Suite à l’émission Questions à la Une diffusée ce mercredi soir sur la RTBF et consacrée à la disparition annoncée du compact disc, quelques réflexions me viennent à l’esprit. Il ne s’agit pas de remettre en cause l’enquête proposée par les journalistes, mais de confirmer ou d’infirmer certaines déclarations un peu rapides et peu développées lors du reportage télévisé.
Partir du postulat que le cd est en fin de vie et qu’on l’a tué volontairement est une évidence pour tout le monde un peu versé dans le domaine. Il n’est d’ailleurs pas inutile de rappeler à ce sujet l’incapacité des fournisseurs à livrer les cd’s demandés par les magasins au bon moment et, d’une manière générale, une totale désorganisation des politiques de vente et de gestion des produits. Des erreurs de ce genre pénalisent fortement le marché, mais cela, on n’en parle pas…! Si les ventes chutent de manière régulière dans le domaine du pop-rock et de la variété française (ce qui reste à prouver par de vrais statistiques!), on aime répandre l’idée que la cause n’est pas à rechercher au-delà d’une nouvelle manière de consommer la musique chez les jeunes qui accèdent de plus en plus tôt au téléchargement illégal.
Le piratage qui ferait des firmes de disques des victimes malheureuses de la technologie aux mains jeunes me fait vraiment sourire. Deux aspects me semblent essentiels à mentionner. Comment les enfants et les jeunes adolescents pourraient-ils télécharger légalement alors que, pour ce faire, il faut une carte de crédit que la jeunesse ne possède pas ? La seule solution est donc l’utilisation des sites de partage, certes illégaux, mais très riches en nouveautés (souvent disponibles avant même la sortie en magasin). Le second aspect réside dans cette habitude de copier les médias par le truchement des médiathèques. Qui n’a jamais profité du prêt d’un cd ou d’un vinyle pour le copier sur une cassette audio ou, plus récemment, sur un cd ? Tous mes amis et moi-même avions une impressionnante collection de cassettes copiées à partir de visites hebdomadaires dans les médiathèques. C’était l’occasion de pouvoir découvrir et assimiler le répertoire à peu de frais. Quand on est étudiant, on n’a pas les poches pleines pour s’acheter toutes les semaines plusieurs albums…
Au contraire, je me souviens que mon passage chez le disquaire pour acheter, et pas seulement pour regarder, était une véritable fête et l’achat dûment préparé avait fait l’objet d’une longue réflexion. L’objet tant convoité était donc une merveille méritant à mes yeux plus qu’une vulgaire copie. Aujourd’hui encore, dépenser entre quinze et vingt euros pour un cd relève, chez les jeunes (et les moins jeunes) d’un acte de foi particulier relevant tant de l’économie que de l’admiration face à un artiste et d’une certaine forme de…fétichisme. Bref, il en a toujours été ainsi, même si c’est plus facile, aujourd’hui, de copier gratuitement sans sortir de chez soi et cela vingt quatre heures sur vingt quatre.
Les tentatives de sensibilisation face au manque à gagner des artistes copiés ont été menées de manière lamentable. Chacun y a perçu une manœuvre des grandes firmes pour culpabiliser le consommateur. La dimension artistique, reléguée au second plan par les financiers, n’a fait qu’accentuer le problème. La menace et l’interdiction ont toujours un résultat inverse. Les protections des cd’s contre la copie se sont soldées par des produits non seulement illisibles sur certains appareils (auto-radios), mais néanmoins copiables à l’aide de certains logiciels gratuits sur Internet… donc un flop total ! Le résultat a été une volonté de compensation financière chez les majors qui ont augmenté leurs prix de manière démesurée. C’est le contraire qu’il fallait faire (et ceux qui l’ont fait vendent mieux !). Il est facile de pointer la marge bénéficiaire des disquaires, mais leur cœfficient de marge n’a pas vraiment changé depuis des années.
Mais pourquoi, diable, certains artistes vendent-ils toujours autant alors ? Il faut scinder le marché du disque en deux parties au moins. Il y a d’abord la musique de consommation rapide et éphémère. Il y a toujours eu des « tubes de l’été » qui se sont vendus énormément pendant des périodes courtes. Comme les produits alimentaires, on dirait que ces objets ont une date de péremption. Quand l’été est passé, ils n’intéressent plus personne. Ceux-là font donc aujourd’hui l’objet des téléchargements les plus nombreux. Quand on n’en veut plus, on les efface. Ils ne constituent plus la manne financière pour les disquaires et sont l’objet d’une publicité intense sur le Web. Viennent ensuite les artistes « intemporels », qu’on découvre, qu’on écoute de nombreuses fois et qui accompagnent notre vie. Ceux-là sont des valeurs sures et continuent à vendre. Quand Alain Souchon, par exemple, sort un nouvel album, les amateurs l’achètent en grand nombre. Il faut voir l’impatience des fans de Johnny ou Mylène Farmer pour comprendre que ceux-là, ils veulent posséder l’objet et tous ses dérivés. En examinant les hits de la Fnac, on constate que ce sont eux qui constituent aujourd’hui le fameux 20/80, cette proportion effrayante mais réelle qui montre qu’avec 20% des références on fait 80% du chiffre d’affaire (oui, c’est une réalité !). On comprend aussi, en conséquence, pourquoi les grandes surfaces se bornent à quelques titres seulement pour leur rayon musique. C’est aussi l’une des causes de la disparition des petits disquaires spécialisés. Les 20% du chiffre d’affaire qui reste sont alors occupés par les vrais mélomanes, ceux pour qui le cd ne se résume pas à un tube du moment.
Ce sont évidemment ceux-là qui ne veulent pas comprendre la crise de cd. Eux, ils en achètent et ne voient pas la consommation de la musique comme celle d’un autre produit. Ils mettent en évidence le fait culturel du cd, et ils ont raison. Le problème est que la culture comme ils la pensent ne correspond plus à grand-chose chez les consommateurs orientés par les seules radios et télévisions populaires qui, elles aussi, jouent le jeu rémunérateur de l’audimat.
Un autre argument des mélomanes réside dans la soi-disant mauvaise qualité des « objets » téléchargés. C’est vrai que le MP3 ne propose pas une qualité semblable au cd. Mais demandez aux audiophiles si la qualité du cd les satisfait, unanimement, ils vous diront que rien ne remplace le vinyle. Conflit des générations ? Pas seulement. Aujourd’hui, nous sommes habitués à la qualité du cd. Mais nos enfants qui n’écoutent que sur des lecteurs MP3 ne la connaissent pas. Pour eux, la norme c’est celle qu’ils écoutent. Peu importe dans ce cas l’argument qualitatif, et puis, est-ce si mauvais que cela ? Cela dépend, bien sur, du type de musique écoutée. Une fois ces jeunes devenus adultes, leur norme ancienne restera la même et il n’y aura plus personne si ce n’est les quelques dinosaures que nous sommes pour regretter le passé.
La musique se dématérialise et l’objet sera, dans quelques temps relégué au rang des collections pour « initiés » au même titre que les pièces de monnaie, les timbres postes ou les tableaux de maîtres. Ne me dites pas que cela est bien triste, c’est l’évolution de notre monde et le résultat des nouvelles technologies. Ne vous faites pas de souci pour les vrais artistes, ils continueront à créer et vivront des concerts. Ne vous lamentez surtout pas sur l’avenir des firmes de disques, elles sauront se renouveler et trouver les dollars là où ils sont. Les magasins se transformeront eux aussi et le commerce de la musique continuera à être rentable pour tout le monde, d’une autre manière. Cela se fera à l’aide de reconversions et de pertes d’emplois, cela est sur, mais, finalement, tous les domaines de l’activité humaine ne sont-ils pas en perpétuelle transformation ?
On dit que le cd n’en a plus que pour dix ans. Le rayon classique aura sans doute un répit un peu plus long (quoique !). En attendant, croyez-moi, on continue à vendre beaucoup de cd’s. De notre côté, continuons à écouter de la musique pour notre plus grand plaisir.