dans des proportions raisonnables et à faire sortir l’enseigne de ses murs en développant des partenariats avec nos institutions musicales liégeoises. Les conférences de la Fnac ont quinze ans. Leur but est toujours le même: donner à chacun la possibilité de découvrir le monde de la musique classique sans tabous et sans élitisme. Toutes facettes de mon métier comptent aussi beaucoup.

Si j’abandonnais ce contact avec le monde de tous les jours, je ne serais pas heureux. Mes discours s’en ressentiraient sans doute à moyen terme. Je ne serais peut-être plus en phase avec les besoins de mon public. Je ne suis pas du tout altruiste. Je le fais avant tout pour moi, pour mon épanouissement personnel et l’assouvissement de cette passion de la musique et, à travers elle, de l’être humain.