Diamants anversois!

Je n’avais plus mis les pieds à Anvers depuis plus de quinze ans. J’avais donc hâte de profiter de quelques heures de repos pour redécouvrir les merveilles d’une ville qui m’avait fait une très forte impression lors de mes trop rares visites. Nous avions bien mis le cap sur la capitale de la province d’Anvers pour faire visiter le célèbre jardin zoologique à notre fille, mais la visite s’en tenait à parcourir les allées peuplées d’animaux de toutes sortes pendant des heures. Trop fatigués pour poursuivre la visite de la vaste ville, nous rebroussions chemin avec l’envie d’y revenir pour une promenade plus culturelle et artistique. Car le moins que l’on puisse dire, c’est que la ville ne manque pas d’attrait. Son histoire, son développement économique sans précédent et sa variété culturelle en ont fait l’une des métropoles européennes incontournables. Anvers compte plus de 400 000 habitants en comptant les communes périphériques et s’impose donc comme la seconde ville de Belgique après Bruxelles et on ne peut qu’admirer les merveilles de son patrimoine artistique.


 

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Si Anvers est aujourd’hui connue grâce à son port, ses diamants ou encore au peintre Pierre Paul Rubens, il est impossible de dissocier la ville, et plus globalement la Flandre, de l’histoire de la musique. Anvers possède une longue tradition musicale qui remonte au Moyen Age. Aujourd’hui encore elle perpétue cette tradition avec le Vlaamse Opera et grâce à une politique de découverte et de formation de nouveaux artistes.


Rubens, Descente de Croix, complet bis

 Panneau central de La Descente de Croix de Rubens à la Cathédrale d’Anvers


 

Toute l’histoire d’Anvers a été déterminée par sa situation le long de l’Escaut.
Si Anvers existe depuis l’époque gallo-romaine, sa véritable création ne remonte qu’au alentour de l’an 900 lorsque les villageois s’établirent sur l’Aanwerp, terrain surélevé qui donna son nom à Anvers. En 970, Anvers devient poste frontière de l’Empire Germanique, on y construit des fortifications en bois, remplacées plus tard par un château fort en pierre (le Steen). L’extension de la ville se poursuit par le Sud, le Saint Norbert fait construire au XIIe siècle l’abbaye Saint Michel. Par la suite les chanoines de la petite église se déplacent vers le nord et fondent une nouvelle paroisse, avec au centre l’église Notre-Dame, ancêtre de la cathédrale actuelle. Dans les années qui suivirent la ville continua à se développer en vagues concentriques créant une succession de remparts que l’on devine encore dans la topographie de la ville.


 

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L’Escaut et le port, le second d’Europe, en ligne de mire

 

Au Moyen Age, la musique tient une place prédominante dans les villes flamandes. Elle se développe tout d’abord dans les abbayes, avec les chants liturgiques. On y a retrouvé de nombreux documents sur le chant grégorien datant du Xe et XIIe siècle. Un réel engouement pour ces chants fait qu’ils franchissent rapidement les murs des abbayes pour se propager dans les églises urbaines, catholiques ou collégiales pour finalement entrer dans les cours princières. Aux alentours de 1502, les musiciens anversois fondent une chapelle et se regroupent en Gilde de Saint Job. Ils partagent ainsi leur intérêt commun, et décident en accord avec l’autorité municipale, des conditions d’admission, de l’organisation et de l’enseignement dans les ensembles musicaux. Cette corporation était entièrement dédiée à la musique profane et instrumentale. Un des ses principaux buts (et une ressource pour les maîtres musiciens) était de pourvoir à l’enseignement de la musique. De nombreux musiciens étrangers viennent alors à Anvers où la sécurité et de nombreuses occasions de travail étaient offertes. Parmi les compositeurs de cette époque, on peut citer E. Adrianssen, internationalement connu grâce à ses trois livres de Luth, son élève Joachim Van den Hove, le luthiste et compositeur Gregory Huet et Adriaan Denss (lui aussi probablement anversois).
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Eglise Saint Charles Borromée, prototype de l’église baroque jésuite


  

Durant le XVIème siècle Anvers fût le théâtre d’une lutte politico-religieuse entre le Nord protestant et la très catholique Espagne, cette guerre s’acheva par la Chute d’Anvers en 1585. La ville tombe alors aux mains de Philippe II et les Pays-Bas ferme l’accès à l’Escaut, provoquant naturellement des conséquences catastrophiques sur l’économie de la ville. Fuit par les protestants ainsi que par l’élite commerciale et intellectuelle, Anvers voit sa population se réduire de moitié en moins de 20 ans. Puis jusqu’à la moitié du XVIIème siècle, Anvers connaît son âge d’or grâce à la présence d’artistes tels que : Rubens, Van Dyck, Jordaens et Teniers ou encore les familles de sculpteurs Quellin et Verbrugghen ainsi que les imprimeurs Moretus et les célèbres facteurs de clavecins anversois.


Clavecin Ruckers

Clavecin Ruckers


 

 

La tradition musicale d’Anvers est également marquée par le savoir faire de
s facteurs de clavecin et des luthiers. Le plus grand nombre de clavecins aujourd’hui conservés viennent de la famille Ruckers, dont la production représente l’archétype de l’école flamande. C’est notamment avec Hans Ruckers, en 1580, que la facture de clavecin connaît un grand bouleversement car il consolide l’instrument le rendant ainsi plus solide que le clavecin italien. Le modèle flamand sert dès lors de référence pour les autres pays d’Europe occidentale (essentiellement la France, l’Angleterre, l’Allemagne).

Par ailleurs, il faut rappeler l’influence de l’imprimerie sur la diffusion de la musique. Dès 1501, Paris, Lyon, Nuremberg, Anvers, Louvain voient s’installer des maisons d’édition très actives. Grâce à une circulation internationale, un marché a été créé stimulant les compositeurs assurant ainsi un nombre accru de nouvelles œuvres.


 

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De 1650 au XIXème siècle, Anvers ne connaît que peu de modifications. L’Escaut est ré ouvert (1795) et l’ébauche d’un port moderne voit le jour, toutefois l’embargo anglais ainsi que les guerres napoléoniennes empêchent toute évolution et la ville subit de nombreux pillages et destructions.

Après la défaite de Napoléon à Waterloo (1815) a lieu une brève réunification avec les Pays Bas septentrionaux et une période de développement, qui s’achèvera avec la Révolution belge (1830) et une nouvelle fermeture de l’Escaut. Il faudra attendre 1863 pour que la navigation soit définitivement libre.


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La Cathédrale d’Anvers, où sont exposés les chefs d’oeuvres de Rubens


 

Outre le Moyen Âge et le XVème siècle, la véritable croissance d’Anvers n’eut lieu qu’à partir du XIXème siècle. De plus, en excluant les périodes noires des deux guerres mondiales, le XXème siècle fut pour Anvers un siècle de croissance continue au niveau Culturel et économique. Son port est aujourd’hui le deuxième port européen après Rotterdam. La réputation des diamantaires anversois a également contribué au développement de la ville.


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La Gare d’Anvers-Central


 

Mais il reste l’une des plus grandes entreprises anversoises à évoquer, celle de la gare centrale (Antwerpen-Centraal) qui est la principale gare ferroviaire de la ville. Comme je l’avais évoqué au moment de l’inauguration de la gare Calatrava à Liège, la Belgique a toujours été pionnière en matière d’infrastructure ferroviaire. Ainsi, la première gare d’Anvers fut construite entre 1895 et 1905 pour remplacer le terminus de la ligne Bruxelles-Malines-Anvers. Il s’agit d’une vaste et riche construction dont la salle d’attente est surplombée par un magnifique dôme dessiné par Louis de la Censerie. Les quais, quant à eux, sont recouverts de fer et de verre. Le tout était considéré comme l’un des plus beaux exemples de l’art ferroviaire belge. Mais les exigences modernes et l’adaptation au train à grande vitesse a amené, depuis 1998 une rénovation et une transformation fondamentale du rôle de la gare. Ainsi, d’une gare terminus, Anvers-central est devenue une gare de passage.


 

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Les quais sur plusieurs étages dans les « galeries »


 

Un nouveau tunnel a été creusé pour que les trains en provenance de Bruxelles et en direction d’Amsterdam puissent passer par Anvers sans devoir faire demi-tour. Tout l’aménagement de l’espace des quais a donc été revu lors de travaux pharaoniques longs de douze ans. Désormais la structure se répand sur quatre niveaux et quatorze voies. Un véritable centre commercial longe les quais des différents étages et les équipements, pas encore parachevés d’ailleurs, sont à la pointe du modernisme.


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Salle d’attente de la gare


 

 

Il faut admettre que la nouvelle gare de Liège et la gare d’Anvers rénovée sont les chantiers les plus importants que chemin de fer belge et qu’ils ont engloutis des sommes titanesques dans un pari essentiel de reconversion économique basé sur les échanges de personnes et de biens.  La Gare d’Anvers-Central a été jugée par le magazine américain Newsweek quatrième plus belle gare du monde (d’après Wikipedia).

Seul bémol à cette superbe journée, l’accueil plus que mitigé d’un garçon de café lors d’une pause bien méritée. Lorsque nous avons voulu demander l’addition en néerlandais, langue que mon épouse pratique assez bien, le dit garçon de salle qui nous avait entendus parler français à table, a fait mine de ne pas comprendre ce que nous voulions et, avec une mauvaise foi évidente, nous a obligé à le lui demander en français. Alors, il a fait
mine de comprendre ce que nous désirions, nous laissant le sentiment que si lui pouvait comprendre le français, nous, les wallons, ne voulions pas essayer de parler correctement sa langue.


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L’horloge de la gare d’Anvers-Central avec la devise de la Belgique: « L’union fait la force ».


 

 

Mauvaise foi, donc qui m’a ramené à la mémoire le score électoral spectaculaire des partis de l’extrême droite. Car si la ville revendique une véritable tolérance due à son passé et à ses communautés très variées, elle est aussi paradoxalement celle qui possède le plus haut taux de votes extrémistes ! Au regard de l’horloge de la gare d’Anvers, certains de ses habitants ont, semble-t-il, oublié que la Belgique est un pays uni par le fait que tous les wallons doivent quelque chose aux flamands et que les flamands en doivent d’autres aux wallons. La devise, en français seulement, date d’une autre époque, bien révolue, mais les rénovateurs et les autorités ont voulu la conserver … un espoir, peut-être … ?