Une correction d’abord. La conférence que je donnerai à Liège sur Boris Godounov n’est pas programmée pour le 19 mai comme annoncé dans le billet sur l’opéra russe il y a quelques jours, mais le 9 juin au Petit Théâtre de Liège à 20H. Toutes mes excuses et merci à Monsieur Mols, fidèle lecteur du blog, pour sa vigilance.
Pour prendre un bon départ dans cette histoire complexe qui est celle de l’histoire russe qui concerne le tsar Boris Godounov, il est bon, en premier lieu, de restituer la chronologie historique qui sert de base au travail de Pouchkine et de Moussorgski pour leur œuvre. Cela permettra non seulement de ne plus avoir besoin de revenir sur l’intrigue, mais aussi de mesurer toute l’ampleur de la tragédie et son inscription au sein d’une période troublée.
Ivan IV le Terrible
En effet, l’interrègne entre deux grandes dynasties de tsar, Celle des Riourikides qui s’achève en 1598 par Fédor I, fils un peu attardé de Yvan IV le Terrible et les Romanov qui ouvrent avec Michel I, dès 1613, une nouvelle ère pour la Russie, est habité par une certaine anarchie faite de complots, de meurtres et de menaces guerrières incessantes. La chronologie qui tend Boris Godounov est celle-ci :
Fédor Ier
En 1584, Ivan IV le Terrible, premier grand prince de Moscovie qui avait pris, pour la première fois le titre de Tsar, dont le mot provient sans doute d’une contraction du latin Caesar qui signifie tout simplement empereur, vient à mourir laissant son trône à son faible fils Fédor qui sous le patronyme de Fédor I, ne s’occupe que d’affaires pieuses et spirituelles. Il laisse les grands enjeux de l’Etat à son beau-frère Boris Godounov qui fait office de régent.
En 1591, le tsarévitch Dmitri, autre fils d’Ivan IV exilé avec sa mère, meurt dans des circonstances mystérieuses. Une enquête commandée par Boris Godounov détermine que le gamin, pris d’une crise d’épilepsie pendant qu’il jouait avec un couteau, aurait lui-même planté l’arme dans sa poitrine. Mais la mère de la victime, exilée, elle aussi par Boris, crie au meurtre. Les ennemis de Boris véhiculent donc la rumeur qu’il aurait fait assassiner le tsarévitch pour l’empêcher de revendiquer le trône l’âge venu.
Boris Godounov
Mais en 1598, le tsar Fédor I meurt. Dernier représentant d’une famille qui a régné sur la Russie depuis sept siècles, c’est Boris Godounov qui est nommé tsar par le patriarche de Moscou en dépit des rumeurs d’assassinat. Boris accepte de monter sur le trône s’il est élu par un zemsky sobor (assemblée qui réunit les boyards, le clergé et les communes). Rencontrant une résistance au sein de la douma des boyards, il s’appuie sur la noblesse, le clergé et le peuple et prête serment non pas au Palais, comme la coutume l’exige, mais à la cathédrale de l’Assomption à Moscou. Avec le tsar Boris commence une période jugée calme par certains historiens (en comparaison avec l’époque d’Ivan le Terrible) et troublée pour d’autres faisant allusion aux diverses tentatives de déstabilisation, des désordres et de pillages provoqués par la Grande Famine (1601-1603) que le gouvernement ne parvient pas à éradiquer.
Toujours est-il qu’en 1604, un prétendant au trône de Russie apparaît en Pologne affirmant être le tsarévitch Dmitri ayant échappé de justesse à la mort. En fait, il s’agit là d’un certain Grigori Otrepiev, un moine défroqué qui serait parvenu à se faire reconnaître comme l’héritier d’Ivan IV par le Roi de Pologne. Il entre donc en Russie à la tête d’une armée de polonais et de lithuaniens. Le Faux Dmitri défait les armées de Boris Godounov et s’allie aux catholiques romains dans le but de convertir le Russie. Plus il s’enfonce en Russie, plus il récolte des alliés. Cependant, rapidement, son armée faite surtout de mercenaires polonais se défait. Mutineries et désertions l’empêchent d’envahir Moscou.
Le Faux Dmitri, Tsar Dmitri II
En 1605, Boris Godounov meurt subitement pour une raison inconnue. On parle alors d’empoisonnement ou de suicide, mais rien n’est prouvé. C’est son fils, Fédor II qui lui succède. Mais la mort de Boris redonne de l’espoir au Faux Dmitri qui entre alors à Moscou. Les boyards, ralliés à Dmitri, assassinent Fédor II et sa mère. Le Faux Dmitri est alors couronné comme le tsar Dmitri II, mais déjà, on complote contre lui.
1606, après des tentatives de rénovation de l’état russe, la noblesse orthodoxe russe s’oppose à lui pour condamner sa politique catholique et le traite d’usurpateur (ce qu’il est effectivement). Ses réformes contrarient les boyards et le clergé. Le Roi de Pologne ne veut plus soutenir ce lui qui n’a pas tenu la promesse de la conversion catholique de la Russie et la cession des certaines régions russes à la Pologne. Il est assassiné, son corps est dépecé et ses cendres sont tirées par un canon en direction de la Pologne. Vassili Chouïski, un descendant de la dynastie Riourikides, est couronné tsar sous le nome de Vassili IV.
Vassili IV
C’est alors l’époque des plus grands troubles et de l’apparition de plusieurs autres « Faux Dmitri » prétendant être Dmitri II qui aurait échappé à son assassinat de manière mystérieuses dont je vous passe les détails. Ces derniers n’entrent plus dans l’argument de l’opéra. Toujours est-il qu’en 1610, il est destitué et il meurt en 1612. Ces deux dernières années voient des usurpateurs assassinés après avoir pris le pouvoir. Et ce n’est qu’en 1613 que les temps troublés se terminent avec l’accession de Michel I Romanov, fils de Fédor Romanov jadis persécuté par Boris Godounov, au rang de tsar. Pendant son règne, les diverses autorités de la Russie auxquelles il délègue ses pouvoirs (il s’intéresse peu aux affaires de l’Etat et semble être presque illettré et peu cultivé), tentent de restaurer la paix dans les vastes provinces troublées.
Michel Ier Romanov
On le voit, l’histoire russe n’est pas simple. Comment le serait-elle au regard de si grands enjeux et de rivalités intenses ? Cependant, on ne peut ni prouver ni réfuter la culpabilité de Boris Godounov dans la mort du tsarévitch Dmitri. Pourtant, Pouchkine et, plus tard, Moussorgski considéreront sa culpabilité comme acquise, au moins dans le but de renforcer la tragédie théâtrale et lui donner un cachet shakespearien sans lequel l’œuvre n’aurait sans doute pas la même portée.
A suivre …