Franck liégeois

 

Si César Franck (1822-1890) est né à Liège, il passa toute sa carrière à Paris. Devenu un personnage incontournable de la vie musicale parisienne, le « Pater Seraphicus », tel qu’on aimait le nommer, composa sa symphonie sur le tard en 1887. Ce fut une année faste pour la symphonie française habitée d’une part par les relents de Beethoven et de Wagner et, d’autre part, par un souci de recherche formelle (procédés cycliques) et coloristes (travail sur les timbres de l’orchestre).


  Maison natale de Franck à Liège
Maison natale de César Franck, rue Sainte Croix à Liège 

César Franck, le grand organiste du XIXème siècle, avait déjà traité la matière orchestrale dans des poèmes symphoniques qui avaient recueillis un certain succès (Le Chasseur Maudit, Les Djinns, les Variations symphoniques, …). Il lui restait à livrer au monde une grande « sonate pour orchestre ». la symphonie en ré mineur sera son maître ouvrage. Elle utilise toutes les ressources du chromatisme cher au compositeur et les procédés cycliques qu’il avait lui-même développés tout au long de sa carrière. L’introduction lente du premier mouvement donne le ton. Tragique, en ré mineur, tonalité des requiems, en déployant déjà le grand thème générateur de toute l’œuvre. Elle laisse place à un allegro combatif et particulièrement dramatique (Beethoven n’est peut-être pas si loin). Le scherzo, d’allure presque populaire, offre cette magnifique mélodie du cor anglais sur un tapis de pizzicati. Longue rêverie poétique, ce mouvement débouche sur le final qui reprend tous les thèmes en culmination et qui après de nouveaux épisodes tragiques, conduit le thème générateur vers une apothéose formidable.

 


 

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Il existe bien entendu de nombreuses versions de cette symphonie. L’Orchestre Philharmonique de Liège l’a, à lui seul, enregistrée deux fois. La première est parue en 1981, avec Pierre Bartholomée chez Ricercar. Cet enregistrement a été l’une des grandes références pendant plus de deux décennies. La seconde, sous la baguette de Louis Langrée, parue en 2005 chez Accord/Universal me semble renouveler l’interprétation et constituer le must de la discographie non seulement de la symphonie de Franck mais aussi de celle de Chausson exactement contemporaine.

 

C’est vrai que l’orchestre liégeois a une expérience unique en la matière. Je me souviens des musiciens qui me confiaient, en s’étonnant qu’on place encore la symphonie au programme d’un enregistrement, qu’ils pourraient la jouer de mémoire tant ils l’avaient pratiquée. Ils ne comprenaient pas alors ce que Louis Langrée, un français, allait bien pouvoir leur apprendre. Pourtant, les auditeurs les plus attentifs avaient remarqué qu’une certaine routine avait envahi l’interprétation de la symphonie. Le dynamisme et l’enthousiasme du nouveau chef de l’OPL allait vraiment renouveler la vision un peu engourdie d’une œuvre devenue parfois ronflante.

 


 

Langree franck

 

Je me souviens aussi d’une séance commentée par Louis Langrée (Dessous des Quartes) au cours de laquelle, il a remis à plat aussi bien pour l’orchestre que pour le public, ce qu’il considérait comme la dramaturgie de l’œuvre tardive de Franck. Non seulement il insistait sur la nécessité thématique, sur l’arche cyclique des thèmes qu’il associait à un parcours initiatique, mais aussi sur la recherche des couleurs, des mélanges inédits de timbres qui, d’une certaine manière, annoncent la musique française du XXème siècle. Magnifique démonstration de l’importance de l’œuvre dans l’histoire de la musique.

 

L’enregistrement est le témoin de cette nouvelle optique. L’orchestre a suivi et le résultat est stupéfiant. La symphonie de Chausson (au programme cette semaine à l’OPL sous la baguette de Pascal Rophé) qui complète le cd, est, à mon avis un peu plus faible dans sa structure, mais l’orchestre lui rend ses lettres de noblesse par une force dramatique remarquable. Je n’ai pas peur d’affirmer que cet enregistrement fait désormais partie d’une discothèque idéale.