Un liégeois à Paris (1)

 

 

« Nul n’est prophète en son pays ». L’adage est connu. C’est sans doute l’une des raisons qui m’amènent à vous parler d’un compositeur liégeois dont la gloire est sans doute plus forte à Paris qu’à Liège. André Modeste Grétry est bien connu chez nous par quelques monuments. La statue devant l’Opéra Royal de Wallonie, dont le socle contient le cœur du musicien, la Maison Grétry, devenue un modeste (c’est le cas de le dire) musée en Outre-Meuse, la rue Grétry et l’Académie de Musique Grétry. Mais de musique, fort peu de liégeois sont capables d’en fredonner une… et de titre d’œuvre, rares sont les amateurs qui en ont encore en mémoire. Il faut dire que la discographie ne prête pas à réjouissance, puisque peu d’enregistrements du compositeur sont disponibles. Il semble cependant que le vent soit en train de tourner et que quelques maisons d’éditions remettent au goùt du jour un compositeur bien oublié. Portrait en deux volets :

 

185.JPG
Médaillon Grétry sur l’Opéra de Paris avec le symbole de Liège, le perron et les lesttres L et G


 

Un des compositeurs auxquels Liège doit en grande partie sa renommée musicale est, sans conteste, celui que la postérité a parfois qualifié de Molière de la Musique : André Modeste Grétry (1741-1813).

 

Son nom semble répondre à celui du lieu d’origine de ses ancêtres, dont le plus ancien, Arnold de Grétry, né vers 1550, était fermier de la comtesse d’Argenteau. Le hameau de Grétry, à quelques kilomètres de Herve, dépend de la commune de Bolland.

 

Le père du compositeur était, lui, né à Mortier en 1714 et s’était établi à Liège dès 1738 où il épousa Marie-Jeanne de Fossé originaire d’Outre-Meuse. Premier musicien de la famille, il était devenu premier violon de la collégiale Saint-Martin en remportant un concours de recrutement avant d’intégrer, en 1748, l’orchestre de la collégiale Saint Denis.

 

Son fils, André Modeste, dont la célébrité devait immortaliser le nom, est né dans la partie la plus populaire de la ville, en Outre-Meuse, dans une petite maison de la rue des Récollets. La demeure du compositeur fut restaurée en 1824 pour retrouver l’aspect qu’elle avait du vivant de Grétry. Il s’agit d’un petit immeuble de type liégeois, Louis XV et d’une annexe du même style. Devenue Musée Grétry en 1913 et inauguré en présence du roi Albert Ier et de la reine Elisabeth (celle du Concours musical), la maison abrite désormais quelques collections concernant le compositeur.

 

Gretry, Maison natale.jpg
La Maison Grétry, en Outre-Meuse, siège du Musée Grétry


 

À l’âge de quatre ans, le garçon ne montre quelques dispositions pour la musique. Il étudie pourtant le chant, la basse continue et la composition. Il chanta donc dès 1750 dans les chœurs de la collégiale Saint Denis. Grétry cite, dans ses mémoires, ses professeurs liégeois dont les noms, Leclercq, Moreau ou Renekin, n’évoquent plus rien à nos contemporains. Le premier succès remporté comme enfant de chœur à Saint Denis fut obtenu par le chant d’un motet dans le goût italien : « J’eus à peine chanté quatre mesures, que l’orchestre s’éteignit jusqu’au pianissimo, de peur de ne pas m’entendre. Je jetai dans ce moment un coup d’œil vers mon père, qui me répondit par un sourire. Les enfants du chœur qui m’entouraient se reculèrent par respect ; les chanoines sortirent presque tous de leurs formes, et ils n’entendirent pas la sonnette qui annonçait le lever-Dieu. Dès que le motet fut fini, chacun félicita mon père : on parlait si haut que l’office aurait pu être interrompu si le maître de musique n’eût imposé le silence. J’aperçus dans ce moment ma bonne mère dans l’église ; elle essuyait ses larmes, et je ne pus retenir les miennes ». Plus tard, après la mue de sa voix, Grétry devint second violon à Saint Denis.

 

Les occasions de connaître et d’écouter la musique italienne ne manquaient pas à Liège au XVIIIème siècle. Les concerts donnés par les nombreuses troupes de passage permettaient de suivre presque au jour le jour l’évolution de l’art dramatique des romains, des napolitains et des vénitiens. Ainsi Grétry put entendre en 1752 la fameuse « Serva padrona » de Pergolèse qui avait déclenché à Paris, moins d’un an  auparavant, la non moins fameuse « Querelle des Bouffons ».

 

Gretry, André Modeste, portrait.jpg


 

Aussi, le désir d’aller continuer ses études en Italie se fit-il plus pressant. Après avoir réussi à convaincre les autorités de Saint Denis de l’utilité d’un perfectionnement en Italie, Grétry reçut l’autorisation de partir comme pensionnaire du collège Darchis à Rome. L’institution, qui existe encore aujourd’hui, aide financièrement les artistes et religieux qui désirent approfondir leurs connaissances en étudiant en Italie. Quelques musiciens liégeois en ont bénéficié depuis le XVIIIème siècle. Il séjourna donc en Italie de 1760 à 1767. Il y fit représenter un intermède, Les Vendangeuses, qui fut accueilli favorablement par le célèbre Piccini. Sur ces entrefaites, Grétry reçut alors de Liège une invitation à concourir pour une place de maître de chapelle devenue vacante. Un motet sur le psaume Confitebor tibi Domine, écrit à cette intention lui valut la place qu’il n’occupa jamais.

 

Gretry, Plaque commémorative à Genève.PNG
Plaque commémorative sur la maison que Grétry a habité à Genève


 

En quittant Rome, Grétry passe par Genève où il rencontre Voltaire qui le reçoit avec courtoisie et lui suggère de se rendre à Paris, « la seule ville où un homme de génie pût prendre la route qui conduit à l’immortalité ». En 1768, il est donc à Paris riche de projets, mais pauvre d’argent. Il recherche un poème à mettre en musique pour se présenter au public parisien. C’est « Les Mariages Samnites » sur un livret de Durosoy qui ouvre la série de ses 55 opéras. L’œuvre fut refusée à l’Opéra-comique, mais jouée sur l’ordre de Voltaire à l’Opéra. La médiocrité de l’œuvre, la négligence calculée des interprètes, des acteurs et des musiciens conduisirent Grétry à son premier échec. Mais d’autres œuvres allaient suivre. « Le Huron » et surtout « Lucille » furent de grands succès. C’est dans ce dernier opéra que se trouve le célèbre quatuor : « Où peut-on être mieux qu’au sein de sa famille ? » que Vieuxtemps reprendra comme thème de son cinquième concerto pour violon. Ce morceau fit partie des six airs célèbres du XVIIIème siècle choisis pour être enregistrés dans la pendule à orgue de Marie-Antoinette. Grétry était ainsi projeté au premier rang des compositeurs français de l’Ancien Régime.

 


 

Vieuxtemps, Cinquième concerto pour violon. La mélodie de Grétry apparait après 58 secondes.

 

A suivre…

 

Un avis sur “Un liégeois à Paris (1)

  1. On peut signaler que le « Céphale et Procris » de Grétry, donné en version de concert puis enregistré dans la foulée à la salle Philharmoniue en novembre 2009 vient de sortir sous label Ricercar. Un premier pas dans une collection qu’on aimerait voir s’étoffer d’ici le bicentenaire de la mort de Grétry en 2013 ?

Les commentaires sont fermés.