Aujourd’hui encore, il n’est pas rare de lire ou d’entendre que la musique anglaise est morte avec le XVIIe siècle. Cette idée reçue part d’une observation limitée de l’histoire de la musique et d’un véritable complexe de l’Angleterre vis-à-vis de l’Europe. En effet, la mort d’Henry Purcell en 1695 sonna le glas de la fameuse époque élisabéthaine. Le grand compositeur laissait derrière lui l’une des périodes les plus riches de l’histoire tant au niveau de l’émulation artistique que des musiciens prestigieux tels que J. Dowland, W. Byrd et O. Gibbons. La fin de l’époque baroque voyait le règne d’un Allemand, G. F. Haendel (1685-1759), et, plus tard, au temps de Mozart, l’implantation régulière de sommités italiennes et allemandes sur les terres britanniques.
Henry Purcell
De fait, les anglais du XIXe siècle ne purent opposer au continent aucun artiste de l’ampleur d’un Beethoven, d’un Berlioz, d’un Wagner et même d’un Mahler. Pourtant, une pratique musicale séculaire faisait des grands centres anglais des passages obligés pour les musiciens soucieux de se forger un nom. Ainsi, cet éternel engouement pour la musique devait engendrer un sursaut vigoureux au moment des nationalismes de la seconde moitié du XIXe siècle.
La composition des Variations Enigma d’E. Elgar (1857-1934) en 1898 marque semble-t-il le début de la seconde renaissance anglaise. On vit, dès lors, s’installer un style nouveau teinté de folklore local et d’allusions au splendide passé élisabéthain. L’impression qui se dégage des œuvres d’Elgar, F. Bridge, J. Ireland, A. Bax et G. Holst trahit, malgré une forte identité, un conservatisme romantique très éloigné des préoccupations de la seconde école de Vienne et de ses travaux sur l’atonalité et le dodécaphonisme. En 1919, G. B. Shaw réagissait en préconisant un travail de fond sur l’expression musicale anglaise.
G. B. Shaw
« Il faut sensibiliser l’opinion publique au besoin de créer en Angleterre les conditions qui permettront aux musiciens autochtones, après un silence de deux siècles, de s’exprimer de nouveau dans une musique authentiquement britannique, possédant une force et une profondeur que l’on ne trouve que dans les formes les plus nobles de cet art. Et par là, je n’entends pas cette sorte de « musique nationale » que l’on confectionne en introduisant de force de la musique sérieuse dans les formes de danses locales ou encore ces pseudo-modes que l’on peut imiter en omettant les intervalles de la gamme qu’il était impossible de jouer sur les versions primitives de la cornemuse ou de la harpe. Tout ce bric à brac ne reçoit que trop d’encouragements. Le langage et l’instrumentation de la musique sont désormais internationaux ; ce que j’entends donc par musique britannique, c’est une musique dans laquelle les compositeurs britanniques exprimeront leur caractère national au moyen de ce langage international »
Ce compositeur tant espéré par Shaw se révéla chez Benjamin Britten (1913 –1976). S’inspirant certes du folklore britannique et de la musique élisabéthaine dont il saisit tout l’esprit sans jamais l’imiter, Britten fut très sensible à l’esthétique lyrique d’A. Berg, au Stravinsky des grands ballets et au symphonisme dramatique et ironique de Mahler et de Schostakovitch, dont il sera un véritable ami. Cet attrait pour les musiciens de son temps se combine avec un profond attachement à sa terre natale qu’on retrouve dans nombre de ses œuvres. Sa fascination pour la nature et surtout pour la mer du nord teinte toute sa production d’un cachet authentiquement anglais.
Benjamin Britten
Né le jour de la Sainte Cécile (22 novembre) 1913 sur les bords sauvages de la
mer du nord à Lowestoft dans le Suffolk, B. Britten est le fils d’un chirurgien dentiste autoritaire et d’une chanteuse amateur. Sa mère remarque très tôt ses dispositions exceptionnelles pour la musique et l’envoie chez le professeur de piano local. Peu après, on l’inscrit au Royal College of Music de Londres où il découvre la musique de F. Bridge et étudie la composition avec J. Ireland. Il devient un excellent pianiste et le restera toute sa vie.
La sinfonietta pour orchestre à cordes de 1932 est sa première œuvre significative mais ce sont les variations sur un thème de Frank Bridge en 1937 qui établissent sa réputation confirmée l’année suivante par le concerto pour piano.
Profondément pacifiste, l’approche de la guerre l’éloigne à regret de sa terre natale. Il embarque pour les Etats-Unis fuyant la violence et un nouvel ordre social qui n’accepterait pas son homosexualité déclarée. Le grand ténor Peter Pears, compagnon de toujours, s’enfuit avec lui à la découverte d’autres horizons. Dans le nouveau monde, il compose ses « illuminations » pour ténor, cor et orchestre. Pendant ces années troublées et riches en nouvelles découvertes, Britten découvre véritablement l’opéra. Peter Grimes (1944) inaugure une série impressionnante d’œuvres lyriques parmi les plus réussies du Xxe siècle (le viol de Lucrèce (1946), le Tour d’écrou (1954), Le songe d’une nuit d’été (1960), Mort à Venise (1973),…).
En pleine guerre, le mal du pays est si intense pour les deux exilés qu’ils décident de revenir en Angleterre et de s’installer définitivement à Aldeburgh, à quelques kilomètres seulement du village natal du compositeur. Là, avec une énergie débordante, il crée le fameux festival d’Aldeburgh consacré à l’exécution de ses propres œuvres et à celles des jeunes compositeurs. Il fonde également l’English Opera Group, formation d’opéra de chambre destiné à parcourir la Grande-Bretagne pour faire connaître ses œuvres.
A suivre…