Nuages

 

La nature, de plus en plus capricieuse, semble se révolter contre les tourments et les tortures que lui inflige cette race étrange que sont les hommes. Les artistes de toutes les époques ont souvent cherché à donner à la mère nature une fonction expressive particulièrement forte. Depuis les ciels tourmentés des peintres baroques aux azurs dignes d’une Arcadie désormais perdue des classiques en passant par le panthéisme des romantiques, la mère nature ne cesse de créer des climats qui renforcent l’ambiance expressive d’une scène.


 Turner,+Snow+Storm,+Steam-Boat+off+a+Harbour's+Mouth+1842[1]


Nous le savons, pour en avoir fait les frais à plus d’une reprise. La nature peut frapper cruellement, laissant derrière elle désespoirs et ruines. Elle peut aussi dispenser la plus douce joie de vivre dans sa lumineuse générosité. Pensez à la « Pastorale » de Beethoven qui nous suggère son influence sur la vie et le moral des hommes…

 

Il m’arrive souvent de rêver en regardant le ciel. Je rêve de formes et d’espaces infinis, d’un temps comme suspendu au bon vouloir du vent et du déplacement des nuages. Il me vient alors à l’esprit des sonorités musicales, des sons qui semblent venus d’ailleurs et qui distillent un parfum nouveau à chaque fois. Oui, le spectacle du ciel est poétique. J’y entends Schubert et ses errances, je crois y percevoir le grand choral de Bruckner et, par lui, je me vois accéder à un peu d’éternité.


 Nuages


Mais quand le ciel devient noir et qu’il se charge de menaces effroyables, je prends peur comme chacun d’entre nous. Je me sens petit et impuissant face à cette force bien au-delà de l’entendement humain. Les harmonies se font dissonantes et la grosse caisse se fait entendre. L’apocalypse n’est peut-être pas loin. Les fureurs de Mahler, les colères divines de Wotan et de Loge nous mettent en garde…La nature est puissante, terrifiante parfois.


 Orage


… Et comme il n’y a rien de tel que la poésie et l’art pour nous réconcilier avec les forces naturelles, je vous propose ce très beau texte de Le Clézio qui, dans sa naïveté presque enfantine, nous fait rêver à des mondes lointains légendaires, simplement avec…les nuages !

 « Ce ne sont pas les oiseaux, ni les avions qui habitent dans le ciel. Ce sont eux, les nuages, larges, silencieux, légers, pareils à des navires, pareils à des îles. Ce sont eux qui vivent de la vraie vie, qui sans cesse se forme et se défait. Ils voyagent beaucoup, et moi un peu avec eux. Ils m’emportent, puis me laissent plus loin sur la terre. Quand je suis immobile, eux traversent l’espace et me font voir de nouveaux paysages. Ils me montrent, comme cela, simplement, toutes les formes inespérées, incroyables ; ils les montrent, sans paroles, sans histoires, et puis s’en vont ailleurs. Tous les ciels où l’on peut être, disparaître, s’envoler le long des cours de l’air. Le brouillard bas, d’où émergent les cimes des montagnes, les sommets des tours. Stratus laiteux au soleil pâle, chape qui pèse, qui serre la tête. Cumulus, strato-cumulus blanc, étendu comme la mer, son ombre progresse sur la plaine. Nuage en forme de chou-fleur, debout sur sa base horizontale, vague, cotonneux. Je le regarde et je monte bien droit à travers le ciel. Le soleil brille, s’efface. Cumulo-nimbus, nuage du tonnerre et de la pluie, qui sort lentement de sa matrice, à 1400 mètres d’altitude, et pousse vers le haut, roule ses blocs neigeux en avalanche ascendante jusqu’à la zone des 8000 mètres. 


nuages 2
 


Strato-cumulus, grands rouleaux gris qui recouvrent le ciel et menacent la terre. Son ombre froide fait geler les ruisseaux et glace les chemins. Parfois, sur le ciel noir, la forme surprenante, l’explosion très lente d’un seul nuage en forme d’enclume. Alors on entend les bruits de la forge, les coups lointains du tonnerre, et l’horizon s’allume. 

Au dessus de la terre plate, le ciel ressemble à la mer : il y a de grands rouleaux de vagues immobiles, séparés par des sillons noirs. Ce sont les rouleaux du strato-cumulus éclairés par la lumière du soleil caché ». Jean-Marie Gustave Le Clézio, Visages-Nuages, Gallimard, 1977