Jargon

 

Bruckner est encore trop peu connu en nos régions. Pourtant, à Liège, l’OPL ne manque jamais une occasion de le faire entendre à chaque saison. L’événement de la semaine sera le concert de Louis Langrée, de retour chez nous pour une soirée exceptionnelle, qui dirigera la superbe neuvième symphonie (sans oublier le concerto pour piano de Schumann avec Benedetto Lupo en soliste). Vous connaissez ma passion pour la musique de Bruckner et je vous avoue que si j’avais été chef d’orchestre, diriger la neuvième de Bruckner aurait été pour moi la réalisation du rêve de toute une vie.


 

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Je profite de l’occasion pour signaler la parution d’un petit ouvrage en français sur notre compositeur. Ce n’est en effet pas si fréquent. L’ouvrage collectif, publié sous la direction de Philippe Herreweghe et édité par Actes Sud-Classica a pour but de combler une grave lacune de la littérature musicale (il est tout à fait inexplicable et injuste qu’il n’y ait pas de Fayard consacré à Bruckner). Rendre accessible à tous la musique du maître, voilà le but avoué de l’opuscule. Pourtant, quand on le lit, on se demande vraiment si ce but est atteint. Lisez plutôt cet extrait tiré du commentaire de la sixième symphonie : 

« Ce mouvement (l’adagio) est incontestablement un des plus réussis du compositeur, mais également un des rares où il s’en tient à une forme sonate relativement classique (c’est faux, ce n’est pas une forme sonate classique, il y a trois thèmes et pas de développement !) ; le sentiment y est généreux, intense et les mélodies obsédantes, mais on y distingue également une habileté d’écriture plus fine encore. Les inflexions issues des sixtes napolitaines du premier mouvement délivrent ici leur potentiel structurel en une texture harmonique se prêtant à une profusion de relations entre tonalités. Autour du schéma tonal primaire sur fa-do-fa, soit I-V-I en fa majeur, le compositeur met en œuvre une grande variété de sonorités ; mais ce schéma sous-jacent se trouve comme brouillé par un réseau complexe de sous relations harmoniques. Le premier thème, avec sa sixte mineure, comporte un certain nombre d’harmoniques de si bémol mineur, … » 

N’allons pas plus loin ! Ce commentaire est non seulement inutile dans le cadre d’un petit livre qui a la prétention de s’adresser à tous, mais est aussi truffé d’erreurs, d’imprécisions que les musiciens auront vite fait de corriger. Voilà encore un exemple flagrant de jargon sans intérêt et même profondément déplaisant. Je n’ai rien contre les analyses spécialisées, j’en lis énormément et elles sont utiles, partition en main, pour comprendre les procédés du langage de l’auteur. Mais dans ce cas précis, je ne crois pas que la musique de Bruckner y gagne quoi que ce soit. Il aurait été bien plus utile de tracer le parcours du mouvement d’un point de vue émotionnel, mais pour cela, il faut savoir écouter les douleurs et questionnements de Bruckner ce qui est toujours moins simple qu’une austère et froide analyse !


 

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Il serait injuste cependant de condamner l’entièreté de cet ouvrage.. La première  moitié, plus historique, trace un portrait de la musique en Autriche qui a le mérite d’aller droit au but et donc de situer le compositeur dans sa juste perspective. Cette partie là est accessible et enrichissante pour tous. Alors, à quand un travail sérieux en français sur la musique de Bruckner ?