Stabat Mater Dolorosa

 

Je ne suis pas croyant, je l’ai déjà mentionné dans d’autres messages. Bien qu’élevé dans une famille chrétienne catholique, j’ai perdu la Foi au cours de l’adolescence, au moment où on commence à se poser mille questions sur l’existence et quand on se rebelle vis-à-vis de son entourage. J’ai gardé, dans ma vie d’agnostique, une culture solide des textes sacrés et une émotion profonde pour l’art religieux. Tout ce qui touche aux spiritualités des êtres humains m’intéresse au plus haut point. Mes propres questionnements existentiels se nourrissent de tous les horizons de la pensée humaine. Cela m’a amené à beaucoup étudier les œuvres religieuses des grands compositeurs et à tenter d’en comprendre les diverses motivations.

 

Je donne donc régulièrement des conférences et des cours sur les œuvres sacrées. Aux environs de Pâques, on me demande souvent de parler et d’analyser un des grands chefs d’œuvre de l’histoire. Je le fais volontiers, mais à une seule condition, choisir moi-même le sujet du cours. C’est ainsi que pour ne pas toujours parler des mêmes Requiem de Mozart et Passions de Bach, j’ai récemment analysé le Requiem d’Alfred Schnittke et le Stabat Mater de Francis Poulenc. C’est de ce dernier que je désirais parler aujourd’hui. Je voulais aussi dédier la séance à une auditrice assidue qui vient de perdre subitement son fils et dont les funérailles se déroulent…ce matin, Vendredi Saint !

mater dolorosa

 

Quoi de plus douloureux dans l’existence que de subir le bris de la logique des générations et de perdre l’enfant qu’on a mis au monde. Cette douleur va effectivement au-delà de la religion, de la théologie et des confessions. C’est justement de cela que nous parle le texte du Stabat Mater qui cherche à exprimer les douleurs ressenties par Marie au pied de la Croix.

 

Composé au XIIIème siècle et attribué au franciscain italien Jacopone da Todi, le Stabat Mater, en traitant du sujet sensible d’une mère qui perd son fils, a souvent été considéré par les théologiens et les historiens comme le signe d’une nouvelle forme de piété. Plus émotive et sans doute plus humaine, elle est aussi le témoignage de l’explosion de la dévotion mariale.

Ce texte très émouvant a tenté les compositeurs de toutes les époques. La musicologie en a recensé plus de deux cents vingt dont les auteurs les plus connus se nomment Pergolesi, Vivaldi, Haydn, Rossini, Schubert, Dvorak, Verdi, Poulenc, Penderecki, Szymanowski, Pärt, …)

 

Si le texte les unit tous par le propos littéraire, le message sous-jacent dépend de nombreux critères (Conceptions religieuses de l’époque, spiritualité du compositeur, message voulu, moyens musicaux et styles des différentes époques). Tous sont émouvants pour ce qu’ils ont à nous dire.

 

Celui de Francis Poulenc (1899-1963) est atypique mais ô combien puissant. Il ne s’agit pas ici de donner une vision théologique d’un texte. Il est seulement ressenti. Composé en 1950 pour rendre hommage à la mémoire de son ami, le célèbre illustrateur et décorateur Christian Bérard (ayant, entre autres, participé au film de Cocteau, la Belle et la Bête en 1946). Le compositeur confie sa longue hésitation entre un requiem, rejeté car trop pompeux et le Stabat. Composées pour un effectif important de soprano solo, chœur mixte et orchestre, les douze pièces forment un ensemble extrêmement homogène. Il avait beau dire que sa musique naît spontanément, l’œuvre est magnifiquement construite et témoigne d’une maîtrise exceptionnelle. « Le sens de la musique polyphonique est chez moi vraisemblablement inné ».

Francis Poulenc

 

Il se souvient : « Mon père était profondément religieux, il l’était sans étroitesse, magnifiquement croyant ». Ses dernières œuvres religieuses, souvent parmi les meilleures de Poulenc, furent générées par un retour de la Foi provoquée par une visite à Rocamadour. Pourtant, il reste lui-même. Lui, qui a côtoyé les plus grands artistes du début de XXème siècle, s’est forgé, en autodidacte, une solide culture musicale qui en fait l’un des grands français de l’histoire.

RocamadourViergeNoire de Rocamadour

 

Loin des dogmes, sa musique va droit au but. Provocante et humoristique, elle est aussi grave et austère (Moine ou voyou selon les mots de Claude Rostand). Son « Stabat » est tout simplement humain et magnifique. Il exprime cette émotion qui connaît la souffrance dans ce qu’elle a d’intérieur et de plus profond. Tout y est ; couleur orchestrale, polyphonie à l’ancienne, modernisme des dissonances expressives, rhétorique du mot, visions du temps extérieur et intérieur, …Laissons-le encore parler : « J’ai repassé ma robe de bure et je suis en plein Stabat (comme un poisson dans l’eau). Tu sais d’ailleurs que je suis aussi sincère dans ma foi sans hurlements messianiques que dans ma sexualité parisienne. Le problème de la personnalité ne se pose jamais pour moi. Mon ton musical est spontané et, en tous cas, je pense, bien personnel ». (F. Poulenc)

  

Un avis sur “Stabat Mater Dolorosa

  1. Stabat Mater de Poulenc, oeuvre entre toutes chéries. Parmi les nombreuses versions, l’une pour moi se détache, celle de Serge Baudo avec l’Orchestre de Lyon et Michèle Lagrange… tout y est.. la ferveur, le côté « céleste », les « anges jouant au football », la voix lumineuse de Lagrange, les inspirations magnifiques de Baudo…. tout est là dans une absolue perfection. J’ai ce CD de très longue mémoire, et son frère jumeau, offert par un ami, alors que je réalisais le voeux de passage à Rocamadour, et la vue de la Vierge Noire. Cette même vierge qui veille sur moi….. tout près dans mon bureau….

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