Le musicologue et écrivain Gilles Cantagrel nous a habitué à des ouvrages sur Bach et son époque d’une rare qualité. Familier de longue date de l’Allemagne musicienne et culturelle des XVIIème et XVIIIème siècles, ses ouvrages les plus marquants furent sans conteste : Le Moulin et la Rivière, panorama très développé de l’œuvre de J.S. Bach, Bach en son temps, qui, sur la base des nombreuses lettres de Bach, retrace son activité très riche à travers les villes qu’il a fréquentées et la seule biographie valable en français de D. Buxtehude, remarquable travail historique et musicologique. Ces ouvrages, et d’autres encore sont publiés chez Fayard, dans la collection musicale inégalée en langue française. C’est dans ce cadre que vient de sortir le dernier opus de Cantagrel, Les Cantates de J-S Bach.
L’ouvrage est impressionnant. Avec ses 1665 pages, il en impose tant par son poids que par ses dimensions. De quoi décourager le plus téméraire des mélomanes. Et pourtant, dès qu’on feuillette le livre, on se rend compte immédiatement de ce qu’il possède d’unique et d’essentiel. Chacune des 230 cantates du maître qui nous sont parvenues, est replacée dans son contexte liturgique comme d’ailleurs le compositeur la composait. Chaque œuvre est alors décrite en toute objectivité : première audition, autographe, provenance des textes spirituels et livret, formation et effectifs. Un texte très documenté explique les raisons et les propos de l’œuvre comme Bach les envisageaient. On sait, certes, depuis longtemps, que la musique religieuse du grand Bach est celle d’un théologien dont l’ultime but réside dans une approche pédagogique et édificatrice des propos sacrés. Gilles Cantagrel en reprend l’histoire avec une grande efficacité narrative, théologique et rend à l’œuvre musicale tout son sens profond.
Gilles Cantagrel
Ensuite, ce sont tous les mouvements de la cantate qui sont d’abord présentés en allemand, la langue originale, et dans une excellente traduction française avant d’être décortiqués, parfois sommairement, parfois très en détail en fonction de l’intérêt analytique de la pièce. Le propos reste toujours accessible aux mélomanes (avertis). Cela ne veut pas dire que l’ouvrage est facile ! Le propos est d’ailleurs loin de l’être. C’est d’ailleurs la raison qui motive l’excellente introduction générale de près de 100 pages. Elle permet la compréhension parfaite de ce corpus extraordinaire grâce aux précisions concernant les repères historiques, les éléments du langage de Bach, l’importance du texte face à la musique, les éléments de la rhétorique et de la symbolique si primordiaux pour le compositeur, l’exécution des œuvres en leur temps et les problèmes qu’elle pose aujourd’hui, enfin, un avertissement concernant la démarche de classement, de traduction et des commentaires de l’ouvrage.
Manuscrit autographe de la Catate BWV 116
Autant vous dire que la lecture de ce gros ouvrage n’est pas envisageable sans l’écoute ou la lecture (pour les plus avertis) des cantates commentées. Ce n’est donc pas un livre qu’on lit comme un roman, seule l’introduction peut permettre une lecture continue. C’est donc bien une bible qu’on doit désormais consulter lorsqu’on écoute une cantate de Bach. Ainsi, comme un complément ou un préalable, comme un guide ou un compagnon de notre oreille, Cantagrel s’impose comme un incontournable de la pensée bachienne. Je ne vous cache pas que je n’ai pas encore parcouru cet ouvrage complètement mais que j’en ai testé quelques chapitres par les écoutes et les lectures des partitions correspondantes et que ce travail est parfaitement concluant. Il permet, avec une force exceptionnelle, d’encore mieux mesurer le génie de Jean-Sébastien Bach et l’ampleur de son propos spirituel. Un ouvrage désormais essentiel à qui veut pénétrer le monde mystérieux de la pensée religieuse du plus grand des compositeurs !