Le temps me manque cette semaine pour rédiger des textes un peu fournis sur mes oeuvres préférées. Il faut dire que la période de fin d’année demande beaucoup d’énergie à la Fnac. C’est aussi la période des examens de Noël et il est bien utile de passer quelques temps à aider un peu et dans la mesure de mes moyens le jeune fille qui affronte à la fois les épreuves scolaires, les examens de solfège et les auditions de piano. Vous ne m’en voudrez pas de vous reparler aujourd’hui de l’un des chefs-d’oeuvres de l’histoire de la musique, déjà mis en ligne il y a plus d’un an et demi. Les Quatre derniers lieders de Strauss restent, en effet, un moment de pure émotion et à chaque écoute, j’en ressort très ému… et puis, suite aux Wesendonck Lieder que j’évoquais la semaine dernière, les sublimes mélodies de Strauss viennent compléter admirablement l’histoire de la mélodie allemande. Dernière manifestation du romantisme, cette oeuvre est essentielle.
La longévité de Richard Strauss (1864-1949) lui confère non seulement le statut de dernier compositeur romantique allemand, mais aussi de témoin de l’effondrement d’un empire qui avait dominé plusieurs siècles de la civilisation occidentale. C’est dire l’importance historique et esthétique de son art… !
Dans un tel contexte, les Quatre derniers Lieder occupent une place particulière dans l’histoire de l’homme et de la musique. Accumulation de toute la tradition germanique, l’art de Richard Strauss a su être unique et original. Son parcours biographique est particulièrement révélateur du personnage.
Corniste de formation, il sent vite l’attrait pour la composition et sa première symphonie est jouée à Munich par Hermann Levi dès 1881. Devenu chef d’orchestre (sans doute l’un des plus grands de la première moitié du XXème siècle !), il compose de nombreux poèmes symphonique pour Berlin, Vienne, Bayreuth et Weimar. Sa réputation s’étend à toute l’Europe. Il épouse en 1894 la cantatrice Pauline de Ahna avec qui il traversera l’existence au rythme des bonheurs et scènes de jalousie légendaires. Sa carrière dans l’opéra sera gigantesque et sa collaboration avec Hugo von Hofmannstahl (le Da Ponte de Strauss) donnera naissance à six grands ouvrages, piliers de l’opéra moderne. Parmi ceux-ci, citons, Elektra, Der Rosenkavalier, Ariadne auf Naxos et Die Frau ohne Schatten.
Restant en Allemagne sous le régime nazi et occupant même le poste de président de la Reichmusikkammer dès 1933, il refusera de rester en poste lors de la déportation de son ami Stefan Zweig. Il se réfugiera en Suisse et esquissera ses dernières œuvres, témoignages d’un monde en pleine disparition (Métamorphoses, Capriccio, Vier letzte Lieder).
On a souvent reproché à Strauss une vie rangée, aisée et bourgeoise. Comme si cette situation tranchait avec l’idée traditionnelle de l’artiste romantique, tourmenté, pauvre et malade, on a beaucoup discrédité sa musique et considéré qu’elle ne véhiculait pas les problèmes existentiels de l’âme humaine. Aujourd’hui, on commence à admettre qu’il n’en est rien. On redécouvre la profondeur de ses opéras et les questions essentielles qu’ils nous posent. On retrouve une profondeur au-delà de la virtuosité des poèmes symphoniques. Enfin, on comprend un processus créateur différent de celui de son contemporain, mort trop tôt, Gustav Mahler.
Les Quatre derniers Lieder font partie des plus belles mélodies avec orchestre jamais composées. Dans sa retraite suisse, Richard Strauss avait mis en musique (1946) un texte du poète Eichendorff, Im Abendrot (Au crépuscule) qui raconte la fin du voyage pour un couple las de traverser l’existence et aspirant au repos. L’aspect biographique de ce choix semble évident. Cet adieu, placé désormais en dernière place dans le cycle de mélodies est particulièrement touchant dans sa douceur et son apaisement ultime. L’orchestre, coloré comme un crépuscule (Strauss a été l’un des plus formidables orchestrateurs de l’histoire avec Ravel !), évoque le sommeil et la mort avec une douceur toute irréelle. La partie chantée, toute éthérée, semble accéder déjà à cet ailleurs tant recherché par les compositeurs de toutes les époques et le postlude, d’une rare émotion, nous transporte dans l’éternité immobile. Un des grands moments de toute la musique !
Joseph von Eichendorff
Composés un peu plus tard (1948) sur des poèmes d’Hermann Hesse, les trois autres mélodies semblent nous préparer à la dernière, bien que l’ordre du cycle n’ait sans doute pas été envisagé par le compositeur lui-même. La première, Frühling (Printemps), chante le renouveau de la n
ature et la jeunesse chaque fois retrouvée et aboutit, avec une sensualité forte, à l’extase finale. La voix, typique des grandes héroïnes d’opéra, plane sur les hautes cimes de la tessiture de soprano.
Hermann Hesse
September, le deuxième texte de Hesse, évoque quant à lui l’automne et le cycle finissant. Ce sont toutes les couleurs de la basse saison que l’orchestre et la voix nous accordent. La densité orchestrale et le nombre de thèmes générant des images (feuilles qui tombent, cor annonçant le crépuscule, …) sont unis dans une forte polarité tonale et rythmique.
Comme une berceuse, En s’endormant (Beim Schlafengehen), utilise encore un texte de H. Hesse. Entre les strophes dont le chant semble se déposer sur l’orchestre, un solo de violon vient dispenser son chant berceur et consolateur. On ressent ici un mélange de calme et de nostalgie. L’homme contraint de quitter un monde qui n’est plus le sien jette un dernier regard en arrière avant de s’endormir et de laisser place au couchant de Im Abendrot. Les toutes dernières mesures, orchestrales, dématérialisent le temps et les oiseaux s’endorment dans une paix à la fois surnaturelle pourtant tellement mélancolique. L’ultime chef-d’oeuvre!
E. Schwarzkopf, G. Szell (1965)
Bien que de nombreuses versions discographiques soient disponibles, je reste très attaché à la version avec laquelle j’ai découvert ce cycle de mélodies. Depuis, j’en ai acheté au moins dix versions…que je n’écoute jamais ! J’en reviens toujours à cette interprétation magique de 1966 avec Elisabeth Schwarzkopf, l’Orchestre symphonique de la Radio de Berlin, dirigé par George Szell et réédité chez EMI dans la collection Grands enregistrements du siècle. mais d’autres versions, comme celle de Gundula Janowitz avec Karajan chez DGG, de Jessie Norman avec Kurt Mazur chez Philips, de Lisa Della Casa avec Karl Böhm, très rapide, chez Deccaou encore de Kiri Te Kanawa avec Georg Solti également chez Decca sont aussi très recommandables. Une version récente de Renée Flemming avec Christian Thieleman, toujours chez Decca mérite qu’on s’y arrête même si on n’atteint pas les niveaux exceptionnels de la légendaire Elisabeth Schwarkopf.
Tout ici y est parfait. Le chant de la grande Elisabeth y est d’une rare pureté, dégagé du maniérisme qui la caractérise parfois. Le timbre de sa voix, tour à tour voilé et lumineux, s’adapte à chaque émotion, sa diction allemande est impeccable et parfaitement compréhensible. La direction de Szell est parfaite. Il parvient à créer les climats les plus intemporels en gardant ce chatoiement si particulier à l’orchestration de Strauss. L’orchestre semble le suivre avec émotion et finesse, mettant un point d’honneur à transmettre les émotions ultimes du maître de Garmisch Partenkirchen.
Un cd absolument essentiel à toute discothèque !
Vous avez raison lorsque vous parlez de l’incomparable interprétation de Scwarzkopt.
Sans parler de cette pureté vocal unique.
Quant a ces quatre oeuvres, elles représente a mes yeux ce qui a de plus parlant en musique.Je suis professeur d’art lyrique, et au cours de ma carrière, je me suis souvent amusé a faire écouter a mes étudiants novices , les quatre derniers Leeds, et quel est toujours ma surprise, les élevés arrivent a identifier le thème, certains allants juste a
me dire:cela parle de la mort, et du regret de devoir quitter ce monde, ou son bien aimée.
On éprouve du bonheur a vous écouter parler de ces oeuvres.
Mon texte n’a pas la prétention de faire un relevé de la discographie très riche des 4 derniers lieders, simplement de vous parler de celles que j’aime. Je connais la version Scwarzkopf – Ackermann. Elle est superbe, c’est vrai, même si la prise de son est plus ancienne et moins confortable. La version de Gr¨mmer, je ne l’ai jamais entendue. Je sais que certains critiques mettent des réserves à la version que je vante, mais peu importe. Cette oeuvre de Strauss est forcément automnale puisque c’est la dernière du compositeur d’une part et que les textes se prêtent à cet éclairage crépusculaire. Je reste sur mes positions. Schwarzkopf y est sublime et le message de l’oeuvre s’y transmet avec toute la simplicité qui donne à cette musique une vérité intemporelle.
Et la 1ère version de la même E. Schwarzkopf, sous la direction d’Ackermann ? Vous ne la citez même pas, pourquoi ? Quant à cette 2ème version, un critique musical de l’époque, alors qu’elle disait partout « je chante les couleurs », avait commenté : « cela manque de bleu » ! trop automnale … Et Grümmer ?
Vous ne citez même pas la 1ère version de Schwarzkopf sous la direction d’Ackermann. La raison ? Un critique avait commenté sa 2ème version, alors qu’elle disait partout « je chante les couleurs » : elle manque de « bleu », la trouvant trop automnale .. Les 2 se complètent tellement. Et celle de Grümmer ?