Sublime Mozart (2)

 

Suite et fin du billet sur le concerto pour clarinette de Mozart.

 

Le fameux Adagio qui suit change de propos. Il nous plonge dans la sérénité de ré majeur. Sur un tapis de cordes, la clarinette énonce une sublime mélodie. Seule la voix humaine pourra encore aller plus loin dans l’émotion. Cette mélodie, ce n’est pas la première fois que Mozart l’utilise. En fait, sa première utilisation remonte à la jeunesse de Mozart et son opéra Lucio Silla K. 135 en 1772. C’est l’histoire d’un amour au sein d’une dictature à Rome. Lucio Silla est un dictateur qui a proscrit le sénateur Cecilio (voix de castrat) qui aime Giunia. Mais Silla veut épouser la même Giunia qui résiste, est emprisonnée, … tout finit bien cependant. Les thèmes développés par le jeune Mozart sont donc ceux de l’amour, du pouvoir et de la morale. A l’acte 3, Cecilio chante un air basé sur notre fameuse mélodie : « Yeux aimés, ne pleurez plus, vus me faites mourir avant ma mort. Cette âme fidèle sera auprès de vous, à vous elle reviendra dissoute en soupirs ».


 


 

Déjà le Larghetto du concerto pour piano en si bémol majeur (n°27) avait fait entendre cette mélodie, mais alors, elle n’introduisait pas le mouvement lent, elle tenait lieu de second thème et était plus vive et plus bondissante. Ici, elle émerge directement du silence et malgré le tapis sonore, elle est seule, dans la nudité, l’intimité du propos et c’est cela qui nous bouleverse. En observant bien, il est facile de faire le parallèle entre cette mélodie nue et d’autres œuvres ultimes de Mozart. Ainsi le mouvement lent du Quintette avec clarinette est du même ordre, l’Ave verum mentionné plus haut également ainsi que l’air de Sarastro « Ô Isis und Osiris » à l’acte deux de la « Flûte ». Chacune de ses ambiances crée l’émotion sereine, l’apaisement sans victoire, la plénitude infinie ainsi que le renoncement total et l’amour absolu qui en résulte.

 

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C’est bien là que se trouve le fond de la pensée de Mozart. Une synthèse entre sa foi chrétienne et la lumière franc-maçonne. C’est bien le propos des œuvres ultimes. Mozart, qui avait vécu une crise spirituelle extrême provoquée par sa réaction face à l’autorité de l’archevêque de Salzbourg et son propre père avait, à Vienne, laissé de côté cette foi malmenée et la franc-maçonnerie lui avait apporté une nouvelle vision du monde qu’il allait pouvoir combiner avec sa pensée chrétienne. L’opposition des philosophies n’est que superficielles, puisque, toutes les deux, elles prônent l’amour absolu et le chemin sinueux pour y parvenir comme une forme d’initiation.




 


 

Preuve supplémentaire de cette synthèse spirituelle, le thème de l’Ave verum qui n’est autre que celui de l’Adagio maçonnique K. 580 dans lequel la clarinette (cors de basset) joue un rôle essentiel.




 


 

Il est bien utile ici de citer le texte de l’air de Sarastro qui, comme une prière profane, espère la lumière : « Ô Isis et Osiris, accordez l’esprit de la sagesse au nouveau couple ! Vous qui dirigez les pas des voyageurs, assistez les patiemment dans le danger. Montrez-leur les fruits de l’épreuve ; mais s’ils devaient aller dans la tombe, récompensez leur hardi et vertueux essai, accordez-leur le repos près de vous ».




 


 

Le final est alors un rond fait de joie et de lumière retrouvée. La virtuosité y est présente avec une spontanéité extraordinaire et, d’abord, nulle ombre ne vient contrarier le propos limpide de la révélation. Et pourtant, l’homme peut-il être serein et sûr de lui ? Le rondo se double d’un second refrain plus ombragé qui distille ses interrogations … « Et si tout cela n’était que pure balivernes ? » Qui, parmi les hommes, même chez les plus croyants, n’a jamais douté ? C’est l’occasion de recréer des ambiances tempétueuses et agitées.




 


 

Tout est clair, désormais pour Mozart. Quelle maturité pour un homme qu’on disait ignare dans les domaines culturels et spirituels. Comment en serait-il autrement. Pensez-vous qu’un ignare puisse écrire une telle musique ? Mozart n’était pas inspiré par Dieu, mais par ses propres réflexions sur le sens de la vie. C’est pour cela que nous l’écoutons avec tant de joie aujourd’hui encore et que nous le plaçons au-dessus de la mêlée. Son message nous transperce même quand on ne fait qu’écouter sa musique sans réfléchir à son propos. Mozart nous dit la vérité de l’homme. C’est peut-être en ce sens qu’il nous laisse entrevoir ce qui pourrait être Dieu, un absolu désincarné au dessus de toute préoccupation égoïste et intéressée.

 

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