Vous savez que les réflexions sur le temps me fascinent toujours. C’est sans doute lié à ma passion pour la musique qui est bien l’art du temps par excellence. Je ne résiste pas à retranscrire aujourd’hui ce texte tiré d’un ouvrage de Philippe Boulanger et Alain Cohen intitulé « Le trésor des paradoxes » paru aux éditions Belin en 2007 (pp. 332-333).
« Le rôle de l’avenir est de changer la qualité du passé, sinon comment le reconnaître ? Eventuellement passéiste (« son avenir est derrière lui »), le futur doit différer du passé, sinon le présent se perpétue. Aussi l’avenir est-il une sorte de présent : « L’avenir est au présent » (Gaz de France) ; « le futur est du présent vieilli » (Jacques Spitz).
Avenir du passé, le présent est aussi passé de l’avenir. Mais contestable : « Nous sommes toujours dans le présent et pourtant il n’existe pas, car c’est du futur qui devient passé ». Or, à moins d’admettre la « vie future » promise par les religions, il n’existe d’autre choix que l’existence au présent : « celui qui vit dans le présent vit éternellement »(Ludwig Wittgenstein). Mais l’éternité implique soit beaucoup d’instants successifs, soit un temps arrêté : « Et où le temps n’est plus, là est l’éternité » (Pierre Matthieu) ; « Le temps, cette image mobile de l’immobile éternité » (Jean-Baptiste Rousseau) ; « L’éternité, il y a des longueurs » (Alexandre Breffort) ; « L’éternité ? Comme cela doit sembler long, surtout vers la fin ! » (Kafka). C’est un concept définissable par autoréférence : « Quelle différence y-a-t-il entre le temps et l’éternité ? » demandait-on à un philosophe. Et celui-ci de répliquer : « Il nous faudrait de temps pour l’expliquer, et une éternité pour le vérifier ! » par inversion, le pléonasme « un bref instant » donne l’oxymoron « un instant d’éternité » dont une publicité (pour Campari) affiche cette version : « Eternellement d’aujourd’hui ».
Nouveau défi infini (tonneau des Danaïdes ou rocher de Sisyphe), la recherche thérapeutique sur le mythe de jouvence est une super tâche : « Pour déterminer qu’un médicament rend immortel, il faut un temps de test infini » (Sidney Harris). Inversement, comment ne pas perdre le passé quand on n’a pas l’éternité ? La preuve chez Borgues : « Funes se rappelait chaque feuille de chaque arbre de chaque bois, chacune des fois qu’il l’avait vue ou qu’il l’avait imaginée. Il décida de réduire chacune de ses journées passées à quelque soixante-dix mille souvenirs … Il en fut dissuadé par deux considérations : la conscience que la besogne était interminable, la conscience qu’elle était inutile. Il pensa qu’à l’heure de sa mort il n’aurait pas fini de classer tous ses souvenirs d’enfance ». Et l’inflation des techniques d’informations, comme supports de souvenirs (photos, DVD, etc.) complique ce dilemme : vivre de nouveaux isntants, vecteurs de nouveaux souvenirs qu’on aura pas le temps de classer ? Ou se remémorer d’anciens instants, au détriment de l’action présente ?
La fin justifie le début : « Ce qui n’est pas entièrement achevé n’existe pas encore. Ce qui n’est pas achevé est moins avancé que ce qui n’est pas commencé » (Paul Valéry). Et l’absence de fin justifie le milieu : pour Dick Rivers, « l’histoire du Rock n’a pas de fin, aussi commencerons-nous par son milieu pour la raconter ». Quelle topologie bizarre ! S’il n’y a pas de fin, comment peut-il y avoir un milieu ? La fin est justifiée par la prolongation : « Une analyse se termine quand le patient se rend compte qu’elle pourrait continuer indéfiniment » (Hans Sachs). Commentaire de Paul Watzlawick : « Cette formule n’est pas sans rappeler l’un des dogmes du bouddhisme Zen voulant que l’illumination surgisse quand le disciple comprend qu’il n’y a pas de secret, pas de réponse définitive et donc aucune raison de continuer à poser des questions ». Le temps répond-il à toutes les questions ? Selon Jean Cassou, « il existe dans l’étendue illimitée de l’avenir, des réponses qui ne répondent &
agrave; aucune question ».
Je ne doute pas que cette réflexion du musicien soit teintée de l’ironie habituelle concernant la longueur des oeuvres de Richard Wagner.
Cependant, la manière dont Wagner conçoit le temps n’est pas très éloignée de de cette déclaration. Une explication détaillée de cette notion prendrait de nombreuses pages, ce qui n’est pas envisageable ici. Cependant, cliquez sur le mot-clé « temps » dans la colonne de droite et tous les textes que j’ai écrit sur le temps devraient apparaître et vous proposer mon avis sur la question. Chez Wagner, tout est fait pour donner l’impression d’un temps inconnu tout en étant toujours présent. Alors le début du temps wagnérien se trouve dans l’ « UR » (originel) bien avant le début de l’oeuvre et la fin, bien au-delà du temps. En conséquence, cette musique dure…!
Ce n’est pas un commentaire mais une question.
Un musicien français aurait dit, autour de la première guerre, « Les œuvres de R. Wagner, ça ne commence pas, ça ne finit pas, ça dure ». A cette époque, l’Alsace était encore allemande et l’appréciation des artistes allemands en était biaisée.