Réformation

 

En cette année anniversaire de Félix Mendelssohn (1809-1847), on a vu peu de parutions discographiques et, en comparaison avec Haydn et Haendel, fêtés cette année également, peu de concerts où figurent ses œuvres. Il y a quelques temps, j’ai eu l’occasion de parler de la cinquième symphonie « Réformation » lors d’un concert commenté à l’OPL dirigé par Pascal Rophé. Ayant remis cette œuvre au programme des conférences de la Fnac cette semaine, j’ai envie de remettre par écrit quelques uns des éléments qui me font affirmer qu’elle est injustement inconnue.


 

felix_mendelssohn_by_james_warren_childe


 

Le problème, déjà mentionné par ailleurs, avec Mendelssohn, c’est qu’on le considère comme un compositeur mineur. Un romantique, certes, mais pas de ceux qui ont souffert ! Comme s’il fallait absolument être sourd, solitaire, dépressif ou malade pour écrire de la vraie musique expressive. D’ailleurs, si vous vous souvenez, j’avais mis en évidence les mêmes constatations avec « l’Italienne » et « Lobegesang ». Ces deux œuvres majeures cachent des trésors d’expressivité et d’émotion qu’on dissimule trop souvent derrière la vie facile qu’a pu avoir le compositeur. N admet généralement que sa première grande expérience tragique fut la perte de sa sœur, morte quelques mois avant lui ! C’est vrai que le quatuor à cordes qui en est la conséquence artistique est d’une rare intensité et d’une détresse indéniable. Mais est-ce pour autant les seules œuvres dignes d’attention ? Toute la musique de Mendelssohn ne se limite pas à quelques romances sans paroles, superbes par ailleurs.


 

Présentation de la Confession D'Augsbourg à Charles Quint

Présentation de la Confession d’Augsbourg à Charles Quint


Lorsque les préparatifs des festivités commémorant le 300ème anniversaire de la Confession d’Augsbourg, texte fondateur du protestantisme vinrent à la connaissance de Mendelssohn, il était en voyage à travers l’Angleterre et l’Ecosse. Converti au protestantisme luthérien, il désirait écrire une œuvre conséquente qui pourrait s’intégrer aux événements. Malheureusement, l’œuvre ne sera jamais jouée à cette occasion, jugée trop faible ou pas assez adaptée aux circonstances. On suppose également que la judéité de la famille Mendelssohn ait constitué un obstacle important au refus de l’œuvre ! Entre 1829 et 1930, soit à l’âge de 21 ans, le compositeur, qui venait d’exhumer la Passion selon Saint Mathieu de JS Bach se lançait donc dans une entreprise bien risquée. Il avait bien composé des symphonies pour cordes et une première « grande » symphonie, mais son expérience restait encore bien faible. La cinquième symphonie est donc bien la seconde dans l’ordre chronologique de composition. 

Mais cette œuvre était surtout, pour le jeune homme très cultivé et curieux de tout, de se mesurer à la grande forme qui ne se suffit pas des connaissances livresques de l’âme romantique. Il fallait exprimer un programme bien senti et vécu. Le pari n’était pas gagné d’avance ! Et à vrai dire, l’œuvre qui résulta de la confrontation de l’homme à l’expression de son âme n’est pas complètement aboutie. Comment en serait-il autrement vu l’ampleur du projet. De là affirmer, comme bien souvent, que l’œuvre est ratée et sans intérêt, il y a un pas à ne pas franchir. Au contraire, plus on la fréquente, plus elle se révèle. Examinons-là un peu !


 

Mendelssohn 5 Ia


 

L’introduction lente qui ouvre le premier mouvement ne brise pas vraiment le silence originel d’emblée. Un motif ascendant énoncé aux cordes graves semble rempli de nostalgie. Cette nostalgie qui nous prend lorsqu’on quitte un être cher, en l’occurrence ici, le silence primordial, sans temps, sans déroulement. Car entrer dans le temps est déjà reconnaître notre finitude. Pour l’exprimer, ce geste ascendant se veut optimiste et débouche un motif religieux tiré du Magnificat (Nunc dimitis) qui dit, en substance ceci : « Maintenant, Souverain Maître, tu peux, selon Ta parole, laisser ton serviteur s’en aller en paix, car mes yeux ont vu Ton salut ». Les sonorités sont très claires, maintenant et les bois chantent cet hymne dans leur clarté céleste. De grands appels de cuivres et une douce mélodie, elle aussi ascendante, comme un baume, distille sa sensation de bien-être.

 

Mendelssohn 5 Ib Amen

Amen de Dresde


 

La mélodie des cordes est « l’Amen de Dresde », un ancien chant de Noël chanté par des chœurs d’enfants de la ville de Dresde. Richard Wagner l’utilisera comme le leitmotiv du Graal dans son Parsifal. Son effet apaisant est immédiat et, à son second énoncé, l’introduction se termine, laissant un monde idéal s’évanouir.


 

Mendelssohn 5 Ic


 

L’Allegro con fuoco qui suit nous plonge dans les tourments de l’existence et la lutte contre le destin. Le thème musical principal de cette longue section est très proche du thème de la 104ème symphonie de J. Haydn que Mendelssohn avait probablement entendue à Londres. Mais c’est surtout l’occasion de créer un mouvement agité dans l’esprit tout romantique du « Sturm und Drang ». Effets énergiques, orchestrations nerveuses des cordes, le tourment est de tous les instants. Pas de tous ! un renversement de l’Amen de Dresde semble nous rappeler le monde à retrouver à travers l’agitation de la vie.



 

Le contraste est total lorsque les rythmes légers et dansants du deuxième mouvement, un scherzo, viennent détendre l’atmosphère. C’est un tout autre monde qui s’ouvre à nous. Celui des elfes et des fées, celui du « Songe d’une nuit d’été ». C’est aussi un aspect essentiel du romantisme que cet attrait pour le monde fantastique, onirique et fantasmagorique. On se souviendra des peintures de Füssli, de ses mondes de la nuit peuplés de créatures plus ou moins maléfiques. Ce scherzo, dégagé de toute angoisse existentielle ostensible, me fait un peu penser au Bal de la Symphonie fantastique de H. Berlioz composée la même année. Derrière des thèmes séducteurs, se cachent des sortilèges extraordinaires et quand, en plein milieu de la pièce, le trio distille sa valse lancinante, ce sont des souvenirs de bals anciens et de voluptés toutes sensuelles. Superbe morceau de musique en tous cas que cette danse représentant la vie apparemment insouciante de la jeunesse même si on y découvre une pointe de nostalgie liée à l’absence de Félix de son pays de sa famille et de sa très chère sœur Fanny.



 

Car c’est sans doute bien d’elle qu’il s’agit dans l’Andante très bref qui fait office de mouvement lent. Une superbe mélodie, comme une romance sans paroles s’élève en un arioso de violons. Une phrase toute classique, mais d’une beauté sublime. De celles qui vous transportent immédiatement vers les élans de la mélancolie amoureuse. En son centre, l’arioso se fait récitatif, plus douloureux, pleurant sur l’absence avec les fameux motifs de larmes que Bach n’aurait pas renié. A la reprise de la mélodie, Mendelssohn comprend qu’une redite textuelle serait redondante et il préfère dissoudre son chant dans une orchestration colorée de la mélancolie de la flûte et du basson. La conclusion semble laisser poindre une nouvelle lumière, comme celle d’un jour qui se lève après la rêverie nocturne de ce mouvement.


 

Mendelssohn 5 3a


 

Sur un point d’orgue des cordes à la dernière mesure de l’Andante, le dernier mouvement fait son entrée sans coupure et en douceur. La flûte solo énonce un th&egrave
;me de choral « Ein feste Burg ist unser Gott » (C’est un rempart que notre Dieu), l’un des thèmes luthériens les plus connus. Retour donc à l’évocation du but premier de la symphonie, mais pas décalage comme on le croit souvent entre le propos des deux mouvements précédents ! Le choral se présente également comme l’aboutissement des souffrances terrestres perceptibles  depuis le début de l’œuvre. L’harmonisation se fait d’abord de manière très subtile par les vents avant de gagner les cordes et d’atteindre sa lumière régénératrice.


 

einefesteburg


 


 Mendelssohn 5 4a

 


 

C’est alors le début d’un nouvel allegro, certes relativement déséquilibré, mais d’une énergie incroyable. Sur un rythme de chevauchée, le choral se dissipe et laisse place à l’homme qui doit le reconquérir pour obtenir sa rédemption. Pour ce faire, Mendelssohn, qui doit beaucoup à Bach, intègre deux fugues dont le sujet est à la fois la tête du choral et les fameux rythmes du destin (pom, pom, pom, pom). Le message est clair : le destin de l’homme est de trouver la paix au sein du choral, de ce Dieu qui est une véritable forteresse. Le parcours, après un épisode qui ressemble beaucoup à un passage du scherzo de la Neuvième de Schubert (qui était encore inconnue à l’époque !) aboutit à la conquête ultime du choral qui résonne triomphalement. Curiosité étrange, le contrebasson est doublé d’un serpent que Berlioz, encore lui, utilisera aussi dans le « Dies irae » du « Songe d’une nuit de Sabbat » en final de sa symphonie fantastique.



 

La symphonie laisse un goût de plénitude, mais déconcerte par ce qu’on croit trop souvent être un amalgame chaotique entre les propos des mouvements. A mon sens, seul le final est légèrement déséquilibré. Pour le reste, on voit bien que le cœur de l’œuvre réside dans la mélancolie toute romantique du mouvement lent, dans la danse fantastique du scherzo et que les deux fresques religieuses des mouvements extrêmes sont là pour servir de prétexte à la commémoration de la Confession d’Augsbourg et, plus certainement encore, pour proclamer la vision sincère du sacré que possédait Mendelssohn. L’œuvre, dans ses excès de jeunesse mérite mieux qu’un jugement négatif à l’emporte pièce et je vous invite donc à en prendre conscience par vous-mêmes.