Avec la présentation de la nouvelle saison de l’Orchestre Philharmonique de Liège, hier pour la presse et les abonnés, ce soir pour tous les autres, un nouvel enregistrement de notre phalange liégeoise apparaît dans les bacs des disquaires. Je vous reparlerai très bientôt de la nouvelle saison 2008-09, mais pour ne pas gâcher le plaisir de ceux qui se rendront ce soir à la Salle philharmonique, j’attendrai jeudi, le mercredi étant réservé à la discothèque idéale.

L’OPL en répétition
Depuis 2000, c’est déjà le seizième cd de l’orchestre qui montre ainsi sa détermination à figurer en bonne place dans l’actualité discographique. La politique de son directeur général, Jean-Pierre Rousseau, et de ses directeurs musicaux, Louis Langrée et maintenant Pascal Rophé est sans ambiguïté. Il faut que notre orchestre reste la meilleure phalange belge L’enregistrement est une formidable carte de visite, surtout lorsque la presse internationale en parle et en vante la qualité.
On sait également que la musique française figure entre autres parmi les points forts de nos musiciens. Rassurez-vous, ils brillent également dans les autres répertoires. Ainsi après Ravel, Franck et Chausson (voir la rubrique discothèque idéale en date du 19/03), Saint-Saëns et Jongen, l’orchestre se consacre cette fois à un répertoire plus contemporain consacré à Henri Dutilleux et André Caplet publié chez Aeon. Pour la circonstance, le formidable violoncelliste Marc Coppey a fait un séjour en Cité ardente.

Henri Dutilleux (1916) est l’un des compositeurs français les plus joués du XXème siècle. Honoré de nombreux prix, il figure aujourd’hui sur le même pied que Messiaen et Boulez. Sa musique, française dans le souci des couleurs et la subtilité des timbres orchestraux, est d’un lyrisme tout particulier. La poésie fait partie de son environnement et il ne règne jamais dans son œuvre d’intellectualisme sec. La poésie ; le mot est lancé. Le concerto pour violoncelle et orchestre commandé par Rostropovitch en 1970 est une sorte de grand poème symphonique inspiré par des poèmes tirés des « Fleurs du mal » de Charles Baudelaire. Son titre « Tout un monde lointain » est tiré de la deuxième strophe du poème « La Chevelure » :
La langoureuse Asie et la brûlante Afrique
Tout un monde lointain, absent, presque défunt,
Vit dans tes profondeurs, forêt aromatique !Comme d’autres esprits voguent sur la musique,Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum.

Henri Dutilleux
Cinq mouvements (Enigme, Regard, Houles, Miroirs et Hymne) construisent l’œuvre autour du chant du violoncelle qui se fait tour à tour indépendant, complice de l’orchestre, virtuose, songeur ou, comme dans miroirs, extatique. « Ce mouvement porte en exergue des vers empruntés à « La mort des amants » particulièrement chers au cœur de Henri Dutilleux qui les cite souvent :
Nos deux cœurs seront deux vastes flambeaux
Qui réflé
chiront leurs doubles lumières
Dans nos deux esprits, ces miroirs jumeaux ».
Cité par Jean-Michel Nectoux, livret du cd, p.5.
N’ayant pas de véritable comparaison à faire, je connais mal la musique de Henri Dutilleux (!), je trouve notre orchestre très coloré, très fin et magnifiquement équilibré. Pascal Rophé est manifestement à son aise avec cette musique qu’il déploie en toute complicité avec le superbe violoncelle de Marc Coppey.
Marc Coppey
Ce cd est complété par les Trois Strophes sur le nom de Paul Sacher pour violoncelle seul. Cet ensemble d’une richesse polyphonique rappelle J-S Bach. C’est encore Rostropovitch qui le commanda à Dutilleux (comme à 11 autres compositeurs dont Britten, Boulez, Lutoslawski, Berio, …) pour les 70 ans du grand mécène suisse. Paul Sacher a en effet contribué au répertoire de la musique moderne en commandant régulièrement des œuvres aux grands compositeurs (R. Strauss, B. Bartok, I. Stravinsky, A. Honegger, …). L’hommage que lui rend Dutilleux est d’une rare intensité et parcourt toutes les variétés de l’émotion du violoncelle. Là encore, Marc Coppey fait preuve d’un sens musical hors du commun, rendant les moindres finesses de cette œuvre techniquement très difficile.

Enfin, Epiphanie de André Caplet, fresque musicale d’après une légende éthiopienne (1923-34) est une œuvre rare. Jouée en concert par l’OPL avec M. Coppey, la voici enregistrée à la demande de Henri Dutilleux lui-même. Jean-Michel Nectoux précise : « Interrogé sur ce choix, Dutilleux évoque le souvenir des exécutions qu’il en donna au piano avec Maurice Gendron en ses jeunes années. ». L’œuvre est magnifique dans sa version orchestrée. Ses sonorités uniques en font un chef d’œuvre attachant qui n’a rien à envier aux meilleurs poèmes symphoniques de ses contemporains. Je connaissais un peu la musique pour piano de Caplet qui m’avait déjà laissé une forte impression (cd Dukas/Caplet par M-A Hamelin chez Hyperion). Sa musique orchestrale est remarquable et constitue une vraie découverte. Je vous en parlerai sans doute quand je l’aurai assimilée.
André Caplet (1923)
Last but not Least, un second cd gratuit qui propose un entretien récent de J-M Nectoux et Marc Coppey avec Dutilleux. Il y raconte les origines de son concerto et les intentions qui l’ont animé durant le travail de composition. Il vous aidera sans doute à éclairer l’audition de ce superbe cd. Bravo à tous. Un autre cd devrait sortir prochainement. Edité par RCA, il regroupe les concertos de Darius Milhaud avec E. Le Sage, P. Meyer, F. Moretti et G. Verschraegen accompagnés par l’OPL sous la baguette de Paul Meyer. … Surtout, continuez à nous surprendre !