L’artiste musicien

 

L’artiste ? Qui est-il donc ? C’est un être bien difficile à définir, une personne qui possède toujours une vive sensibilité, un humain habitué à vivre selon ses propres règles qui ne sont pas toujours celles des autres. L’artiste est bien souvent seul ! On le prend pour un « original », on le traite de marginal seulement parce qu’il a réussi à créer un univers qui est le sien et qui fonctionne à travers les compositeurs qu’il interprète. Rappelons-nous qu’il est souvent bien difficile de vivre au contact des grandes œuvres sans qu’elles touchent une partie significative de l’individu. Souvenons-nous aussi qu’il n’est pas non plus facile de vivre aux côtés d’un artiste. Mais les choses sont-elles si simples à formuler ?

 

Le vrai problème de l’artiste est qu’il doit aller à la rencontre de sa propre authenticité. Parcourir ce chemin vers la réceptivité demande une disponibilité de tous les instants. Un long travail sur lui-même est absolument nécessaire afin d’éliminer les barrières psychologiques pouvant faire obstacle à la compréhension des idées émises par un homme (le compositeur) d’un autre temps et d’autres coutumes.

 

Mais qu’on ne s’y trompe pas, ce travail n’estompe pas la personnalité. Tous les grands artistes possèdent une personnalité très forte … et un pouvoir prodigieux ! Une puissance de conviction, une aura qui permettent de donner une nouvelle dimension aux œuvres. Ils sont le témoin de l’Être dans son essence pure.

 

Un pianiste, par exemple, a d’abord dû faire la connaissance des éléments lui permettant de jouer, faire la connaissance de son métier, mais l’artiste, celui qui parvient à dépasser les contraintes techniques, part vers un autre savoir. La culture. Un pianiste sans culture restera un pianiste. Le véritable artiste développe sa culture générale qui lui permet d’aborder les œuvres sans générer d’erreurs grossières, ni sur le plan de la construction, ni sur celui du style, ni, encore, sur celui du message délivré. Les plus grands maîtres exigent que l’apprenti entame ce chemin tout de suite (même avant la maîtrise technique). Ils demandent, comme préalable à toute interprétation, une connaissance des contextes de l’œuvre (compositeur, période, culture et historique de l’époque, place de l’œuvre dans la vie du compositeur, …). Comment séparer, en effet, les compositeurs des peintres, des écrivains et de leur époque ? L’œuvre peut alors prendre corps d’une manière toute naturelle, une fois maîtrisées ces notions. J’ai souvent vu de jeunes et moins jeunes musiciens ne rien savoir de ce qu’ils devaient jouer. Dans les cas les plus graves, ils ne connaissaient même pas le nom du compositeur ! Pas plus tard qu’hier, un monsieur qui se prétendait chanteur, est venu me trouver pour que je lui procure un lied de Schubert : « Der Lindenbaum » qu’il devait chanter bientôt. Mais il ne savait même pas que cette superbe mélodie fait partie du génial cycle, le fameux « Winterreise ». Il n’avait même aucune idée du sens des paroles en allemand qu’il chantait ! Quel gâchis ! Tant au niveau de son professeur que de son manque de curiosité !

 

Cette culture, alliée à la culture musicale proprement dite, crée pourtant le creuset où naît la création. Mais le rythme de la vie moderne, nous éloigne de ces préoccupations pourtant essentielles. Je crois fondamentalement que notre société agitée et bruyante ne laisse plus de place au silence pourtant si nécessaire à l’individu pour se retrouver, pour rétablir le contact avec la nature et sa vérité. L’introspection, la méditation, la contemplation même, doit pouvoir nous donner le sentiment du temps paisible, celui où la paix doit être faite en nous, où nous nous retrouvons. Cette paix permet, ensuite, la curiosité, l’ouverture des portes de la culture. Cherchez à vous fournir les moyens de quelques instants de silence chaque jour…

 

Ce silence a le pouvoir de nous rendre la simplicité du langage de l’âme, la vision intérieure des choses que l’artiste véritable renouvelle à chacune de ses prestations. Il arrive même parfois à se surprendre lui-même. Car l’imagination est un élément capital de la création. On devrait la développer bien plus dans l’enseignement de la musique et ce dès le plus jeune âge. La plupart du temps, on se dépêche d’emmagasiner des « savoirs » (le mot est à la mode) sans donner la possibilité à l’élève de l’assimiler, de l’expérimenter. Lorsqu’une œuvre est plus ou moins maîtrisée techniquement, on passe à la suivante sans chercher à y découvrir les secrets plus profonds. Car les artistes les plus extraordinaires sont des visionnaires de l’espace, des couleurs, des formes, de l’émotion et du monde intérieur.



 

 

Pourquoi avons-nous parfois l’impression d’entendre pour la première fois une œuvre pourtant si connue ? Tout simplement parce que l’artiste visionnaire lui donne un éclairage unique, le sien, celui de sa vérité, ultime alchimie entre les données culturelles, formelles techniques et l’imagination. C’est justement parce qu’à l’assimilation du texte est venue s’ajouter une vision qui, sans le déformer, lui confère une autre dimension de création. Lorsqu’il n’existe plus d’entrave technique ou matérielle, plus rien n’arrête le courant musical. L’âme est alors libérée par le physique, l’artiste peut s’exprimer librement, car là se trouve la suprême liberté de l’homme. Oui, le chemin de la connaissance doit être libérateur. On peut même en arriver à oublier qu’on connaît les choses quand la fusion s’opère. Alors seulement on pourra parler d’art et d’artiste.

 

Vous le voyez, le mot artiste implique beaucoup plus que son usage souvent péjoratif du langage courant. Je ne nie pas qu’il y a beaucoup d’artistes qui se complaisent dans ce statut alors qu’ils n’en n’ont ni l’étoffe ni la maîtrise. Le vrai artiste est rare, mais il est sans doute ce qu’il y a de plus précieux dans nos sociétés. Il est une véritable passerelle entre un compositeur et nous-mêmes, un catalyseur essentiel à la perpétuation de notre patrimoine artistique révélateur de notre histoire et de l’évolution des idées. Mais qu’on ne confonde pas tout, il n’est pas un objet de musée. Il n’a pas qu’un rôle historique et testimonial. Il permet de faire vivre encore et toujours, dans le cadre de notre présent, des partitions qui ne seraient que de vieux écrits sans vie et sans intérêt vital s’il n’était pas là. Il a le pouvoir de nous métamorphoser dans l’évolution de notre vie d’individu et d’animal social. L’espèce artistique n’est pas en voie de disparition, grâce au ciel, mais protégeons-la, c’est essentiel !

5 commentaires sur “L’artiste musicien

  1. Puisque l’on rentre dans un débat sur la nature de l’art, laissez moi clarifier ma pensée.. en commençant par affirmer mon profond respect pour les artistes de talent.

    Nos points de vue ne sont d’ailleurs pas opposées, mais diffèrent sur certains aspects; manifestement, lorsque vous dites que ‘Chacun peut être artiste à son niveau et c’est justement ce que je revendique’ et que j’écris quant à moi que ‘tout le monde peut être artiste’, nous sommes d’accord.

    Là ou je vous rejoins moins, c’est lorsque vous affirmez que ‘Pour devenir un artiste, il faut maîtriser un minimum de savoir-faire et le transcender’; un enfant de 4 ans auquel on donne trois crayons de couleur et qui laisse libre court à sa sensibilité et à sa créativité n’est-il pas dans une démarche artistique, malgré le fait qu’il ne possède manifestement pas le savoir-faire dont vous parlez, ni qu’il le transcende d’une manière ou d’une autre? n’est-il pas à sa manière un artiste?
    Je pense pour ma part que si, mais cela n’engage que moi.
    Je pense en effet que l’art est profondément lié à la création; qui crée est un artiste, et cela n’empêche pas que le monde soit truffé d’artistes médiocres.

    Monsieur Degroote, qu’est ce qui vous permet d’affirmer que toutes les musiques ne se valent pas? VOTRE subjectivité, VOTRE sensibilité. Il se fait que des millions de personnes trouvent un certains plaisir à écouter -par exemple- une musique basée sur des synthétiseurs répétant inlassablement la même boucle de trois notes pendant quatre minutes, avant de passer à la boucle suivante. Ils y prennent le même plaisir que vous prenez à écouter Strauss ou Chopin, et les concepteurs de cette musique -toute basique qu’elle soit- se sont très souvent investis corps et âme dans leur création. En quoi votre musique vaut elle plus? Je me le demande.

    Côtoyant régulièrement des personnes bercées à la musique électronique et affirmant que la musique classique est inécoutable; je vous place dans la même catégorie qu’eux, celle de ceux qui sont sûrs de détenir la vérité en matière de bon gout en faisant preuve de la plus grande intolérance à l’égard de quelque chose qu’ils ne comprennent tout simplement pas, d’une émotion qui peut exister mais qu’ils ne ressentent pas.

  2. Un article que j’aime beaucoup. Mais j’aimerais réagir au commentaire de O.G.

    Non, tout le monde ne peut pas être artiste. Sans penser que cela est réservé à une élite, il ne faut pas oublier pour autant que depuis trente ans on nous fait croire que tout le monde peut être un grand artiste. Ou que, par exemple, toutes les musiques se valent.

    Il y a une confusion qui continue à faire son chemin. Le talent semble à portée de mains, et pourtant on ne s’improvise pas compositeur ou chanteur. Le capitalisme et les médias entretiennent cette confusion. « Je crée donc je suis » est le nouvel avatar des bien-pensants; en apparence tolérant, mais au fond destructeur. Et s’échappent en même temps tous les fondamentaux artistiques.

  3. Je crains que vous n’ayez pas compris le sens de mon message ou que je me sois mal exprimé. Il est bien évident que tout le monde a le droit d’être un artiste et que ce n’est sûrement pas réservé à une élite. Dans chaque discipline, il y a des artistes. Comme vous le dites justement, le plombier ou Monsieur Bidochon peuvent être artistes, cela me semble évident. Ce que je voulais dire, c’est que pour devenir un artiste, il faut maîtriser un minimum de savoir-faire et le transcender. Je ne crois pas à l’artiste qui fait n’importe quoi sous le prétexte de créer, c’est trop facile et c’est la justification d’une certaine médiocrité et d’une paresse de l’esprit sous le couvert du statut d’artiste.

    Si le plmobier est un artiste, c’est parce qu’il maîtrise ses techniques et y ajoute cette petite touche originale qui le distingue du plombier banal. Mais ne prétendons pas non plus que tous les plombiers sont des artistes. Il en va de même pour tous les messieurs Bidochon du monde. Chacun peut être artiste à son niveau et c’est justement ce que je revendique. Mais ma considération pour les artistes ne peut se concevoir que chez quelqu’un dont la démarche est vraie, sincère, profonde, pas chez les fumistes.

    Votre comparaison avec le statut du conducteur me semble inapropriée parce qu’on ne parle pas des mêmes choses. On n’est pas artiste en fonction de ce qu’on possède matériellement, mais par une démarche de vie. Celui qui choisira de rouler en 2CV par idéal sera autant conducteur que celui qui roule en Mercédès. Mais ce n’est pas parce qu’on roule en 2 CV qu’on est plus artiste que quelqu’un d’autre et vice versa.

    Quant à libérer l’espèce artistique, je crois que c’est un idéal irréalisable dans nos sociétés tellement centrées sur le matérialisme. C’est pour cela que j’utilise le mot « protéger » car nous en sommes malheureusement là. C’est à l’image de l’attitude que nous adoptons pour la survie de la planète. On nous dit toujours de la protéger (ce qu’on ne fait d’ailleurs pas bien!), mais il faudrait en effet la libérer des entraves que nous lui avons infligées. Mais de cela, on n’en parle jamais! Alors croyez-vous qu’on le ferait pour les artistes? Si déjà on parvient à les protéger, nous aurons, faute de mieux, déjà sauvé quelque chose d’essentiel à l’existence humaine.

  4. Pas d’accord avec vous; tout le monde peut être artiste, et chacun l’est d’une certaine manière, à partir du moment où il CREE une oeuvre -si minime et insignifiante soit-elle. Il existe des artistes de la plomberie ou du jardinage, j’en suis convaincu. Affirmer le contraire revient à dénier son statut de conducteur à quelqu’un sous prétexte qu’il conduit une deux-chevaux plutôt qu’une formule 1. Là où je vous rejoint tout à fait, c’est dans la constatation du fait qu’il existe de bons, voire de grands, et de mauvais artistes; cela ne fait aucun doute. Mais ne protégeons pas l’espèce artistique, libérons-là au contraire, car la possibilité de créer est un cadeau fait à tous les hommes, autant Mozart que Mr Bidochon

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