Leitmotiv (Première partie)

 

Dans le cadre du cycle des conférences des Amis de l’ORW au Petit Théâtre, je parlerai ce soir de l’histoire du leitmotiv. Je ne vais pas dévoiler ici le propos complet de ces deux heures d’exposé illustré d’exemples musicaux, mais j’ai tout de même envie de vous en dire un mot dès maintenant. Le propos étant vaste et complexe, j’ai divisé ce texte en deux parties dont voici la première. La seconde paraîtra jeudi.

 

Le mot allemand  « Leitmotiv », apparu vers 1860, se traduit par « motif conducteur ». Dans son utilisation musicale, il nomme un thème qui revient régulièrement au cours d’une œuvre. Les dictionnaires ajoutent en outre que « Les personnages des drames lyriques de Richard Wagner sont en général caractérisés par un leitmotiv » (Wikitionnaire). Si l’allusion au compositeur est évidente, le mot a dépassé son usage musical pour désigner également une phrase ou un slogan qui revient régulièrement, d’une façon symbolique, dans un discours oral ou écrit.


Parsifal 2Début de Parsifal et grand leitmotiv, partie des cordes


 

C’est bien la première définition qui m’intéresse ici, même si l’analogie avec le discours mériterait à elle seule un article détaillé, voire une conférence. L’acte de naissance du terme semble venir de l’ouvrage de F.W. Jähns sur la vie et l’œuvre de Weber avant de désigner les thèmes analysés des opéras de Wagner. On sait en outre que Richard Wagner n’utilisait pas ce mot régulièrement et qu’il lui préférait les termes de Grundthema ou Grundmotiv (thème, motif fondamental).

 

D’abord, il ne faut pas confondre thème et leitmotiv. Le premier est une phrase musicale articulée qui sert les nombreuses formes de la musique. Le leitmotiv n’est pas nécessairement une phrase. Souvent, il est une simple cellule rythmique, mélodique et harmonique significative par référence à un personnage, un sentiment ou un objet. Pour devenir signifiant, le leitmotiv procède à l’utilisation de réminiscences musicales et d’associations sémantiques, bref, à la mise en œuvre d’une rhétorique. Pas étonnant que ce soit dans l’opéra qu’il trouve ses plus grandes applications.

 

Attention cependant à ne pas croire que seul l’opéra l’utilise. On peut d’ailleurs rapprocher la fameuse « idée fixe » de la symphonie fantastique de Berlioz  d’un leitmotiv. En effet l’une de ses plus géniales caractéristiques est de s’adapter aux divers environnements que proposent les œuvres.


 Idee fixe Berlioz


L’idée n’est dite fixe par Berlioz que parce qu’elle se présente comme la personnification de la bien aimée. A y regarder de près, chaque contexte sémantique et musical en modifie l’apparition et la morphologie en en faisant, en conséquence, un organisme vivant. Oui, c’est bien de cela qu’il s’agit. La cellule musicale est vivante. Elle subit donc des transformations au cours du temps, comme tout ce qui est soumis au temps. Elle peut même devenir presque méconnaissable. L’analyse permettra d’y déceler la « carte génétique » qui confirme sa relation avec le modèle premier.


 Hector Berlioz


C’est bien cet élément qui me fascine depuis longtemps, qui m’a amené à étudier le phénomène et à en proposer une conférence. Vous connaissez mes préoccupations pour les rapports entre temps et musique. Vous comprendrez alors que le leitmotiv représente un organisme dans le temps. S’il participe au temps de l’œuvre, il en subit de plein fouet l’évolution. Il sera le plus fort s’il parvient au terme de l’œuvre plus ou moins intact. La plupart du temps sa structure musicale est construite pour lui permettre une évolution, un développement et des altérations. Il peut même se combiner avec d’autres leitmotivs pour en engendrer de nouveaux et, ainsi échapper à l’aspect inévitablement mortifère du temps. N’est-ce pas là une belle imitation de la nature…humaine ?

 

Si on remonte dans l’histoire de la musique, on rencontre l’ancêtre du leitmotiv dans la rhétorique musicale qui utilise des procédés codifiés pour désigner les mêmes choses (par exemple la Catabase chromatique descendante pour évoquer la mort). Mieux que ces motifs téléguidés par un sens littéraire extérieur, certains intervalles musicaux ont une fonction remarquable due à la répar
tition des consonances et dissonances. L’accord de septième diminuée, très dissonant, sera utilisé pendant toute l’ère tonale pour symboliser le méchant, la souffrance, l’horreur, …

 

Les opéras de Mozart, en utilisant encore largement cette rhétorique, en développent un usage particulier. Attribuer une mélodie et un rythme à un personnage est l’une des grandes prouesses de Don Giovanni et de Cosi fan tutte. Dans ce dernier, l’ouverture fait entendre un motif dont on ne comprend le sens, qui justifie le titre même de l’opéra, qu’une fois qu’il a été chanté par Don Alfonso (« Cosi fan tutte », « Ainsi font-elles toutes »).


 Cosi fan tutte


 Dans le célèbre Don Giovanni, les motifs de l’ouverture se retrouvent dans la scène du cimetière à l’autre bout de l’œuvre. Ce ne sont pas encore de vrais leitmotivs mais déjà ces thèmes confèrent à l’œuvre son unité. J’ai lu que Grétry et Méhul en font usage aussi, mais je n’ai pas pu le vérifier dans le texte….A suivre.