Prométhée

 

 

En préparation d’une conférence sur l’importance du mythe de Prométhée dans l’œuvre de Beethoven, je vous propose quelques réflexions sur ce sujet à la fois passionnant et utile à la compréhension de la démarche d’un des « Titans » de la musique. La première étape de ce périple concerne une œuvre finalement peu connue du maître.

 

Die Geschöpfe des Prometheus op. 43 (Les Créatures de Prométhée) fut pour Beethoven en 1800/1801 une œuvre importante à deux égards. C’était la première grande œuvre scénique écrite par un compositeur connu jusque là pour sa musique de chambre, une symphonie et deux concertos pour piano. Comme le ballet était un genre à la mode à Vienne, cette commande était un véritable honneur pour le compositeur.

 

En 1801, le chorégraphe Salvatore Vinganò (1760-1821) maître de ballet à la Cour impériale entre 1799 et 1812 (départ pour la Scala de Milan) et véritable adepte de la restauration des pantomimes à l’antique, désirait illustrer ses idées humanistes à travers un ballet d’inspiration hellénistique. Ce fut tout naturellement qu’il décida d’aménager la fameuse légende de Prométhée et qu’il demanda au jeune compositeur de composer la partie musicale.


 

Beethoven jeune


 

Le sujet de l’œuvre, avec son action héroïque et ses préoccupations humanistes, recoupait la pensée de Beethoven, sensible non seulement à l’Antiquité mais aussi à tout ce qui touche à l’humanité. S’il est un personnage profondément attaché à défendre une justice des hommes comme le faisait Prométhée, Beethoven ne pouvait que le cautionner. Lui-même allait bientôt s’identifier au personnage mythologique dans son combat contre le destin et la surdité comme châtiment suprême. Nous y reviendrons bientôt.

 

Mais qui est ce Prométhée ? Dans les méandres de la mythologie grecque, plusieurs sources évoquent le personnage. Considéré comme le créateur de la race humaine, certains le considèrent comme l’un des sept titans. Il est le fils de Japet et de la nymphe Clyméné. Ses frères étaient Epithémée, Atlas et Ménoetios.


 

Prométhée et Atlas

Prométhée et Atlas


 

Il avait été instruit aux arts et aux sciences par la déesse Athéna, car proche de Zeus dans un premier temps, il avait assisté à la naissance de la déesse lorsqu’elle avait jailli de la tête de celui-là. Il avait transmis à ses créatures, les hommes, tout son savoir. Mais Zeus s’irritait de voir ainsi les hommes évoluer en sagesse, en art et en grandeur. Il avait fallu toute la diplomatie de Prométhée pour que le chef des dieux ne mette pas fin à l’humanité en la détruisant. Mais suite à une sombre histoire d’offrande où les dieux avaient été lésés par les hommes, Zeus décida de leur retirer le feu et donc de plonger les hommes dans un état proche de la bestialité, empêchant de la sorte tout progrès. C’est comme si, soudain, ils étaient privés de tous leurs acquis.

 

On connaît bien la suite. Prométhée s’introduisit en secret (avec tout de même la complicité d’Athéna) dans l’Olympe et emporta une braise allumée au char du dieu Soleil. Il la donna aux hommes et leur rendit le savoir. Mais pour se venger de cette traîtrise, Zeus condamna Prométhée à être attaché éternellement  nu à un rocher du Caucase pendant qu’un aigle mythique lui rongerait le foie se régénérant toutes les nuits (les grecs avaient déjà saisi que cet organe se régénérait de lui-même !). Le terrible supplice n’aurait jamais pris fin si Héraclès n’avait pas convaincu Zeus de lever le supplice. Mais comme un jugement éternel du dieu ne peut être contredit, Prométhée dut garder la trace de sa souffrance sous la forme d’une bague forgée avec un morceau de ses chaînes et
sertie d’une pierre du Caucase.

 

Vous l’imaginez bien, le mythe est bien plus complexe que ce modeste résumé et de nombreuses autres péripéties viennent s’y intercaler. Elles ne nous seront pas d’une grande utilité ici. Pour en savoir plus, vous pouvez suivre ce lien : http://mythologica.fr/grec/promethee.htm


 

Rubens, Prométhée

P-P. Rubens, Prométhée


 

Dans l’aménagement du mythe par Vinganò, Prométhée, être supérieur qui a donné le feu aux hommes, donne vie à deux statues qu’il essaye de civiliser. Au départ, ces deux créatures semblent suivre leur propre vie, et il est tenté de les détruire. L’aube lui apporte une inspiration nouvelle et il leur montre les fruits et les fleurs fraîchement cueillis. Les créatures sont apprivoisées par la beauté de la Nature et suivent Prométhée jusqu’au temple d’Apollon sur le mont Parnasse. Là, il les présente au dieu et lui demande de leur accorder la raison et les sentiments. La musique d’Orphée et Euterpe  les éveille, puis, pour les instruire de la guerre, résonne une musique militaire qui accompagne le cortège du dieu Mars. Il est suivi par la mort en la personne de Melpomène, la muse de la tragédie. Elle leur prédit un destin sombre et grave. Cette dernière tue Prométhée parce qu’il leur a donné la vie. A la tombée de la nuit, les créatures implorent l’aide des dieux. Le spectre de la mort s’évanouit avec l’aube et l’entrée d’un jeune couple. Les créatures soulèvent le corps de Prométhée et des êtres divins entrent et forment un cortège nuptial. Sur un signe d’Apollon, Prométhée est loué pour ses entreprises bienfaisantes et prend place auprès des dieux dans le final.

 

On comprend aisément pourquoi ce ballet n’a pas eu la postérité d’autres œuvres de Beethoven. Cependant, il est aussi évident qu’y étaient intégrées des idées politiques, philosophiques et spirituelles chères au musicien. Lui, que le destin des hommes émouvait au plus haut point concevait déjà son art comme le porte parole de ses idéaux. Si même il n’était pas encore accablé par la tragédie de la surdité, si le fameux Testament de Heiligenstadt n’était pas encore rédigé, il n’empêche que les rapports entre les hommes et la divinité figuraient déjà au panthéon de ses réflexions. Mais Prométhée est aussi celui qui par son énergie permet aux hommes d’évoluer. Il deviendra vite dans la vision beethovenienne un véritable idéal. Force de vie contre la mort et la tragédie de l’existence, Prométhée sera non seulement un modèle pour le compositeur, mais aussi un modèle auquel il s’identifiera.

 

Certes, le ballet est presque inconnu aujourd’hui, si ce n’est l’ouverture que l’on joue encore fréquemment (et qui sur certains points techniques s’inspire de la première symphonie). On peut même affirmer que celle-ci est un véritable laboratoire des procédés que Beethoven reprendra plus tard et qui constituent sa carte d’identité sonore. Le compositeur considérait, tout comme Gluck, Haydn et Cherubini, que l’ouverture d’un opéra ou d’une musique de scène avait une fonction sémantique essentielle. Elle devait condenser l’argument pour prévenir le spectateur du contenu de l’œuvre qu’elle débutait. En ce sens, il est toujours bien utile de revenir sur ces œuvres un peu délaissées (Coriolan, Egmont, Leonore, …)


 

Beethoven, Créatures de Prométhée Ouverture


 

Le ballet comportait, outre la dite ouverture, une introduction et seize numéros. Cependant, quelques orchestrations inhabituelles chez Beethoven sont à souligner, comme la tempête de l’introduction, le solo de violoncelle et de harpe dans la cinquième pièce ou du cor de basset si prisé de Mozart dans le numéro quatorze. Autre fait essentiel, le thème du final sera transposé dans d’autres œuvres plus connues. On le retrouvera notamment dans les fameuses variations « Eroica » pour piano op. 13 ainsi que dans le final de la troisième symphonie « Héroïque », preuve que Beethoven bien associé l’héroïsme à Prométhée. Le tout mérite une audition nouvelle et même si l’œuvre ne figure pas en tête des réalisations du grand compositeur, elle témoigne de sa première identification avec le mythe grec si important pour la suite de son œuvre.

 

A suivre…