Plusieurs d’entre vous m’ont demandé pourquoi je ne prenais pas parti dans le cadre du projet de candidature de la ville de Liège comme capitale culturelle en 2015. J’ai, en effet, gardé le silence sur ce dossier car je ne voulais pas influencer le libre arbitre de chacun dans un domaine pour lequel j’ai effectivement mon opinion.
D’abord séduit par le projet, j’avais signé la fameuse pétition dès les premiers jours de sa publication. Il me semblait en effet que la candidature de Liège pourrait apporter un plus à son dynamisme culturel… Plus de visibilité, plus de moyens, plus de visiteurs, bref, l’espoir d’un rayonnement international de notre Cité ardente me plaisait dans l’absolu. Pourtant, je me disais aussi que Liège, en occupant une place privilégiée en Europe (tout comme la Belgique entière d’ailleurs au carrefour de l’Europe) était déjà bien ancrée dans l’univers culturel international. Si on y regarde de plus près, on est en droit de se demander combien de villes belges peuvent compter autant d’institutions au rayonnement international (Orchestre Philharmonique de Liège, Opéra Royal de Wallonie, Théâtre de la Place, Grand Curtius, Musée d’Art moderne, Grande Bibliothèque et Médiathèque des Chiroux, Cinémas Sauvenière, Festivals Ardentes et Transardantes, concerts de midi, Université, et j’en passe). Bref, il y en a pour tous les goûts.
Opéra Royal de Wallonie à Liège
Bibliothèque des Chiroux
Maison Curtius
Gare de Liège Guillemins par Calatrava
Orchestre Philharmonique de Liège
Notre villes reste cependant une petite ville à l’échelon européen. Il n’est pas défaitiste de le signaler. C’est, au contraire, montrer son dynamisme de mettre en évidence ses atouts culturels qui n’ont pas attendu une candidature … en 2015 pour s’affirmer. Et il faut saluer les acteurs infatigables qui travaillent tous les jours au rayonnement de la culture à Liège. Alors s’il est toujours possible de faire plus, d’améliorer les infrastructures existantes, et même d’en créer de nouvelles, on sait aussi que, comme dans tous les domaines, trop de culture peut nuire à la culture. Le tout est encore de définir ce que l’on entend par « culture ».
Mais comme toute personne impliquée dans la culture de sa ville, j’avais du mal à penser que le « non » était préférable au « oui ». J’ai alors cherché à comprendre le projet dans ce qu’il pouvait avoir de concret … et je n’ai rien trouvé de convainquant ni même de véritable projet porteur d’avenir ! En désespoir de cause, je pensais que le débat organisé par RTC Liège allait m’éclairer un peu plus, mais quelle déception ! Les propos des uns et des autres étaient incompréhensibles. Il me semblait qu’ entre les vociférations des uns et des autres, on assistait à un règlement de compte politique d’une rare vulgarité … et sans le moindre contenu. Jean-Pierre Rousseau, directeur de l’OPL, dont je connais l’opinion de longue date, qui avait pris position ouvertement et de manière argumentée pour le « non » a bien essayé quelques fois de ramener le propos à sa juste place, mais rien n’y a fait. Il n’y a pas eu moyen de savoir de quoi on parlait. Rien de concret sur le coût, sur le programme, sur les projets, … alors qu’un dossier complet devait être rendu en cas de victoire du « oui » pour le premier mars ! Dommage ! Lamentable !
Alors mes conclusions sont les suivantes : soit il n’y a pas de projet valable et la candidature de Liège est inutile, soit le projet est dévoré par les ambitions politiques des partis en présence, en prévision des prochaines élections et c’est bien triste pour les initiateurs passionnés de la pétition, récupérés de la sorte et muselés au point de ne pas parvenir à formuler de manière cohérente leur enthousiasme. Dans ce
s conditions, ma seule et honnête possibilité était de voter « non », mais avec énormément de regrets.
Reste que la démocratie semblait sauve. On organisait, grâce aux signataires de la pétition, une consultation publique où chacun pouvait aller voter et donner son avis. Malheureusement, les liégeois n’ont pas répondu à cet appel démocratique. Et il est bien inutile, à mon avis, de lancer une nouvelle polémique concernant le dépouillement. Moins de votes que de signatures sur la pétition …étrange ! La démocratie implique aussi le droit à s’abstenir. Mais avant de condamner le liégeois pour son manque de civisme et son absence d’implication, rappelons que voter pour un projet obscur, très éloigné des tracas de tous les jours et incompris est bien difficile (on se garde bien d’organiser une consultation populaire à Mons où, d’après certains sondages, moins de 10% de la population se sentent concernés par la candidature de leur ville). Beaucoup se disent que l’important aujourd’hui n’est pas là, que la crise, l’emploi , la propreté et la sécurité sont bien plus importants au bien-être général.
Mais ce qui m’attriste profondément, c’est le manque d’intérêt pour l’action démocratique d’une part et pour la culture de l’autre. Je ne pensais tout de même pas que cette dernière ne concernait qu’un si faible pourcentage de la population. Une fois qu’on vit dedans tous les jours, on est aveuglé par le milieu. Pourtant, ne dit-on pas qu’une société sans culture est une société qui meurt ? Sommes-nous en train de mourir ? Je n’en ai cependant pas du tout l’impression quand je vois le remplissage des salles de toutes sortes et l’engouement pour le nouveau grand musée à Liège, n’en déplaise aux contestataires.
Liège, vue de la CitadelleAlors, que s’est-il passé ? Tout simplement un décalage entre ceux qui considèrent la culture comme un enjeu politique et un bon moyen de se mettre en évidence et la population qui, lasse des éternelles querelles de clocher, a besoin de concret et de se sentir impliquée. Comme le demandait encore J-P Rousseau : « qui se soucie de maintenir la culture accessible au plus grand nombre pendant cette période de crise ? » Car le vrai problème est bien là. Pour que la population puisse participer au monde culturel, elle doit ne pas en ressentir l’élitisme encore trop souvent présent chez les « cultureux » (le terme n’est pas de moi). La culture appartient à tous et l’exemple à suivre est là, sous nos yeux, dans les tarifs préférentiels pour diverses catégories d’âges, dans les séances gratuites pour tous et dans le développement de la mission pédagogique des institutions. Par simple curiosité et pour convaincre ceux qui refusent de voir cette réalité, il suffit de feuilleter les programmes de l’OPL ou de l’Opéra…ou encore des manifestations d’ouverture pour le « Grand Curtius » … ! Qui dit que la culture est inexistante à Liège sauf les gens de mauvaise foi ?
Alors, avec ou sans Liège 2015, cela ne nous empêchera pas de continuer à travailler pour la culture, pour que chacun ait le droit à tirer de notre patrimoine culturel ce qui est indispensable à une société civilisée et équilibrée. Combattre l’élitisme sans réduire le propos, faire comprendre le rôle de la culture dans l’existence de l’être humain, relier les disciplines entre elles et les mettre à portée de main, voilà un vrai projet auquel je travaille tous les jours depuis de nombreuses années. Mais personne, parmi ceux qui s’élancent soudain aujourd’hui pour la culture, n’est jamais venu ne fut-ce qu’une seule fois écouter une de mes conférences ou séances musicales… ! Pour moi, ce n’est pas grave, car je crois que beaucoup à Liège continueront à travailler à la transformation de ce que certains nomment l’échec de Liège 2015 en une victoire sur le long terme.