Je vous avais promis il y a quelques semaines de poursuivre la revue des instruments de musique et d’entamer celle des voix humaines. Il serait injuste de ne pas parler de la guitare qui, si elle est souvent absente des orchestres symphoniques (son faible volume sonore n’y est pas étranger) possède néanmoins un répertoire digne d’intérêt. Je ne cacherai pas non plus que la guitare me tient particulièrement à cœur. Je l’ai pratiquée de nombreuses années de manière assidue. J’avais même commencé à faire une modeste carrière de guitariste classique en me produisant en solo ou en musique de chambre lors de nombreux concerts. Mais l’époque était à la mode de la guitare qui, si elle reste l’un des instruments les plus joués au monde, n’en demeure pas moins la mal aimée des salles de concerts classiques. Il faut dire que son répertoire, comprenant quelques concertos (Rodrigo, Villa-Lobos, Giuliani, Carulli, Ponce, …), beaucoup de musique espagnole et d’Amérique latine et quelques transcriptions d’œuvres anciennes, manque souffre cruellement de l’absence des grands génies de la musique comme Mozart, Beethoven ou Schubert.
Pourtant, les premières traces d’un instrument proche du principe de la guitare remontent à 3000 ans avant notre ère en Perse. Une caisse de résonance, des cordes, tendues au dessus d’un manche, et actionnées par le doigt ou un plectre semblent faire remonter l’instrument aux origines mêmes des instruments. Le mot « guitare » est une combinaison de deux mots « guit » qui provient du sanscrit est la racine du mot « musique ». La seconde partie « tar » provient du persan qui signifie « corde ». Le mot « guitare » peut donc désigner, au départ, tous les instruments à cordes. Le mot arabe Qîtâra en serait l’évolution. C’est d’ailleurs par l’intermédiaire de cette civilisation que les premiers instruments sont arrivés en Espagne dès le Xème siècle. C’est là que l’instrument va se développer de manière considérable tout au long de l’histoire. La guitare mauresque et la guitare latine vont alors évoluer vers la guitare moderne en passant, peut-être par la vihuela si typique de la musique ancienne espagnole.
Mais qu’on ne s’y trompe pas. La guitare ne fait pas partie de la famille des luths. Elle coexiste avec elle pendant de nombreux siècles et continuera à évoluer bien après la disparition du luth à la fin de l’époque baroque. Un autre instrument, la guiterne, populaire en France au XIVème siècle, jouée avec un plectre, munie de quatre cordes et de facture rudimentaire en est sans doute un avatar. La guitare telle que nous la connaissons aujourd’hui est l’ultime évolution de la guitare classique du XVIIIème siècle et de la guitare romantique du XIXème siècle. Ses dimensions sont plus grandes, elle comporte six cordes et sa caisse de résonance est beaucoup plus efficace. On doit le modèle de base au luthier Antonio de Torres qui, en 1874, offrit à l’instrument des possibilités toutes nouvelles tant en matière de production du son que de répertoire. Car ce qui manquait aux guitares anciennes, c’était surtout une tessiture assez large, des possibilités expressives adaptées au romantisme musical et un volume sonore permettant à l’instrument de quitter les salons et les intérieurs pour se lancer à l’assaut des salles de concerts.
Francisco Tarrega
Mais pour atteindre cet objectif, il fallait des guitaristes de haut niveau capables de susciter l’intérêt des compositeurs étrangers à l’instrument. Le premier véritable interprète de la guitare dite classique est Francisco Tarrega (1852-1909). Connu comme le Sarasate de la guitare, son travail pour renforcer le répertoire de son instrument fut immense. Il nous laissa aussi de très belles compositions dont le très (trop ?) célèbre Recuerdos de la Alhambra, une étude en trémolo) qui fait le délice des auditeurs depuis plus d’un siècle. Il contribua également à fixer les canons de la technique de la guitare. En effet, jusqu’ici, il n’y avait aucune méth
ode précise pour en jouer et chaque musicien y allait de ses propres découvertes et de ses expériences. Ce n’est qu’au début du XXème siècle que son élève, Emilio Pujol (1886-1980), virtuose et pédagogue de renom (sa méthode fait encore autorité aujourd’hui), entra dans le cercle restreint des compositeurs espagnols qu’on se tourna un peu vers l’instrument. Mais c’était encore bien maigre. Lorsqu’on se souvient que Albéniz, Granados et même de Falla préféraient, et de loin, les possibilités du piano, même pour transmettre les couleurs du flamenco ou des danses espagnoles, on ne comprend pas pourquoi d’autres musiciens européens auraient utilisé la guitare.
Heureusement, son travail se combina avec celui d’Andrès Ségovia (1893-1987) et de Narciso Yepes (1927-1997) d’abord connu pour la célèbre mélodie, faussement anonyme, du film « Jeux interdits » qui parvinrent à prouver que la guitare pouvait être le vecteur d’œuvres anciennes et modernes de qualité. Ils s’attachèrent alors à travailler d’une part à l’élaboration d’un répertoire de transcriptions de musiques anciennes (Bach, Scarlatti, De Visée, Sanz, …) et, d’autre part, à la sollicitation directe des compositeurs (Ponce, Ohana, Rodrigo, Villa-Lobos, …). Si tous ne répondirent malheureusement pas, la guitare s’enrichit cependant de pièces de très haut niveau. Le succès fulgurant de la guitare dans la seconde moitié du XXème siècle leur doit beaucoup. D’autres guitaristes, de la nouvelle génération, amplifièrent la même démarche. Ainsi Julian Bream, le virtuose anglais, parvint à commander à Britten un superbe Nocturne d’après John Dowland, l’australien John Williams (pas celui des musiques de film !), Alberto Ponce (rien à voir avec la compositeur Manuel Maria Ponce), Alexandre Lagoya, Ida Presti et bien d’autres encore achevèrent l’ascension de la guitare au rang des instruments solistes de haut niveau.
Car la guitare classique est effectivement un instrument qui peut se suffire à lui-même. La disposition de ses six cordes accordées en quartes avec une tierce au milieu (mi-si-sol-ré-la-mi de la plus aigue, la chanterelle, à la plus grave), la vaste étendue de sa tessiture et la technique des doigts permettent un jeu polyphonique assurant l’autonomie de son répertoire. Sa caisse de résonance est faite d’une table en bois tendre en épicéa ou en cèdre qui est percée de la rosace souvent ouvragée et supporte le cordier et le chevalet. Les éclisses et le fond sont en bois dur (palissandre ou acajou). L’intérieur de la caisse est tapissé, sur la face intérieure de la table d’un barrage en bois tendre permettant la résonance des notes graves et aigues. Elle dispose d’un manche en palissandre ou en acajou sur lequel est collée la touche, généralement en ébène noir. Celle-ci est frettée (ce sont les fameuses barrettes) par de fines lames de métal. La tête du manche comporte six clés qui permettent d’attacher les six cordes. Ces dernières, d’abord en boyau sont aujourd’hui en nylon et en nylon filé de métal pour les trois cordes graves. L’instrument est d’une rare beauté et d’un équilibre visuel parfait. Voici, en image, les différentes parties de l’instrument.
La guitare est un instrument très ardu à jouer … et aussi très ingrat ! Le travail à fournir pour atteindre la maîtrise technique est très long et, comme de nombreux instruments à cordes, la production d’un son équilibré, sonore et rond demande beaucoup d’expérience. Le travail est si immense que bien souvent, le répertoire n’est pas à la hauteur de l’effort produit. Malgré les efforts soutenus des guitaristes pour entretenir et développer le répertoire, elle manque de grandes œuvres. Or, dans la progression d’un artiste, il arrive un moment où on ne peut plus se satisfaire uniquement du répertoire que la guitare propose. Alors, l’instrument est beaucoup joué en « amateur », et c’est très bien ainsi, mais les professionnels sont de plus en plus rares de nos jours. La guitare qui a bénéficié d’un vaste regain d’intérêt dans les années 1970 et 1980 semble aujourd’hui s’essouffler et on ne rencontre plus guère de concerts qui mettent en scène l’instrument.
Car les caractéristiques de la guitare, notamment en matière de puissance sonore, ne lui permettent pas d’investir les grandes salles sans amplification. Même si certains compositeurs comme Mahler ont parfois cherché à l’intégrer au sein des grandes formations symphoniques, on comprend aisément que le phénomène est avant tout anecdotique. La guitare ne fera jamais partie intégrante des orchestres à la plus grande déception des musiciens. Elle restera donc un instrument marginal et gardera son image symbolique de compagne du voyageur. Par contre, son usage est devenu essentiel dans beaucoup d’autres types de musique, depuis le flamenco qui en a fait son emblème jusqu’au rock qui, avec ses guitares électriques, fait rêver beaucoup de monde sur le « trip » des grands virtuoses comme Jimmy Hendrix, Eric Clapton, Ritchie Blackmore et bien d’autres encore. Mais la guitare est partout. Elle accompagne les chansons, anime les soirées, colore la poésie. Elle est devenue le nouveau « luth du poète ». Elle est donc bien vivante dans nos sociétés. Quand vous demandez à des jeunes gens quel instrument ils rêvent de jouer, ils vous répondent bien souvent que c’est la guitare. C’est sans doute cela l’essentiel !
Bonjour Xavier,
La guitare protugaise est un instrument assez ancien qui remonte au cistre et qui s’apparente à la mandoline. Dans le fado, elle est souvent associée et accompagnée à la guitare classique. Elle possède douze choeurs, c’est à dire six cordes doublées chacunes à l’octave. C’est comme la mandoline, mais celle-ci ne possède que quatre codres accordées comme un violon (en quintes). Je ne sais pas comment s’accorde la guitare portugaise, mais ses codes métalliques sont transmises par un chevalet mobile qui transmet la vibration à la table d’harmonie un peu bombée. Le guitariste enfile sur le pouce de la main droite une sorte de plectre qui va lui permettre de jouer vite en mouvements d’aller-retour. Il semble qu’il utilise aussi l’index de la même main.
La sonorité de la guitare portugaise est unique et ne ressemble pas à celle de la guitare habituelle. Il y a un site (en anglais) qui présente l’instrument de manière convenable. En voici le lien:
http://www.verdesanos.com/gp_e.htm
L’instrument contribue, dans l’ombre, à donner au fado, un art avant tout vocal, une couleur unique si reconnaissable. Sur lien cité ci-dessus, on peut l’écouter par l’un de ses plus fameux représentants: Carlos Paredes. Bonne écoute!
cher jean marc, merci pour cet article instructif. Comme vous, dans les dites années, j’ai pratiqué la guitare classique, plus modestement sans doute, mais pendant douze ans quand même; je lui ai depuis préféré le chant. Pourriez-vous me fournir quelques informations sur la guitare portugaise, sans laquelle le fado ne serait pas? Merci d’avance